Billet de blog 29 octobre 2024

Jean-Luc GASNIER (avatar)

Jean-Luc GASNIER

Inactif en activité, membre d'ATTAC33, de nationalité française mais terrien avant tout

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Bordeaux-Toulouse en TGV, année 2034

Le TGV était exceptionnellement parti à l’heure prévue pour Toulouse mais il était maintenant immobilisé sur le viaduc enjambant le Ciron. . .

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le TGV était exceptionnellement parti à l’heure prévue pour Toulouse mais il était maintenant immobilisé sur le viaduc enjambant le Ciron. Hugo X avait hésité mais il avait finalement opté pour une place en première 4.0 HC VIP avec une hyper connectivité garantie. C’était cher mais vraiment beaucoup plus confortable qu’en seconde. Chaque passager disposait d’un espace surdimensionné par rapport aux normes européennes, les tablettes rabattables étaient larges et  le nouveau dispositif de cloisonnement phonique assurait selon la compagnie espagnole qui exploitait le tronçon de ligne “un confort de travail optimal pour une clientèle exigeante”. Les  écrans tactiles, dotés de l’IA , incorporés aux dossiers des sièges passagers, permettaient de participer à des visioconférences et d’avoir un accès à tous les médias français et étrangers par le biais d’ instructions vocales. On pouvait obtenir sur l’écran un condensé de différents articles sur un sujet donné avec, en outre, un certain nombre de mots clés et d’éléments essentiels sélectionnés en surlignage. Hugo X avait jugé que ce service était vraiment intéressant, il allait pouvoir préparer son intervention à l’université de Toulouse Mirail, d’autant plus que le temps de trajet effectif était très souvent plus long que prévu, de mauvaises langues affirmaient que la durée de 1h05 annoncée par les promoteurs du projet ferroviaire GPSO n’avait été tenue que le jour de l’inauguration !  Hugo X se rendait à une session décentralisée de la COP 21 sur la biodiversité, en tant qu’adjoint au maire de Bordeaux en charge des espaces verts, pour parler notamment de la réintroduction du pigeon dans les parcs et jardins des centres-villes. La population des pigeons s’était totalement effondrée au cours de la dernière période de canicule sévère durant l’été 2030 où la température avait connu pendant deux semaines des pics à plus de 45° sans jamais descendre en dessous de 26° la nuit dans le centre ville de Bordeaux. Chaque matin, pendant ce mois d’août 2030, les rares employés municipaux qui n’étaient pas en congé ou en arrêt maladie, avaient rempli des bennes  entières avec des volatiles décharnés, A l’automne suivant, il avait bien fallu se rendre à l‘évidence : les pigeons semblaient avoir déserté définitivement, par une sorte d’adaptation un peu mystérieuse, les centre-villes du sud de la France. Le maire écologiste de Bordeaux considérait que les parcs bordelais y avaient perdu beaucoup de poésie et avait chargé son adjoint aux espaces verts de tenter un repeuplement. Beaucoup d’autres espèces d’oiseaux avaient disparu mais le maire semblait avoir une tendresse particulière pour les pigeons. Hugo X espérait que ce problème serait accueilli avec bienveillance et un minimum d’écoute par les autres conférenciers. . . 

La rame était toujours à l’arrêt. Les voyageurs qui empruntaient régulièrement la ligne étaient maintenant habitués, les sautes du climat et les phénomènes météorologiques extrêmes occasionnaient des incidents divers et une maintenance qui entraînaient un allongement du temps de trajet.

Les pluies diluviennes du mois de septembre avait déstabilisé les talus servant d’appui aux  piles du viaduc et, après une interruption de plus d’un mois pendant lequel tout le trafic avait été basculé sur l'ancienne ligne, les travaux de réfection et de consolidation nécessitaient une vitesse très réduite sur le tronçon. Mais cet arrêt était inquiétant. . . 

De son siège, Hugo X pouvaient apercevoir le Ciron en contrebas et des équipes d’ouvriers qui s’affairaient autour d’une des piles du viaduc. Le cours d’eau avait repris un débit normal, il était bien visible, la hêtraie, vieille de 40.000 ans, qui le recouvrait dans les années 20 avait complètement disparu. Les travaux de construction de la ligne l’avaient détruite en partie et les bouts de forêt restants n'avaient pas résisté aux épisodes caniculaires, notamment celui d'août 2030. Tout le milieu aquatique en avait pâti, la hausse de la température des eaux du Ciron et un débit considérablement amoindri pendant les périodes de sécheresse  avait été fatale à l’écrevisse à pattes blanches, à la Cistude, à la loutre, etc.  La Conseil régional avait communiqué sur ses efforts de compensation en subventionnant  l’implantation  d’une forêt de cactées et succulentes  sur les berges du Ciron mais leur adaptation était particulièrement poussive et de la fenêtre du train, Hugo X pouvait en apprécier le piteux résultat.  

Une voix féminine retentit soudain.   En raison des travaux, le TGV aurait probablement une heure de retard. La compagnie  s’excusait pour les désagréments occasionnés qui étaient indépendants de sa volonté.

Hugo X se demanda comment des décideurs avaient pu être assez stupides et inconséquents pour investir 20 milliards d’euros - l’enveloppe de départ de 14 milliards d’euros avait été largement dépassée - dans un projet qui avait détruit tout un écosystème remarquable alors que la modernisation de la ligne SNCF existante aurait rendu quasiment les mêmes services. 

Hugo.X revint à ses préoccupations du moment. Il demanda alors à l’IA de lui proposer une brève synthèse des déclarations des responsables politiques lors de la journée d’inauguration de la COP qui avait eu lieu la veille. Deux  phrases apparurent sur son écran :  

Tout devait être mise en oeuvre pour enrayer le déclin de la biodiversité et sauver les 10 % d'espèces animales et végétales restantes, la survie à court terme de l’humanité était en jeu 

La France qui accueillait la COP s’engageait solennellement à réduire de 50% sa consommation de pesticides et à respecter désormais son objectif de zéro artificialisation nette des sols  

Hugo.X eut une bouffée d’éco-anxiété, il pensa à ses pigeons et éteignit son écran.

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