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Billet de blog 16 mars 2008

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L'éternel retour des aventures de Blake et Mortimer ?

D'ici deux semaines, le 28 mars, sortira Le Sanctuaire du Gondwana un nouveau volume des aventures de Blake et Mortimer, personnages créés par Edgar P Jacobs et qui ont, contrairement au Tintin d'Hergé, survécu à la mort de leur auteur.

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D'ici deux semaines, le 28 mars, sortira Le Sanctuaire du Gondwana un nouveau volume des aventures de Blake et Mortimer, personnages créés par Edgar P Jacobs et qui ont, contrairement au Tintin d'Hergé, survécu à la mort de leur auteur. Et l'intelligence (marketing) de l'éditeur (Les éditions Blake et Mortimer / Dargaud) a été de perpétuer les aventures des personnages, qui ne sont, du coup, jamais tombé dans un patrimoine vieillot.

Pour autant, repris par deux équipes différentes (Jean Van Hamme et Ted Benoit d'un côté, Yves Sente et André Jullard de l'autre), le tandem n'a réellement convaincu qu'une seule fois, le temps de l'assez étrange Affaire Francis Blake (par Van Hamme et Benoit), qui parvenait à se démarquer du corpus de Jacobs, en y intégrant des éléments cinématographiques (notamment explicitement hitchcockiens) et à emmener le récit pas loin de là où Jacobs aurait pu le faire aboutir, mais pas exactement là non plus : la réinvention était partielle, mais intéressante, motivante.

Les autres essais, et notamment les deux derniers, décevaient par leur côté trop révérencieux. Ils ne trouvaient leur différence que dans des éléments de science fiction très futiles, qui donnaient à l'ensemble un aspect de pastiche plutôt que de continuité.

Le nouveau livre, écrit et dessiné par Sente et Jullard, étonne d'emblée tant ses premières pages (sa première moitié) sont enthousiasmantes et donne l'impression très vive de lire à nouveau un grand récit digne de Jacobs - ou en tout cas tel qu'un Jacobs moderne aurait pu l'écrire et le construire.

Le récit, d'abord, prend son temps pour s'installer et confronte le lecteur à l'intimité de ses personnages, aux séquelles physiques et psychiques des récits précédents. On le sentait implicitement dans ses autres scénarios : Yves Sente semble chercher à tracer des liens d'un livre à l'autre, à humaniser les personnages en leur construisant un passé, une généalogie. Cela, il le fait admirablement bien avec le personnage de Mortimer, dont on commence à comprendre les racines et qui témoigne, de plus en plus, de sentiments très humains. Ce qui est en jeu, ici, c'est bien l'humanisation de l'univers de Jacobs et dans la première moitié de ce Sanctuaire du Gondwana, on sent que le scénariste et le dessinateur sont tout à fait à l'aise pour jouer avec l'ensemble des clichés inventés par Jacobs, tout en menant ses personnages autre part.

Pour autant, dès que le récit s'installe dans l'action et l'aventure, il tombe dans des rebondissements assez fatigants et perd toute la tension installée au début.Car, là où Jacobs utilisait la tension de l'aventure pour parler très implicitement de son époque, évoquer la politique et commenter son temps, ses successeurs n'osent pas s'aventurer dans de tels territoires et utilisent plutôt l'époque de Blake et Mortimer (les années50 et 60, la guerre froide) comme un cadre exotique, presque rétro futuriste, mais qui n'a plus de prise avec l'époque actuelle. Dans ces nouveaux récits de Blake et Mortimer, aujourd'hui n'existe pas et la vie est un joli fantasme, qui se déroule un peu à la manière d'un film de la Hammer : avec des rebondissements et de l'intrigue, mais sans prise avec le réel.

A l'arrivée, une fois terminée la lecture du Sanctuaire du Gondwana, flotte l'impression étrange de s'être fait embarquer dans une grande roue qui n'a jamais vraiment décollé, que l'éternel retour des personnages n'est rien d'autre qu'une impossible reprise. Et survient alors en filigrane le souvenir de la tentative avortée de reprise de Blake et Mortimer par Joann Sfar et Emile Bravo (dont on peut trouver ici ou là, et notamment dans les carnets de Sfar, une planche ou deux) : qu'auraient-ils bien pu faire, eux, de ces personnages dont on devine qu'ils sont tellement iconiques et monolithiques qu'ils s'imposent à leurs nouveaux auteurs, les encadrent bien plus qu'ils ne se laisseront jamais encadrer ?

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