
En 2008, Annie Ernaux publiait Les Années, rétrospective toute personnelle d'une vie et d'une époque, avec photographies décrites à l'appui. Voici qu'un Quarto réunit en un fort volume la plupart des ouvrages de l'écrivaine et c'est une autre forme de rétrospective. Celle-ci et celle-là sont d'ailleurs parallèles puisque Ernaux, dans ses romans successifs, n'a jamais cessé de se dire –elle et les siens– tout en ranimant à mesure la mémoire d'un temps et d'une société. Le volume qui paraît aujourd'hui s'intitule d'ailleurs Écrire la vie, formule très générale sans doute mais parfaitement ajustée à un projet d'écriture. À noter d'ailleurs qu'en Quarto les volumes sont repris non dans l'ordre de leur parution mais selon les étapes d'une existence –choix qui se discute.
Nous voici donc munis désormais d'un grand «Ernaux» couvrant une production de presque quarante années. Tout au long de celle-ci et d'ouvrage à ouvrage, on retrouve le même alliage de trois éléments: le récit d'événements personnels et parfois très intimes, l'extrapolation des mêmes faits à une signification sociale et critique, le travail de l'écriture qui se veut exercice d'une liberté. Ainsi va la formule d'une représentation de l'existence qui relève d'un naturalisme résolument neuf, fait d'intelligence et de souci de justesse, dont la romancière écrit: «Je n'ai pas cherché à m'écrire, à faire œuvre de ma vie: je me suis servie d'elle, des événements, généralement ordinaires, qui l'ont traversée, des situations et des sentiments qu'il m'a été donné de connaître, comme d'une matière à explorer pour saisir et mettre au jour quelque chose de l'ordre d'une vérité sensible» (Quarto, 4e de couverture). Vie, vérité: mots puissants qui, s'agissant du roman, nous viennent de Zola comme de Proust et retrouvent chez Ernaux tout leur sens.
Ainsi nous voilà en situation de suivre le parcours d'une œuvre, qui va des romans de l'enfance et de la famille aux romans de la passion, simple ou pas. D'avoir été associés à l'émergence d'un auteur, certains de ces récits comme La Honte ou La Place nous touchent plus que d'autres. Ils inventaient un mode de représentation. Mais tout est à lire ou à relire. Par ailleurs, de courts textes s'intercalent entre les romans, que l'on découvre ou est heureux de retrouver. Ainsi d'Hôtel Casanova, récit d'une aventure très sexuelle, ou encore du Chagrin, bel hommage à Pierre Bourdieu. Et puis il y a en ouverture cet émouvant «photojournal» qui marie sur une centaine de pages des photos personnelles avec des extraits du journal qu'a tenu Ernaux pendant des années.
Tout cela fait donc un bloc serré de 1100 pages dans lequel chaque lecteur dessinera son propre parcours. L'ensemble dit la puissance d'une œuvre et nous confirme qu'Ernaux appartient dorénavant à la petite dizaine d'écrivains français qui sont nos classiques contemporains, si l'expression n'est pas contradictoire. C'est une belle consécration.
Vient aussi de paraître de la même auteure L'Atelier noir, qui réunit les notes où depuis trente ans, Annie Ernaux consigne les tâtonnements et incertitudes de son travail au fur et à mesure. S'y exprime de façon subtile et troublante la solitude d'un auteur en cours de création.
Annie Ernaux, Écrire la vie, Paris, Quarto Gallimard, 2011. 25 €
Annie Ernaux, L'Atelier noir, Éditions des Busclats, 2011. 15 €.