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Billet de blog 23 juin 2008

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Road novel avec bébé

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Certains prétendent qu’il n’est pas de roman heureux. En voici un qui dément l’adage. Il est de Jean-Luc Outers et raconte, sous le titre Le Voyage de Luca, le périple que fait un couple — Julie et Marian — à travers Mexique, Etats-Unis et Canada. Le côté amusant de l’aventure est que ce couple emmène avec lui son fils Luca, qui en est encore à l’âge des pampers et des biberons de soja. Pour corser l’affaire, tous trois se déplacent dans une camionnette Volkswagen qui a déjà beaucoup vécu et qui connaîtra de grands déboires en cours de route.

Nous suivons donc le trio dans sa déambulation et le plaisir naît d’emblée de ce que son long parcours est bien plus qu’une suite de découvertes : il prend des airs de naissance au monde, dans laquelle le petit Luca est pour beaucoup. Tout cela nous vaut en somme une robinsonnade mais une robinsonnade à l’envers puisqu’elle est fondée sur un principe de mobilité continuelle. L’île en ce cas est aux dimensions d’un continent, et Robinson un bébé face au vaste monde.

Le récit va constamment s’enchanter, en effet, de ce que Luca fait ses premiers pas dans l’univers en traversant des pays et des paysages qui n’ont vraiment rien de commun avec un gentil pavillon de banlieue. Évidemment ce bébé ne pipe mot de ce qu’il perçoit et de ce qu’il pense. Reste donc à son père, qui s’est instauré narrateur, de se livrer aux conjectures, ce dont il ne se prive pas. Quel sentiment s’empare de Luca en présence du Grand Canyon ? Comment vit-il le fait que chaque soir on fasse étape en un endroit totalement différent ? Peut-il emmagasiner ce qu’il voit dans sa mémoire minuscule ? Questions sans réponses qui pourraient laisser croire que l’enfant vogue indifférent. Mais il est des indices qui en disent long sur sa faculté d’adaptation à la vie nomade. Ainsi Luca s’attache à un chien errant que la famille adopte sous le nom de Yesterday. Ainsi encore il se fait si bien à sa couchette à l’étage supérieur de la VW qu’il refuse obstinément de dormir ailleurs. Petit cours en passant, astucieux et poétique de psychologie de l’enfant.

Toutefois, la robinsonnade est également celle des parents. L’un et l’autre excellent à inventer le monde au gré des contingences. Elle avec une sensibilité en alerte, lui avec un humour qui est la marque des romans d’Outers. Dans ses romans antérieurs, Jean-Luc Outers, excellait à montrer, par de menus écarts de perspective, combien la vie fonctionnarisée dans nos belles contrées pouvait se révéler burlesque. Il n’opère pas autrement en milieu exotique. Une rencontre avec le rédacteur unique du journal d’une bourgade perdue de la montagne mexicaine ou une autre avec deux flics US rendant visite aux voyageurs en pleine nuit, et c’est d’emblée délicieusement drôle.

Roman heureux vraiment ? Sous l’humour cocasse couve ironiquement la déception : Julie finit le voyage seule : bien plus tard, le trio se soumet à une thérapie familiale. Tout demeure possible cependant et voici que repart le road novel : en fin de course, Marian et Julie s’en vont avec Jack, le fils de Luca, en expédition dans le Grand Nord.

Jean-Luc Outers, Le Voyage de Luca, Arles, Actes Sud, « Un endroit où aller », 2008. 19,80 €.

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