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Billet de blog 18 mai 2014

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professeur agrégé et docteur en anglais retraité.

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Les années Roosevelt

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Le passage au pouvoir de Frank Delano Roosevelt, président des Etats-Unis de 1933 à 1945, a engendré un véritable mythe, non seulement en raison de la force de sa personnalité face à deux crises majeures, la Grande Dépression et la Seconde Guerre Mondiale, mais aussi parce qu’il est le seul, dans l’histoire des Etats-Unis, dont le nom est associé à une période exceptionnellement longue. Il a remporté quatre élections présidentielles, accompli trois mandats complets, le quatrième ayant été entamé, en 1945, puis presque aussitôt interrompu par sa mort, ce qui a incité le congrès, enclin à considérer que les problèmes de santé avaient sans doute altéré le deuxième et le troisième mandats, à voter une limitation à deux mandats pour tout président élu. FDR a suscité l’intérêt de nombreux spécialistes, et, ainsi, la publication de nombreux ouvrages.

Parmi les plus récents, respectivement juin et novembre 2013, figurent deux livres majeurs, Les années Roosevelt aux Etats-Unis (1932-1945), entre New Deal et « Home Front », ouvrage collectif, publié aux éditions Ellipses, sous la direction de Frédéric Robert, professeur des universités à Lyon III, qui a regroupé quatorze contributions*, et un ouvrage à quatre mains, Les années Roosevelt, aux éditions Atlande, par Yves-Marie Péréon et Elise Trogrlic, respectivement maître de conférences et professeur agrégée à l’université de Rouen. De la chronologie des années Roosevelt — on retiendra que chacune des quatre élections a été un véritable triomphe pour FDR, 472 grands électeurs sur 531 en 1932, 523 en 1936, 449 en 1940 et 432 en 1944 —, on distingue, à travers des analyses thématiques, le prisme du New Deal et les conséquences de l’entrée des Etats-Unis dans la guerre, Home Front et société américaine.

Illustration 2

Le point de départ, les cent premiers jours, constitue une véritable marche forcée dans la droite ligne du discours d’investiture du 4 mars 1933, à partir duquel quinze textes de loi vont être votés et de nombreuses agences créées, dont le flot de sigles et d’acronymes va engendrer l’ironie de la presse et, particulièrement de Time Magazine, qui, dans son édition du 11 décembre 1933, lancera l’expression qui va faire florès, Alphabet Soup. Car, à travers ces lois, ces programmes et ces agences de réglementation, FDR va promouvoir, à l’instar des three Rs éducatifs britanniques Reading, wRiting, aRithmetic), lire, écrire, compter, ses three Rs à lui Reform, Recovery, Relief, c’est-à-dire Réforme, Rétablissement, Réparation, sachant qu’un quatrième R comme Revolution cher à FDR étant sous-jacent. Et tout ceci fut accompli, avec un époustouflant sens de la pédagogie et une maîtrise absolue de la rhétorique, par le biais des fireside chats, littéralement des causeries au coin du feu, explications radiodiffusées à l’attention de ses concitoyens, initiative que Pierre Mendès-France reprendra vingt ans plus tard de ce côté-ci de l’Atlantique.

FDR est une figure historique aussi parce qu’il a eu le courage de se réapproprier le terme liberal, en ré-orientant les fondations mêmes de la pensée politique américaine. Roosevelt, esprit ouvert et novateur, a redonné vie à la conception du libéralisme qui avait inspiré les pères-fondateurs dans leur rédaction de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis et qui venait directement du philosophe du XVIIème siècle John Locke, dont le postulat était qu’un contrat social doit être la base d’une société politique. Sans pour autant renier ses racines et ses convictions protestantes, FDR fit admettre à ses contemporains qu’il fallait privilégier la solidarité à la réussite personnelle. De fait il fit accepter une connotation progressiste du libéralisme et entraîna les Américains dans son sillage. Et le véritable tournant politique fut l’adoption de la loi dite Social Security Act le 14 août 1935, fondement de la reconstruction morale, qui, pour FDR, va indubitablement de pair avec la reconstruction économique.

Cet acte fondateur d’une démocratie humaniste, contre-modèle à opposer aux régimes totalitaires, qui va devenir l’idéal du monde libre après la guerre, sera repris par Lyndon Johnson, en 1965, et amplifié avec l’adoption du Medicare  et du Medicaid. Cependant le chemin de Roosevelt et de son exaltant New Deal sera semé d’embûches, car la volonté accrue de régulation du secteur privé par le gouvernement fédéral et l’expansion de l’exécutif sont très mal vécues par la Cour Suprême, qui, à partir de 1935, va invalider plusieurs lois emblématiques du New Deal.  FDR va donc essayer de réformer la Cour Suprême par le biais du Court-Packing Plan, mais ce sera un échec, car s’attaquer à un contre-pouvoir et à l’équilibre des pouvoirs s’avère inacceptable jusque dans son propre parti. Mais l’histoire va cependant aider Roosevelt, car, bien qu’établir un bilan détaillé du New Deal ne soit pas une entreprise aisée, il faut bien admettre que jusqu’en 1941 le dit New Deal n’est qu’un demi-succès. Et c’est bien là l’immense mérite de ces deux ouvrages, le premier thématique, le second plus factuel, à savoir constater la vérité sans fard, loin de l’exploitation posthume un peu romantique qui en est faite aujourd’hui. Et donc, c’est l’entrée en guerre des Etats-Unis qui, paradoxalement, va redonner force et vigueur au New Deal par l’intermédiaire du Home Front, à partir d’un événement qui traumatise le pays et son président.

Le 7 décembre 1941, l’attaque japonaise surprise sur  la base navale américaine de Pearl Harbor, sur l’île de Oahu, dans l’archipel d’Hawaï, au cœur de l’Océan Pacifique, soude le pays et précipite les Etats-Unis dans une guerre qu’ils regardaient jusqu’alors avec distance. C’est l’objet de la seconde partie du travail de FDR, le Home Front ou comment la mobilisation vers une économie de guerre va redonner un second souffle inattendu au New Deal, en s’appuyant sur ses principes constitutifs. Mais la dynamique sociale espérée va s’avérer chaotique et se heurter à deux écueils majeurs. L’un est récurrent depuis que FDR a accédé à la présidence, l’opposition systématique des conservateurs qui se fond dans les nombreuses pressions des milieux financiers. L’autre est émergent, il s’agit de la recrudescence de l’activisme noir et de la montée de la violence  inhérente à la question des discriminations, notamment dans le domaine de l’emploi. Cette période va voir apparaître une figure emblématique, Asa Philip Randolph, fondateur du magazine radical The Messenger, en 1911, puis du premier syndicat de travailleurs noirs en 1925. Il va pousser la communauté noire vers une campagne pour une double victoire contre les ennemis de l’extérieur, mais aussi contre ceux de l’intérieur, les préjugés, le racisme, les discriminations et la ségrégation raciale.

Le combat de Randolph portera les germes de ce qui va se passer en Alabama dans les années 1960, et, au début du mois de janvier 1941, ce dernier lance un appel à la communauté noire pour manifester avec pour slogan unificateur : We loyal Negro American citizens demand the right to work and fight for our country, Nous citoyens afro-américains exigeons le droit de travailler et de nous battre pour notre pays. La manifestation prévue le 1er juillet de cette même année doit rassembler plus de cent mille personnes dans les rues de Washington, mais elle est finalement annulée car FDR inquiet de l’ampleur pris par le mouvement cède à la principale revendication exprimée dans le slogan. Cet épisode va influer sur son attitude en matière de politique étrangère, et Roosevelt va multiplier ses efforts à l’égard de Staline pour construire la paix mondiale dont sont évidemment exclus les nationalismes allemands et japonais, attitude que ses détracteurs lui reprocheront comme marque de naïveté et de faiblesse. En revanche il y a d’autres domaines dans lesquels le travail de FDR ne souffre aucune contestation nationale.

Les grands chantiers initiés par FDR, puis l’impact sans précédent de la présidence de Roosevelt sur l’environnement en font un président moderne, car d’une part l’utilisation durable des ressources naturelles, d’autre part ses efforts, tout d’abord en tant que sénateur puis gouverneur de l’Etat de New York et en tant que président, ont engendré des projets phares dans le cadre du New Deal, parmi lesquels le State Reforestation Act, entrepris en tant que gouverneur puis prolongé pendant son premier mandat présidentiel, permit l’acquisition de terres abandonnées et leur reboisement. FDR fut également attentif à démocratiser et encourager l’accès à la culture dans une période où il convenait de définir une identité culturelle nationale face à la référence ancestrale que représentait l’Europe. La WPA, Works Progress Administration, agence subventionnée par l’Etat fédéral, va ainsi créer des emplois pour de nombreux artistes américains.

Dans le domaine de la littérature, on retiendra de ces années Roosevelt quelques productions majeures, Tobacco Road, par Erskine Caldwell en 1932 ; Call It Sleep, par Henry Roth, 1934 ; Absalom, Absalom ! de William Faulkner, 1936, la même année Gone With the Wind de Margaret Mitchell ; la pièce en trois actes de Thornton Wilder, 1938, classique du théâtre américain, Our Town, ainsi que USA de John Dos Passos ; puis The Big Sleep de Raymond Chandler, 1939, The Grapes of Wrath, de John Steinbeck, 1939. Dans le domaine du cinéma, Mr. Smith Goes to Washington de Frank Capra, 1939 ; Citizen Kane d’Orson Welles, 1941 ; Casablanca, de Michael Curtiz, 1942, et la même année To Be or Not to Be d’Ernst Lubitsch ; Shadow of a Doubt, d’Alfred Hitchcock, 1943. L’art pictural a vu l’éclosion d’Edward Hopper, et notamment de son tableau Nighthawks en 1942 ; puis celui de Norman Rockwell, avec, entre autres, Four Freedoms en 1943. De la musique on retiendra Porgy and Bess, célèbre opéra de George Gershwin, en 1935. Dans tous les domaines de la vie quotidienne, la mise en place de l’utopie rooseveltienne a suscité le rêve sans abolir les résistances et les réactions parfois violentes. C’est la qualité majeure de ces deux livres que d’avoir présenté sans flagornerie mais aussi sans concession ce que fut le passage au pouvoir de cet authentique visionnaire.

Ces deux publications étaient plus particulièrement destinées aux étudiants agrégatifs, puisque les années Roosevelt figuraient au programme de la question de civilisation de l’agrégation d’anglais de cette année, cependant leur clarté et leur accessibilité en font aussi des ouvrages de vulgarisation qui ne limitent pas leur audience aux seuls spécialistes. Et comme FDR était un homme qui disait ce qu’il faisait et qui a fait ce qu’il a dit, il reste à espérer qu’un exemplaire de chaque ouvrage a été envoyé à l’Elysée, d’autant qu’il y a deux passages du premier discours d’investiture du 4 mars 1933 que l’actuel président de la République pourra méditer à loisir : The money changers have fled from their high seats in the temple of our civilization. We may now restore that temple to the ancient truths. The measure of the restoration lies in the extent to which we apply social values more noble than monetary profit.

Happiness lies not in the mere possession of money ; it lies in the joy of achievement, in the thrill of creative effort. The joy and moral stimulation of work no longer must be forgotten in the mad chase of evanescent profits.

Les spéculateurs sont tombés de leur piédestal dans le temple de notre civilisation. Nous pouvons désormais revenir aux anciennes vérités dans ce temple. L’ampleur de la restauration réside dans notre capacité à mettre en pratique des valeurs morales plus nobles que le profit monétaire.

Le bonheur n’est pas dans la simple possession de l’argent, il est dans le plaisir de ce que nous avons à accomplir, dans la forte sensation de l’effort créatif. Le plaisir et la stimulation morale du travail ne doivent plus être abandonnés au profit d’une course folle vers des profits fugaces.

Frédéric ROBERT, Les Années Roosevelt aux Etats-Unis (1932-1945), Entre New Deal et « Home Front », éditions Ellipses, ISBN 978-2-7298-8091-0,   263 pages, 19,95€.

Yves-Marie PEREON & Elise TROGRLIC, Les années Roosevelt, éditions Atlande, ISBN 978-2-35030-246-1,  286 pages, 18,05€.

* Les quatorze contributeurs : Pierre ARNAUD, maître de conférences à l’université de Paris-Ouest Nanterre ; Marie BOLTON, mcf à l’université Blaise Pascal Clermont II ; Elisabeth BOULOT, professeur des universités à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée ; Eddy CHEVALIER, agrégé et docteur en classes préparatoires au Lycée Charlemagne à Paris ; Clarisse GODARD-DESMAREST, mcf à l’université de Picardie ; Armand HAGE, agrégé et docteur à l’université de Nouvelle-Calédonie ; Andrew IVES, mcf à l’université de Caen ; Céline MANSANTI, mcf à l’université de Picardie ; Ruxandra PAVELCIEVICI, mcf à l’université de Nice-Sophia Antipolis ; Marion PULCE, agrégée, Boston College ; Frédéric ROBERT, coordinateur de l’ouvrage collectif, professeur des universités à l’université de Lyon III ; Laurent ROESCH, mcf à l’université d’Avignon ; Delareh YVARD-DJAHANSOUZ, mcf à l’université d’Angers ; Julein ZAFIRIAN, mcf à l’université de Cergy-Pontoise.

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