C’est encore une scorie du sommet « Choose France » de mai 2024 initié par Emmanuel Macron : le projet EMME - pour Electro Mobility Materials Europe - prévoit de construire une gigantesque unité de production de sulfates de Nickel et de Cobalt, composés chimiques indispensables à la fabrication de batteries pour véhicules électriques, à Parempuyre, dans une zone agricole inondable en bordure de Garonne. L’usine, dans son écrin de nature massacrée, sera classée Seveso « seuil haut », le niveau le plus élevé en termes de dangerosité compte tenu des quantités importantes de substances dangereuses qui y seront produites et stockées, et présentant donc un risque majeur de pollution de l’estuaire. Afin de tenter de lever les réticences des associations environnementales et des riverains, des réunions d’information et de concertation se sont tenues depuis le 24 mars dernier dans le cadre de la Commission Nationale du Débat Public. Ce processus de démocratie participative purement formel se termine le 14 mai et les garants des débats auront alors un mois pour rédiger un bilan et formuler des recommandations qui ne seront absolument pas contraignantes pour les décideurs. Connaissant le sort habituellement réservé aux doléances issues des débats citoyens dans notre pays, il n’est nul besoin d’être grand clerc pour prédire que la future raffinerie de nickel et cobalt verra le jour dans des conditions susceptibles de satisfaire avant tout les intérêts de l’exploitant et d’en garantir la rentabilité. Les riverains, les associations de défense de l’environnement et tous les oiseaux de mauvais augure peuvent toujours piailler. . .
La transition écologique ne peut attendre, il faut décarboner massivement et vite ! Les décideurs locaux et notamment le Conseil Régional d’Aquitaine soutiennent tous les projets qu’ils soient privés ou publics qui s’inscrivent dans le cadre de cet objectif salvateur qui va permettre d’éteindre l’angoisse du réchauffement climatique et faire taire tous les détracteurs du progrès et de la croissance.
Au nom de la décarbonation, on rase donc les forêts, on assèche des zones humides, on anéantit des zones classées Natura 2000, on stérilise des zones agricoles pour implanter, ici des usines pour batteries, là des champs de panneaux photovoltaïques (« la plateforme énergétique bas carbone » Horizéo de Saucats pourrait d’ailleurs revenir dans l’actualité si la loi qui fixe l’objectif de « zéro artificialisation nette » est assouplie), ou bien encore pour tracer des lignes à grande vitesse afin de relier le plus vite possible tous les acteurs de cette nouvelle économie.
L’imposture est aussi gigantesque que les giga-factories qui éclosent un peu partout afin d’alimenter en énergie des SUV électriques qui réclament pour rouler vite et en sécurité toujours plus d’ autoroutes et de contournements routiers.
Ce délire technicien qui est consubstantiel au capitalisme et nourri en permanence par le pouvoir ne peut qu’enfler jusqu’à son seuil de retournement, c’est-à-dire jusqu’au point où l’accumulation conduira à l’étouffement du système soit par la pénurie de matériaux indispensables à son approvisionnement soit par la survenue d’accidents ou de catastrophes dont la panne d’électricité géante que viennent de subir l’Espagne et le Portugal
En attendant, des emplois sont créés et les patrons savent très bien en jouer auprès des politiques pour justifier la création ou le maintien de n’importe quelle cochonnerie industrielle ou commerciale.
Dans le cas du projet EMME, la création d’emplois sur la métropole bordelaise se fait d’ailleurs au détriment du développement de la Nouvelle Calédonie qui sous la pression des autorités françaises continue à exporter son Nickel brut au lieu de développer sur place une activité de raffinage et de création de valeur ajoutée bénéficiant aux populations locales.
Une réflexion de Bertrand de Jouvenel cité par Jacques Ellul dans son livre Le bluff technologique illustre l’inconséquence de la société de consommation et de croissance actuelle et des politiques qui ne savent pas penser globalement: « Nous détériorons notre environnement non seulement comme individus, lorsque nous nous conduisons comme des brutes ignorantes, mais aussi en tant qu’agents au service d’une fonction sociale utile quand nous conduisons les opérations d’une manière qui est rationnelle relativement à notre objectif mais irréfléchie et dommageable du point de vue de l’ensemble »