Billet de blog 5 mars 2012

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la femme du veuf

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La femme du veuf n’était pas veuve et n’avait pas belle allure, certes, le cul par terre, les genoux relevés, le dos contre le lit, la tête sur la couverture bleue. La tête ? pas exactement. Ce qu’il en restait de la tête de la femme du veuf qui me regardait, un flingue à la main, d’un air égaré. Elle avait été salement amochée la femme du veuf. Un objet contondant, sshllackk, en pleine poire. Et la poire qui éclate. Pas beau à voir une femme de veuf surtout quand le veuf est debout près du lit, un flingue à la main gauche, un tic à l’œil droit et dans la mâchoire quelque chose qui dit qu’il veut vous flinguer.

J’avais beau lui expliquer au veuf que je ne l’ai jamais vue sa veuve, jamais, que j’ai rien mais rien à faire avec ça, il ne veut pas comprendre. C’est lui sans doute qui l’a zigouillée sa mousmé et il veut me faire porter le manteau, la pelisse, et la chaîne au bout. J’ai la tête un peu embrouillée. Je sens qu’il hésite, s’interroge peut-être.

Je fonce : «  écoute, j’lui dis, moi j’m’appelle Philippe, j’habite sur le même palier, au bout à gauche, j’ai trouvé la porte ouverte. J’suis rentré, pour voir, comme au poker, pour voir, voir…et voila ce que j’ai vu, là, en même temps que toi qui arrivais par la porte de la chambre. T’as bien du me croiser, on s’connait, on est voisin,…j’ sais pas, mais arrête de me menacer avec ce flingue, veuf d’accord c est pas drôle mais assassin c est pire encore ! »

- »Philippe Masset, né le 12 Mars à Juvisy, 30 ans, rmiste et ivrogne notoire, deux mois de préventive pour vol, aggravé de voies de fait dans un grand magasin et toujours à la recherche d’un bon coup pour se remettre à flot ».

Qu’il récita d’une traite sans me quitter des yeux.

L’était bien renseigné.

J’en suis resté baba entre le veuf et la femme du veuf qui continuait à perdre son sang sur la couverture bleue, doucement, un goute à goutte de la mort.

-C’est pas parce qu’on a piqué un futal qu’on est un assassin.

C’était sorti comme ça, des tripes.

-On commence par un futal on termine avec deux balles.

Qu’il répondit du tac au tac.

Trop tac pour moi pour que je ne tique. On n’était pas au théâtre. Il était armé.

J’aurais bien voulu lui expliquer qu’il y avait trente ans, quasi l’année de ma naissance, un vague médecin, Tournesol poilu et bouclé qui avait l’oreille des Princes qui nous gouvernent et du poil dans les icelles d’oreilles avait aussi fait décréter que tout fumeur de joint était un sniffeur de coke et un junk en puissance. Il s’’enclencha alors et derechef contre le cannabis, l’herbe, le joint, le pétard une guerre qui mobilisa pendant des décennies des brigades complètes de gendarmes, des prisons entières, des milliers de juges, et d’ avocats, bref abouti à des milliers et des milliers d’arrestations, de procès, d’incarcérations, une telle paperasse qu’aucun lecteur acharné ne pourrait en venir à bout sa vie durant et tellement d’argent, qu’en tonneaux des Danaïdes, Justice et Intérieur, en demandaient toujours plus. Tout cela, pour qu’un soir il déclare dans une émission anodine de télé et après qu’il eut chanté les charmes du cassoulet toulousain, qu’il s’était trompé, qu’en fin du fin de la fin d analyse, après des années et des années d’expérience, non, comme le pensaient depuis 30 ans hollandais ; espagnols et la plus grande partie de la planète savante, il n’y avait pas d’escalade, que le jointé n’était pas un junk en herbe et qu’un voleur de futal un assassin qui s’ignore.

Mais si tant est que j’eusse eu la force d’aller sans trembler jusqu'au bout de mon histoire, rien mais rien ni surtout personne ne peut dire affirmer et soutenir qu’il l’eût, lui, écoutée jusqu’au bout, l’histoire, et qu’avant que j’en vinsse à la morale, comme dans les Fables de La Fontaine, car c est, cette histoire, une fable de La Fontaine version fin XXème, je risquais fort de me retrouver navré et navré de l’être. Se faire dessouder par un pervers veuf de surcroît, quasi sur l’étal de son méfait et le corps de sa mégère, et passer à la postérité sous la forme d’un violeur gérontophile, même pour un voleur de futal, le moins qu’on puisse en dire est que ça fait pas propre sur soi.

Ce dont.

Il me regardait d’un œil halluciné. Il tremblait légèrement.

Ni jointé, ni shooté, ni alcolo, ni fonctionnaire il semblait appartenir a une espèce rare en voie d’extinction par excès d’agitation intra-biliaire bien qu’il fut armé d’un feu grand modèle.

La femme du veuf s’écoulait doucement et dans le grand silence, tout ourlé des bruits lointains de la ville. Toc, toc.

A devenir toqué.

-« alors on fait quoi ? »

Rien n’est plus angoissant que le silence. Surtout quand il est grignoté par les souris et les rats de la réalité. Aussi devais je le rompre, à tout prix, comme le pain au mont des amandiers ou comme la glace sur laquelle Jarry tira.

Mais il ne répondit pas me regardant toujours de ces yeux fixes, le pétard tremblotant au bout d’un bras, qu’il avait long dans son costume râpé, vaguement gris et à rayures.

Il renifla. Je crus qu’il allait ouvrir la bouche et me permettre de sortir de ce filet de silence qui me retenait prisonnier, mais rien.

-« asthme ? » fis-je pour désenrhumer l’atmosphère 

-« Emphysème » qu’il me répondit.

Je respirais.

-« Comme tante Jacqueline, lui rétorquais-je en souriant. A chaque minute on respire moins, moins d’air, moins d’échange, moins de mouvements..jusqu’à l’immobilité totale. J’connais. »

-« Touché ? » qu’il me fit.

Et je sentis la grande aile de la mort m’effleurer en passant.

-« Moins qu’elle fis-je en désignant la Germaine qui tranquillement dans le grand repos de la mort se vidait comme volaille de son sang.

-« tout ca n’est qu’illusion fit il soudain pépére

La métaphysique près d’une volaille en train de s’égoutter c’est comme chant des sirènes pour un dromadaire sourd et orphelin .. A servir au compte-goutte. Mais l’arme lentement s’abaissait quittait sa ligne de mire, c est à dire moi.

-J’suis peut-être veuf dit il mais ca fait longtemps.

-Pas plus d’une heure à en juger par la quantité de sang répandu et le débit du robinet. Vous avez je suppose fréquenté l’école primaire. Répliquais-je vaguement outré et en colère.

-j’suis pas veuf de cette veuve là dit il ?

Le veuf c est vrai n est pas le mari de la veuve et la veuve la femme du veuf pensais je. Mais alors ou était le veuf de cette veuve là qui dormait de sa triste mort si le veuf qui était là était veuf d’une autre qui ne pouvait donc être veuve puisqu’il était vif ? Pas de veuf si vif ou plutôt il n y a de veuf que s’il y a pas de veuve... Qui est le veuf d 'une veuve? Vive le veuf peut être ?

-Il est mort sans doute répondit l’homme comme s’il avait pu lire dans mes pensées.

-Et vous êtes bien vivant ajoutai-je guilleret

Il me regarda visiblement interloqué.

-Ca vous choque demanda t il ?

-Pas plus que ça mais vous avez, reconnaissez le, le chic pour choquer.

-Je suis coiffeur m’interrompit-il

-Cela explique t il que je vous trouve ici, veuf et néanmoins armé, me menaçant de votre arme prés de cette veuve qui goutte. ?

-Sans doute, sans doute mais qui peut le dire ? Allah est grand et je ne suis pas son prophète. Vous non plus qui de voleur de futal et fumeur de pétales ferait un assassin fort présentable devant la justice des hommes.

Je n’avais, vous l’avez compris, pas la fibre métaphysique et la seule justice qui m’importât vraiment était celle des hommes , justice dont j’entendais me tenir le plus éloigné possible, car, humaine, elle n’en était souvent que trop humaine et jugeait à la tête du client. Quant à ma tête elle ne plaisait pas, elle n’avait jamais plu bien qu’elle n’ait rien qui ressemblât, même de loin, à celle, éclatée, de la veuve du veuf coiffeur qui ayant rangé son feu s’allumait une cigarette en fronçant les sourcils sans se soucier de moi, d’elle… et de la porte qui soudain s’ouvrit sur un jeune bien rasé, costume seyant gris rehaussé de jaune, casquette idoine sur l’oreille, sacoche en bandoulière et lettre à la main.

-Un recommandé dit –il en s’avançant.

Il eut été sans doute plus sage pour lui et pas recommandé du tout de ne pas venir agrandir le cercle de famille autour de la veuve prostrée dont le sang n’en finissait pas quoique plus lentement de goutter sur la couverture bleue.

Il ressemblait, quand d’un geste brusque et contemplant le charnier il eut retiré sa casquette, à un trotskiste carnivore. La barbichette en moins.

- Veuve Dubois ? hocqueta-t-il, le bras tendu et, au bout, son poing toujours fermé sur le recommandé, s’adressant au volatile définitivement muet qui s’égouttait toujours devant lui.

-Dupont veuf dit soudain mon coiffeur en lui tenant brusquement la main.

-Chaïm Topok répondit le facteur en lui serrant derechef la main ..et il ajouta « mes condoléances…. !! »

-Y avait vraiment pas de quoi j’suis pas le veuf de cette veuve là.

J’eus soudain envie d’ajouter qu’au royaume des veufs les morts sont trois mais j’estimais que ce n’était pas le moment ni l’endroit et puis Le facteur ne m’en laissa pas le temps.

-Donc vous ne signez pas ?

Un recommandé adressé à une veuve au crane défoncé assise dans son sang la tête sur une couverture bleue est en lui-même un acte qui se doit d’être signé.

-Si dit le coiffeur je signe ?

- au titre de veuf ?

-Non avoua-t-il soudain , je suis policier.

-Mais je vous croyais coiffeur ?

-Pourquoi voulez vous qu’il n’y ait pas de coiffeurs dans la gendarmerie ?

-Mais...

Il m'interrompit, énergique, comme réveillé

- »C'est mon beauf qui est veuf assena t il

Le facteur enleva de nouveau sa casquette

-Pour cela il eut fallu que ce fut votre soeur qui s 'égoutât là.

-C'est.

-Et mon accusé intervint le facteur qui avait d 'autres lettres à fouetter

-Mon beauf est roux répondit catégorique le coiffeur gendarme.

-Que votre beauf devenu veuf soit roux ne nous rien sur l'origine du crime. Qui a tué ? Telle est bien la question, car qui a tué tuera. Répliquai-je in petto

-Et qui va signer là , votre beauf devenu veuf ou vous coiffeur et gendarme et beauf d'un beauf veuf mais peut-être pas assassin ..se lamenta lamentablement le facteur pâle et néanmoins carnivore qui derechef et sans coup férir avait remis sa casquette, retiré et remis de nouveau en un ballet et tour de main quelque peu convulsif qui devait certainement attester de son angoisse latente et cependant certaine.

Il y eut un long silence.
J'avais surtout envie de partir mais craignait toujours que ma fuite soit mal interprétée car on ne savait toujours pas ce que faisait là le boeuf du veuf coiffeur de son état et armé de surcroit.

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