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Billet de blog 12 octobre 2010

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À la chasse aux mythes

Elle s'appelle Mara Goyet. Elle scrute «les mots et les choses d'aujourd'hui» et les moque dans de petits commentaires bien enlevés, où les manies de notre époque sont prises à contre-pied. Cela balance entre les «mythologies» de Roland Barthes, dont l'auteure se réclame, et certains numéros d'humoriste comme on les entend sur scène ou sur écran.

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Elle s'appelle Mara Goyet. Elle scrute «les mots et les choses d'aujourd'hui» et les moque dans de petits commentaires bien enlevés, où les manies de notre époque sont prises à contre-pied. Cela balance entre les «mythologies» de Roland Barthes, dont l'auteure se réclame, et certains numéros d'humoriste comme on les entend sur scène ou sur écran. Ce sont tantôt des mots et des expressions qui sont pris pour cibles (faire son deuil, la traçabilité, les cougars), tantôt des choses ou des pratiques (le café en capsule, l'épilation, le GPS). Derrière quoi se révèle toujours un petit fragment d'idéologie, qu'avec humour l'analyste démonte. De là, une riche moisson, qui nous donne envie d'en allonger la liste au gré de nos observations personnelles.


Genre à soi seul, la «petite mythologie» est tout un art qui réclame coup d'œil, vivacité, humour. En la matière, Mara Goyet, sans conteste, a un ton bien à elle. Ce qui ne l'empêche pas de manquer son coup de temps à autre. Ses meilleures victimes sont du côté des usages les plus familiers, des choses les plus proches. Citons «Le panier bio»: «Je ne peux regarder les légumes du panier bio livré chaque semaine dans une boutique du quartier sans me demander s'il ne s'agit pas de vieux bouts de verdure recalés à Rungis faute d'avoir le bon format, que l'on a par la suite tordus à la vapeur, roulés dans la terre et laissés un peu pourrir en attendant de les vendre à des prix prohibitifs à des cons dans mon genre qui, par flemme, les laisseront faner dans un plat snob façon "nature morte".» Ou bien encore «Messages»: «Horreur! les élèves passent leur temps à envoyer des textos en classe. Les statistiques sont épouvantablement inquiétantes. Quant au nombre de profs qui en envoient aussi durant leur cours, nous ne disposons heureusement pas de chiffres. Avec moi, ça fait un, en tout cas... Soyez indulgents: en classe, le prof n'a pas d'amis avec qui discuter.»


Tout cela est gentiment perfide et nous alerte sur les manies du temps telles qu'on les fait siennes trop facilement, telles que, plus sûrement encore, le «système» commercialo-médiatique nous les impose en douce. Parfois chez l'auteure, la perspective s'élargit et le regard critique se fait panoramique. Ah ! les drames de ce que Mara Goyet appelle la «vie nosocomiale». C'est, écrit-elle, attraper absurdement une maladie à l'hôpital. Mais c'est aussi être fauché sur l'autoroute alors qu'on pose un triangle de signalisation derrière sa voiture en panne ou bien encore, à l'échelle planétaire, voir une catastrophe naturelle s'abattre sur un pays déjà en pleine déréliction.
Ces Formules enrichies se lisent bien, amusent, agacent aussi et donnent à penser. Elles méritent le bref détour souhaité.


Mara Goyet, Formules enrichies. Les mots et les choses d'aujourd'hui, Paris, Flammarion, « Café Voltaire », 2010. 12 €.

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