Jacques Dubois (avatar)

Jacques Dubois

Abonné·e de Mediapart

Billet publié dans

Édition

Bookclub

Suivi par 634 abonnés

Billet de blog 19 janvier 2011

Jacques Dubois (avatar)

Jacques Dubois

Abonné·e de Mediapart

Vacheries

Dans Si ce n'est plus un homme, Nicole Malinconi, romancière et essayiste, nous donne des nouvelles du monde et elles ne sont pas bonnes. Nous voilà donc avec elle à Bucarest, à Calais, à Bruxelles, dans les Pouilles, en Méditerranée, sur Internet, ailleurs encore.

Jacques Dubois (avatar)

Jacques Dubois

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Dans Si ce n'est plus un homme, Nicole Malinconi, romancière et essayiste, nous donne des nouvelles du monde et elles ne sont pas bonnes. Nous voilà donc avec elle à Bucarest, à Calais, à Bruxelles, dans les Pouilles, en Méditerranée, sur Internet, ailleurs encore. À chaque fois, elle choisit de décrire une situation terrible et singulière, une situation dont l'humain s'est comme retiré, où il se voit nié sans que quiconque proteste ou puisse le faire.

Ces situations limites, produits de notre univers globalisé, nous sont déjà familières en même temps que nous n'en savons rien. Nous les connaissons puisque de jour en jour la télévision nous en parle, nous anesthésiant à leur propos et ne suscitant que notre indifférence lassée. Et puis nous ne savons rien d'elles parce que nous ne les avons pas vécues de près et n'avons qu'une faible conscience de ce qui fait leur atroce cruauté.

Mais précisément, Nicole Malinconi fait son métier d'écrivain en prenant le parti de les décrire et de les dire. Elle le fait d'une plume précise qui dédaigne la sensiblerie ou le pathos mais noue à même sa retenue une solidarité de cœur et d'esprit avec tous les maltraités du monde, ceux et celles dont l'écrivaine se demande s'ils appartiennent encore à l'humanité commune ou si celle-ci les a rejetés définitivement.

Nous voilà avec Gregorz Kusz, un Polonais venu, comme beaucoup de ses concitoyens, cueillir la tomate dans les Pouilles pour le compte de ce qu'il faut bien appeler des négriers. Les parents de Gregorz le font rechercher, viennent jusqu'en Italie, tentent de le retrouver. Peine perdue. Personne ne sait rien. Comme beaucoup d'autres « cueilleurs de tomates » avant lui, il a sans doute été éliminé physiquement par les responsables du « réseau » qui ne veulent pas laisser de traces. Voici à présent Djibou, venu du Niger à Bruxelles parce qu'il était en danger de mort. Il est arrivé il y a quatre ans. Il attend les papiers requis pour vivre et travailler en Belgique. Il participe à une grève de la faim dans une église. Effet de la grève, ses amis et lui obtiennent la carte orange qui les protégera pendant trois mois. Après quoi, il faudra tout recommencer, les démarches, l'attente, la grève.

Et puis voici Christian et son copain Toni. C'est le jour où l'on ferme le haut fourneau 6 à Seraing (ville où tournent habituellement les frères Dardenne). Christian et Toni ont à exécuter eux-mêmes toutes les opérations d'extinction, semblables à celles de l'entretien. « Eux, les décideurs, ils ne savent pas ce que c'est, d'avoir fait ça. Mis à mort son propre travail. La journaliste, elle non plus, ne devait pas le savoir quand elle s'est avancée vers Toni, tout enjouée avec son micro tendu » (p. 33). Et Toni n'a trop su que lui dire.

Mais Nicole Malinconi prend aussi en charge des cas plus collectifs et plus anonymes. Au large de l'île de Malte, une cage flotte où sont élevées des thons. Un thonier vient remplir ses cales du précieux chargement. Au large passe un rafiot chargé d'Africains qui soudain fait naufrage. Mais le thonier s'en va : il ne reste aux naufragés que de s'agripper éperdument à la cage dans l'espoir d'un improbable secours.

Internet à présent. Des femmes de l'est européen sont là sur écran. Formant catalogue et en silence, elles proposent leurs services, soit comme porteuses d'embryon soit comme donneuses de gamètes. Un texte dit le type physique, voire les qualités intellectuelles de chacune. Les demandeurs peuvent à présent faire leur marché.

Tous ces cas sont bien différents. Ils en appellent à des analyses différentes. Ils induisent des jugements différents. Mais précisément ici l'auteure ne juge pas et certains seront tentés de le lui reprocher. Ce qu'elle veut, c'est pointer les formes diverses de la « vacherie humaine » telle que portée à ses limites et sans qu'on y puisse grand-chose. Nicole Malinconi ne nous en voudra pas de penser ici à Louis-Ferdinand Céline, en dépit de la différence des tons. Oui, presque chacun des petits textes de Si ce n'est pas un homme est un petit « voyage au bout de la nuit ». Lire ces récits durs et denses avec attention, les méditer, laisser monter l'indignation, c'est déjà une manière de dire son refus du monde comme il va. Et, c'est clair, il va mal.

Nicole Malinconi, Si ce n'est plus un homme. La Tour d'Aigues, éditions de l'Aube, 2010. 16 €.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.