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Billet de blog 22 janvier 2015

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Les affaires sont les affaires

Il semble inutile et totalement superflu de présenter Fabrice Arfi ici. Tous les abonnés connaissent, et bien au-delà tout le monde connaît ses remarquables enquêtes. Par la qualité et la rigueur de son travail, il a largement contribué à l’édification collective de Mediapart comme journal politiquement et économiquement indépendant.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il semble inutile et totalement superflu de présenter Fabrice Arfi ici. Tous les abonnés connaissent, et bien au-delà tout le monde connaît ses remarquables enquêtes. Par la qualité et la rigueur de son travail, il a largement contribué à l’édification collective de Mediapart comme journal politiquement et économiquement indépendant.

Illustration 1

Honnêteté et lucidité sont les maîtres mots de l’activité quotidienne de Fabrice Arfi, c’est la raison pour laquelle il a souhaité non seulement faire la somme de son expérience de journaliste d’investigation acquise à travers les différentes affaires, de Karachi à Kadhafi en passant par Bettencourt, Tapie, Kazakhstan, sondages, trafic d’influence, comptes de campagne et Bygmalion, mais aussi réfléchir sur le lien presque tristement ancestral entre corruption et engagement politique, tout en présentant ses méthodes de travail en toute clarté. Ce travail à la fois normatif et sommatif est placé sous la référence permanente d’un autre journaliste de talent, George Orwell, un parrainage de bon augure.

L’ouvrage est divisé en six chapitres : 1) Corruption, 2) L’envers du monde, 3) Le miroir cassé, 4) Les poupées de la mafia, 5) Le baiser de la mort, 6) Le prix à payer. Chaque partie est étayée par des anecdotes qui soulignent la difficulté de l’investigation, des exemples concrets et une réflexion continue et corrélée entre journalisme, vérité, citoyenneté et démocratie. Autant de bases d’autant plus saines que l’on constate avec regret que le site du journal Le Monde et la télévision publique assurent actuellement et gratuitement la promotion du personnage principal des neuf affaires citées plus haut. Tendance coupable mise en exergue par la première citation de George Orwell, dans le premier chapitre :

« Il existe un penchant très répandu à prétendre que la démocratie ne peut être défendue que par des moyens totalitaires. Si on aime la démocratie, ainsi raisonne-t-on, on doit être prêt à écraser ses ennemis par n’importe quel moyen. Mais qui sont ces ennemis ? On s’aperçoit régulièrement que ce ne sont pas seulement ceux qui l’attaquent ouvertement et consciemment, mais aussi ceux qui la mettent “objectivement” en danger en diffusant des théories erronées. »

Fabrice Arfi rappelle également et fort judicieusement la célèbre phrase du président Eisenhower, dans son discours de fin de mandat, le 17 janvier 1961, « Le risque potentiel d’une désastreuse ascension d’un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques ». Cinquante trois ans plus tard la crainte de Dwight Eisenhower est loin d’être dissipée et encore moins éloignée.

Tout au long de cet ouvrage le journaliste d’investigation procède à d’utiles rappels de déclarations, qui se voulaient fracassantes de la part des protagonistes et qui prennent un tour à la fois consternant et comique. Ainsi Jean-François Copé lança-t-il le 22 juin 2010 à Lyon : « Il règne actuellement une ambiance malsaine de Nuit du 4 août ». Ce que Copé assimile ce jour-là à une des phases majeures de la révolution de 1789, ce sont les révélations de Mediapart, par le biais de Fabrice Arfi, sur l’affaire Bettencourt !

Ainsi également celle de Nicolas Sarkozy, dans son livre de 2006, Témoignage : « Je connais l’histoire de notre République, je veux dire la toute petite histoire. L’histoire sale, celle qui est faite pour avilir. Je sais que les exemples ne manquent pas. Ce n’est pas une raison pour banaliser, pour fermer les yeux, pour tolérer. J’emploie à dessein un mot fort : tolérer. Cela fait trop longtemps que ce genre d’attitude bénéficie d’une forme d’impunité. » Flagrant délit de dédoublement de la personnalité, car l’auteur de cette noble déclaration est cité dans les neuf affaires qui secouent la République et qui alimentent la liaison coupable entre engagement politique et corruption.

Dans la dernière partie, la postface intitulée Un sombre optimisme, Fabrice Arfi conclut avec une très noble phrase : « Je vois plutôt les journalistes comme des instituteurs du réel qui interrogent, au nom de tous, ceux qui sont censés nous représenter en nous gouvernant. Comme à l’école, on avance en résolvant des problèmes ; on n’apprend guère avec des solutions clés en main. » Presque une profession de foi, celle d’un honnête homme, selon la définition du XVIIIème siècle.

Un conseil en conclusion en forme de double geste : allez chez votre libraire habituel, achetez Le Sens des Affaires, et, au passage, repérez une poubelle jaune de tri sélectif, dans laquelle vous pourrez glisser les productions de Zemmour et Trierweiller, vous aurez ainsi œuvré pour le soutien au journalisme d’investigation indépendant et la préservation de la planète.

Fabrice Arfi, Le Sens des Affaires, Calmann-Lévy, 323 p., 18 € (14 € en version numérique)

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