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Billet de blog 24 juin 2009

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Alain Badiou : l'hypothèse communiste

Philosophe un peu gourou, tenant d’une radicalité de gauche originale, Alain Badiou est intervenu au fil des années sur bien des terrains, y compris dans le commentaire littéraire et la création théâtrale.

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Philosophe un peu gourou, tenant d’une radicalité de gauche originale, Alain Badiou est intervenu au fil des années sur bien des terrains, y compris dans le commentaire littéraire et la création théâtrale. Il est figure de proue d’une certaine gauche philosophique que les éditions de La Fabrique ont récemment rassemblée dans un petit volume riche et dense intitulé Démocratie, dans quel état ?, où l’on trouve, à côté de son nom, ceux de l’Italien Agamben, des Français Bensaïd, Nancy et Rancière, des Américaines Brown et Ross, du Slovène Zizek.

Mais c’est à sa seule enseigne que paraît un petit livre singulier intitulé L’Hypothèse communiste, où, dès le préambule, l’auteur passe en revue les diverses catégories d’échecs qu’a connus la gauche révolutionnaire et marxiste au cours des deux derniers siècles et jusqu’à en proposer une typologie. Mais là n’est pas tout son propos.

Reprenant certains de ses articles et conférences datant soit du début de notre décennie soit de l’an dernier, Badiou entend réaffirmer sa conviction que le projet communiste demeure plus que jamais prégnant et pertinent. À cet égard, il entend reprendre trois moments révolutionnaires qui éclairent utilement ce projet tant parce qu’ils touchent à l’essence même d’un communisme en gestation que parce qu’ils montrent en quoi et pourquoi l’affaire a mal tourné. Il est ainsi question successivement de Mai 68 et en France, de la Révolution culturelle de Mao et des gardes rouges, de la Commune de Paris. L’auteur va donc à rebours de l’Histoire en trois évocations, dont la première fait triptyque et qui valent chacune par un aspect différent.

De l’ensemble « mai 68 » on retiendra l’idée forte selon laquelle l’événement consista en plusieurs mouvements superposés. « La force, la particularité, du mai 68 français, écrit l’auteur, est d’avoir entrelacé, combiné quatre processus finalement très différents » (p. 41). Soit 1° la révolte de la jeunesse lycéenne, 2° la plus grande grève générale de toute l’histoire française, 3° un mai libertaire qui en appela à la transformation des mœurs, 4° la recherche d’une nouvelle conception du politique dans les années bouillonnantes qui ont suivi. Et, conclut Badiou, c’est la totalité complexe de cette énorme épisode qui fait véritablement sa grandeur. Le volet Révolution culturelle chinoise est le plus délicat, bien sûr. Pour Badiou, cette terrible convulsion qui couvrit des années et conduisit à des catastrophes est à retenir pour la volonté de Mao de combattre le stalinisme et sa conception de l’État-parti. Et, si l’événement mit au jour des valeurs révolutionnaires nouvelles à portée universelle, ce fut en réalité durant une bien courte période allant de mai 66 à septembre 67 ! Le plus beau chapitre de l’ouvrage concerne la Commune de Paris. Jargonnante, l’analyse y est néanmoins magnifique. Citons par exemple : « L’absolutisation de l’existence politique ouvrière — l’existence de l’inexistant—, convulsive et écrasée, n’en a pas moins détruit la nécessité d’une forme essentielle de sujétion : celle du possible politique prolétarien à la manœuvre politicienne bourgeoise (à la gauche) » (p. 175). Et l’auteur d’ajouter plus nettement : « La Commune a, comme tout événement véritable, non pas réalisé un possible mais elle l’a créé. Ce possible est tout simplement celui d’une politique prolétaire indépendante. » (p. 175). Voilà qui paraît rejoindre Marx écrivant : « La plus grande mesure sociale de la Commune était sa propre existence en actes. »

Tout cela renvoie, si on lit bien, à une conception plus ou moins spontanéiste de la révolution, une révolution se produisant d’elle-même et générant une société nouvelle sans être encadrée d’emblée par un parti, un pouvoir structuré, un État. Voilà qui devrait donner matière à réflexion à la gauche désemparée d’aujourd’hui. Toutefois, envers cette gauche trop souvent récupératrice, l’auteur exprime le plus grand dédain. Dans un dernier chapitre de ce cette Hypothèse communiste libre et stimulante, Alain Badiou revient à la philosophie pure et dure et à sa référence platonicienne favorite avec, en point d’orgue, la précieuse indication que l’on ne peut mener sa vie sans une idée.

Alain Badiou, L’Hypothèse communiste , Nouvelles Éditions Lignes, « Circonstances », 2009. 15 €.

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