« Manier savamment une langue, c'est pratiquer une espèce de sorcellerie évocatoire. » Charles Baudelaire
À vos chaudrons !
Les paradigmes artificiels
Ou comment cuisiner les fleurs du mal
Sous un chaudron magique, allumer une flamme
L’enduire d’une noix cérébrale d’un gramme
Rissoler en douceur la mine d’un crayon
Qu’elle prenne couleur d’un solaire rayon
Ciseler finement quelques belles racines
Déplumer la corneille, effeuiller capucines
Farcir le bel oiseau de maux des fleurs du mal
Les beaux mots sont légion, l’oignon est lacrymal
Châtiment de l’orgueil où la muse malade
Se transforme souvent en mauvaise salade
Et donne à votre plat un vil goût de graillon
L’auteur éclaboussé devient écrivaillon
Le cuisinier cuistot déchu de ses étoiles
Ne pas troquer sa toque il faut tendre les voiles
Du plus beau bateau ivre et arroser ses vers
D’un parfum exotique et d’horizons divers
Un fumet érotique, aube spirituelle
Calembour anarchique, essence rituelle
À chacun sa chimère et son spleen de Paris
Faites bien macérer ou bien vos bains marris
Auront goût de néant, de soupe et de nuage
Brouet de pacotille ou homard à la nage
Choisissez votre larme et faites-en nectar
Pour que l’âme du vin révèle son caviar
Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse
Enivrez-vous de mots qui comme une caresse
Deviendront velouté pour le chat noir d’Edgar
C’est la potion magique et non le canular
Qui fleurit le palais, exalte les papilles
Fait palpiter le cœur, dilate les pupilles
Le feu de l’amour s’éteint s’il n’est entretenu
Par la dive vestale et perd son contenu
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Que vos yeux las et gourds dessinent un gris cercle
Broyez votre tristesse en l’harmonie du soir
Faites la décoction de votre désespoir
De vos larmes salez et épicez votre prose
Qu’elle ait la saveur de l’entêtante rose
Flambez tout au cognac pour brûler le poison
Armagnac ou whisky, déglacez à foison
Faites du ciel brouillé des œufs montés en neige
Exilez l’amertume avec du sucre beige
Quand l’amour et le crâne emmêlent leurs pinceaux
Tamisez la cervelle évacuez les grumeaux
Portez l’ébullition jusqu’à son paroxysme
Réduisez le bouillon avant le cataclysme
Écumez s’il le faut avec un doux pochoir
Couvrez et mijotez à l’aide d’un mouchoir
Salez le riz aux mots à chevelure d’ange
D’une larme de peur qu’il ait un goût d’étrange
Le tonneau de la haine est à bannir du pot
Il est bien trop amer, enlevez le dépôt
Épépinez les grains, raisins de la colère
Faites-en un coulis avec le caractère
De la femme sauvage ouverte aux tentations
D’un baiser à la sauge et sans modérations
Votre oiseau est à point il a la fière allure
D’un albatros ailé merveilleuse encolure
Le fou et la Vénus de mille mots baignés
De brouet libertin à mi-cuisse imprégnés,
Bouquet de libre thym qui invite au voyage
De vos sens gustatifs sans qu’il fasse naufrage
Plongez votre oisillon dans l’écume du jour
Imprégnez la ganache et mettez-là au four
Arrosez de grenache et préparez la panse
Les bienfaits de la lune et le serpent qui danse
Transforment votre corps en des palais gourmands
Servez sur lit de vers et le vin des amants
Dans des coupes cristal aurore boréale
Dégustez au flambeau dans la nuit vespérale
Les bons mots de Calliope avec moderato
Euterpe rythmera l’élégie d’Érato
Melpomène tragique et la belle Thalie
Uniront Polymnie aux cieux d’Uranie
Clio vous contera l’histoire de l’amant
Brûlé par Terpsichore et son pas si charmant
Plongez-vous dans le spleen pour découvrir l’énigme
Et dans les fleurs du mal les clés du paradigme
Manier savamment une langue, c'est pratiquer une espèce de sorcellerie évocatoire
Marier même suavement l’harangue c’est pratiquer une espèce de sorcellerie écumoire…
Voilà c’est dit !