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Billet de blog 30 mars 2010

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Des miasmes aux vaccins, l'étonnante histoire de l'hygiène publique

D'un ouvrage sur l'hygiène publique au XIXe siècle, on pourrait n'attendre que morosité : les misères du monde vues sous un angle avant tout technique. Bien au contraire, Une société à soigner que vient de publier Gérard Jorland, philosophe et historien des sciences, est un livre passionnant alors même qu'il est exigeant.

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D'un ouvrage sur l'hygiène publique au XIXe siècle, on pourrait n'attendre que morosité : les misères du monde vues sous un angle avant tout technique. Bien au contraire, Une société à soigner que vient de publier Gérard Jorland, philosophe et historien des sciences, est un livre passionnant alors même qu'il est exigeant.

C'est du Michel Foucault revu par Alain Corbin. Mais c'est surtout du Gérard Jorland, un Jorland qui, sans grands effets de manche, reconstitue avec soin et intelligence une histoire difficile à écrire tant elle est faite d'éléments multiples. Histoire des corps, des classes et de leurs misères, qui prend l'allure d'une histoire par le bas. Un exemple d'emblée, et pas trop ragoûtant. Tout au long du siècle, l'une des grandes questions est celle des excréments et de la façon de s'en débarrasser en milieu urbain. Très tôt, l'Angleterre recourt à une évacuation par égouts et voies d'eau. En France, nation d'abord agricole, on estime que la merde doit servir à fertiliser les champs. La récupération est donc la grande affaire, réclamant des lieux de dépôt et des vidangeurs. Mais les dépôts puent et répandent des miasmes tandis que les pauvres vidangeurs sont affligés de maladies spécifiques. C'est dire que, pour l'hygiène publique, c'était mal embarqué.

Plus largement, la hantise du siècle est celle de ce que l'on appelle les miasmes (avant que l'on en vienne à une conception microbienne). Pour les combattre, le grand mot d'ordre est qu'il faut à tout prix faire circuler l'air et l'eau pour éviter les milieux confinés, où prennent naissance les maladies. Tout ce qui ressemble à un marais est donc à combattre.

Mais l'ouvrage prend aussi en compte une histoire par le haut, celle des savants nombreux qui se sont mis au service de la salubrité publique. C'est un beau symbole que la période considérée s'ouvre avec Lavoisier et se ferme avec Pasteur. D'un bout à l'autre, elle sera de plus celle d'une collaboration fructueuse entre plusieurs disciplines : médecine, chimie, statistique, science sociale en gestation, pour ne citer qu'elles.

Gérard Jorland met ainsi plusieurs personnalités en évidence et notamment la figure de Jean-Noël Hallé, professeur de médecine au Collège de France, qui eut le mérite de proposer un classement de tous les facteurs avec lesquels avait à faire l'hygiène, qu'elle soit publique ou privée. Il distinguait ainsi les circumfusa (le milieu), les applicata (ce qui touche au corps), les ingesta (ce que le corps absorbe) et les excreta (ce que le corps rejette) ! C'est en s'appuyant sur cette classification que l'on a pu étudier de manière méthodique la morbidité et la mortalité des populations. Ici intervient une autre grande figure, celle de Villermé. Il est de ceux qui vont appliquer la statistique à l'étude des taux de maladie et de mort selon les groupes sociaux, les régions, etc. Villermé démontre ainsi largement, et qui s'en étonnera, que la pauvreté est la source de la plupart des maux

Mais, dans Soigner la société, ce sont certains thèmes adjacents qui accrochent sans doute le plus l'attention. On apprend ainsi que la mortalité des enfants placés en nourrice est au XIXe siècle si considérable qu'elle tient pratiquement du massacre (des enfants pauvres), que la pédophilie était plus que fréquente, que la falsification du lait à l'aide d'eau –véhiculant des microbes– était cause de maladie, ou encore que les mauvaises odeurs incommodaient tellement Paris qu'une commission « les odeurs de Paris » fut créée.

À partir de la guerre franco-prussienne et des épidémies qu'elle provoque, la France s'inquiète, montre encore Jorland. C'est que la mortalité épidémique se double d'une dénatalité. On parle de plus en plus de dégénérescence du pays. Et le roman d'époque, naturaliste ou décadent, explore largement le thème. Les maladies de l'hérédité (syphilis, alcoolisme) sont mises en cause. La question se fait politique. C'est aussi qu'en France existe un terrible hiatus entre une connaissance hygiéniste très en pointe et un libéralisme du laisser-faire en matière de mesures à prendre. Cette impuissance peut s'expliquer par la succession des régimes et donc des orientations politiques au cours du siècle. Mais il y a surtout que les décisions prises ne sont pas appliquées et que les commissions désignées ne fonctionnent pas.

Peu à peu et en réaction va se former une sorte de parti de l'hygiène, qui fera par exemple élire des médecins au Parlement. Se dessinera ainsi une idéologie solidariste rompant avec le libéralisme qui prévalait. En fin de siècle, l'amélioration des conditions alimentaires comme la vaccination voudront tout de même que la mortalité diminue et que, pour une partie de la population, l'espérance de vie s'accroisse.

Gérard Jorland, Une société à soigner. Hygiène et salubrité publiques au XIXe siècle. Paris, Gallimard, « Bibliothèque des Histoires », 2010. 27 €

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