Sur la couverture d’un livre élégant qu’édite Actes Sud, une photo comme voilée montrant Marion Cotillard dans Deux jours, une nuit, le dernier film des frères Dardenne. Elle représente la jeune femme en attente désespérée d’aide et de compréhension alors qu’elle a perdu son travail.
Arrêt sur image donc. Mais sommes-nous dans le film ? Pas vraiment en fait, car la photo a été prise par Christine Plenus en accompagnement immédiat du tournage. Et il en sera ainsi de toutes celles qui suivront dans le volume et qui résument la carrière des deux frères de film en film et d’œuvre en œuvre. Ce qui donne un album magnifique fait d’images seulement, qui les unes après les autres disent une œuvre filmique, un univers, un style.
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Le lecteur d’un tel album peut légitimement se demander d’où proviennent les prises de vue qu’il a sous les yeux. Des deux auteurs-réalisateurs pour toute une part, bien sûr : L’histoire est d’eux tout comme le sont les acteurs choisis, les décors retenus, les émotions exprimées. Mais elles appartiennent en même temps à quelqu’un de tout autre, à une sorte d’espionne qui s’est glissée dans les interstices du travail de filmage et est venue le doubler. Donc qui connaît la filmographie des Dardenne se trouve en pays familier mais il sait ou sent aussi qu’un biais est intervenu et qui vient nimber d’une poésie particulière ce qui provient d’un autre regard.
La preuve incontestable de cette opération toute parallèle, ce sont évidemment les vues qui relèvent d’une manière de reportage sur les tournages successifs. Soit, par exemple, cette dizaine de vues éparses dans le volume où l’on voit les Dardenne ou leur équipe au travail. À elles seules, ces belles photos méritent le détour : là où elle surprennent les deux frères s’offrant un moment de répit ou de réflexion pendant le tournage, elles lèvent en partie le voile sur l’énigme de leur collaboration fusionnelle. Superbe est ainsi la photo de la page 64, où les deux cinéastes en compagnie de Jérémie Renier se tiennent dans le froid au bord du fleuve, Jean-Pierre concentré et pensif, Luc consultant des notes. Et il y va bien du commentaire en halo d’une création en mouvement.
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Mais la majorité des prises viennent en doublets des continuités filmiques et c’est au point qu’on peut les croire extraites de celles-ci tout bonnement. Or, il n’en est rien et l’on peut dire que la photographe qu’est Christine Plenus a capté, à même le plateau, des moments du tournage pour en fixer la vibration intime.
S’agissant de cette vibration, la photographe n’est jamais aussi réceptive que lorsqu’elle saisit les visages des héroïnes de la filmographie dardennienne. Et on peut l’imaginer se coulant à la vitesse de l’éclair entre les intervenants du tournage pour capter ou capturer la beauté d’un visage que le film ne fixera pas aussi bien. Et l’on verra ainsi passer sous nos yeux au fil des pages le rayonnement retenu d’une Arta Dobroshi, la sérénité accomplie d’une Cécile de France et, par-dessus tout, le pathos têtu et envoutant d’une Marion Cotillard. Toutes resplendissent à l’intérieur d’histoires faites pourtant de drame et de souffrance. Et c’est un peu comme si la part d’ombre n’étaient pas assumées par les comédiennes mais prises en charge par les “gamins” présents dans les différents films. Visages fermés, butés, hostiles que ceux de Jérémie Renier, de Morgan Marinne ou de Thomas Doret. Fermée aussi la face du grand Olivier Gourmet — et sans parler de sa nuque et de ses épaules tombantes. Mais il s’agit d’un adulte cette fois.
Ainsi l’intelligence des corps que nous savions déjà être celle des Dardenne appelait ce travail complémentaire auquel se livre Christine Plenus avec une remarquable finesse conjuguant bonheur de l’instantané et justesse de la mise à distance. On aura ainsi grand plaisir à se plonger dans son bel album qui est tout de poésie vraie.
Christine Plenus, Sur les plateaux des Dardenne, Actes Sud, "Beaux-Arts hors collection", 112 p., 29 €