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Billet de blog 17 octobre 2013

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Catton… la jeune

Jusqu’à présent le prénom d’Eleanor était associé à deux patronymes, Rigby pour les inconditionnels des Beatles et d’Aquitaine, épouse d’Henri II d’Angleterre, pour les spécialistes de l’histoire du Royaume-Uni. Désormais un troisième va émerger, Catton. Eleanor Catton a battu trois records le 16 octobre en obtenant le Booker Prize, l’équivalent du Goncourt chez les Grands-Bretons.

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Jusqu’à présent le prénom d’Eleanor était associé à deux patronymes, Rigby pour les inconditionnels des Beatles et d’Aquitaine, épouse d’Henri II d’Angleterre, pour les spécialistes de l’histoire du Royaume-Uni. Désormais un troisième va émerger, Catton. Eleanor Catton a battu trois records le 16 octobre en obtenant le Booker Prize, l’équivalent du Goncourt chez les Grands-Bretons.

Tout d’abord elle est la plus jeune lauréate de tous les temps, puisqu’elle n’a que 28 ans — par comparaison Ben Okri avait 32 ans en 1991 lorsqu’il fut récompensé pour The Famished Road ; son livre The Luminaries est le plus long de l’histoire du Booker Prize, avec 832 pages, ce qui lui permet de battre à plate couture Hilary Mantel, Wolf Hall, 672 pages, et Antonia Susan Byatt, Possession 624 pages ; enfin elle consacre, par sa victoire, une maison d’édition, Granta, qui brille depuis des années par son sens de l’innovation, de la recherche et de l’originalité et qui mérite amplement cette récompense. 

Eleanor Catton est la seconde lauréate néo-zélandaise après Keri Hulme, en 1985, pour The Bone People. Elle est née à Londres, non pas la capitale du Royaume-Uni, mais celle de l’état d’Ontario, au Canada. Elle a ensuite vécu en Angleterre, avant que ses parents ne s’installent définitivement en Nouvelle-Zélande. The Luminaries est son deuxième roman, consécutif à The Rehearsal, La Répétition (qu’il faut entendre au sens théâtral) traduit par Erika Adams, chez Denoël en 2011. The Luminaries est un roman policier et une épopée à la fois, avec pour toile de fond la ruée vers l’or du 19ème siècle. Le titre est polysémique, jeu de mots qu’Eleanor Catton a recherché, puisque luminaries désigne à la fois les astres, les corps célestes — or le célèbre luminary de Greenwich fut construit à l’époque où se situe le roman et astronomie et astrologie constituent des guides à la compréhension de la trame — et les sommités sociales, personnages clés de ce roman-fleuve. Claire Armitstead l’explique remarquablement dans une vidéo du Guardian à lire et écouter attentivement ici.

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Le jury, présidé par Robert MacFarlane, qui, entre autres chefs-d’œuvre, a publié à l’été 2012, une petite merveille intitulée The Old Ways, A Journey on Foot, sorte de réflexion historique et philosophique au hasard de ses randonnées à travers le royaume, dans la droite ligne de ce qu’avait génialement produit le regretté Jacques Lacarrière avec Chemin Faisant, a été unanime pour dire tout le bien qu’il pense de l’ouvrage et de son auteure. Le même MacFarlane a parlé de huge investment pour lire le roman, on le croit volontiers, tout en précisant qu’il n’a fallu que deux heures au jury du Booker Prize pour se mettre d’accord sur le nom de Catton. Elle empoche donc 50.000 livres sterling, soit 58.900 €, qui lui ont été remis par Camilla, ci-devant duchesse de Cornouailles, épouse du sémillant prince Charles, dont les choix vestimentaires pour cette cérémonie ont dû rappeler à Eleanor Catton certains de ses personnages.

Et comme un malheur n’arrive jamais seul, une nauséabonde et machiste controverse a été lamentablement soulevée par quelques écrivains britanniques, mâles bien sûr (qui hélas ne connaissent certainement la chanson de Georges Brassens, Le temps ne fait rien à l’affaire), sur l’âge de la récipiendaire.

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Le Guardian en profité pour publier un recensement fort amusant de tous les gens, dans la littérature et hors littérature, qui ont connu la célébrité à 28 ans. La liste est longue et inclut notamment Orson Welles, Mark Zuckenberg, créateur d’un réseau social connu, Bob Dylan, David Bowie, Quentin Tarantino et Elizabeth Taylor entre autres. Mais Eleanor Catton a répondu magistralement à ses vieilles badernes de détracteurs, sans aucun doute mûrs pour le Muppet Show : 'Male writers get asked what they think, women what they feel', ce qui signifie « on demande aux écrivains ce qu’ils pensent, aux écrivaines ce qu’elles ressentent ». Ainsi donc, une jeune romancière de talent serait réduite, comme toute celles qui l’ont précédée, à d’uniques émotions, la réflexion étant laissée aux hommes. Ce qui fait indubitablement penser à un autre machiste, du 18ème celui-là, Horace Walpole qui, dans un grand élan dominateur, a lancé un jour : Life is a comedy for those who think and a tragedy for those who feel.

Illustration 4
  • Eleanor Catton, La Répétition, traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande) par Erika Abrams, Folio, février 2013, 7 € 32 (publication en grand format chez Denoël en février 2011).
  • Le roman qui vient d'obtenir le Man Booker Prize, The Luminaries, sortira aux éditions Buchet-Chastel en septembre 2015.

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