Je pense qu’on n’a pas le droit de juger la langue, ni les mots, ni les expressions. Qu’on s’en prenne à ceux qui les utilisent mal, passe encore. Mais Monsieur, la langue, elle, elle est maternelle, elle élève ses mots (marmots!) du mieux qu’elle peut, et si certains font l’école buissonnière, elle ne les en aime pas moins pour autant.
Nous parlons une langue vivante qui, contrairement à nous, et grâce à nous, garde éternellement sa jeunesse. Certains mots naissent à un moment, vivent un certain temps, puis disparaissent; beaucoup d’autres perdurent indéfiniment mais changent de sens deux ou trois siècles plus tard; certaines expressions à la mode à une époque se retrouvent après des lustres avoir changé et de forme et de sens, et on n’en connaît même plus l’origine. Heureusement! c’est ce qui fait la richesse de notre langue, sinon nous parlerions encore la langue de François Premier!
Rappelons nous que la France n’est francophone que depuis 90 ans à peine. En 1896 il y avait environ 25 millions de français pour qui la langue française était une langue étrangère, sur 39 millions! Les 5 ou 6 millions qui parlaient un français langue maternelle se trouvaient à Paris et dans sa région, et dans la bourgeoisie des grandes villes; plus bien sûr les curés, les instits, les notaires et les juges (on ne peut pas ne pas se rappeler la chanson de Brel “Les bourgeois”! ou Brassens “...menton rasé, ventre rond, Notaire...).
Mais apparemment notre auteur, qui nous assène sans arrêt des “de mon temps”, “en un temps que les moins de vingt ans...”, ne vit pas avec son temps, je veux dire avec le nôtre, le XXI° siècle (“ privilège de l’âge”, “je suis plutôt minitel qu’informatique”). Je ne sais plus quelle personne à qui quelqu’un répétait sans cesse ce “de mon temps”, lui répondit : “De mon temps, Monsieur, ce qui était mieux, c’était l’avenir!”.
Non, il regrette ce bon vieux temps où le français était réservé à une élite aristocratique.
Notre auteur est un puriste, et je ne résiste pas à vous donner de ce mot la définition du Larousse :” Attitude consistant, dans l’usage de la langue, à réduire ou même à proscrire les écarts (évolutions, emprunts) par rapport à un état passé de cette langue érigé en norme idéale et intangible”. Mais à quel moment de notre histoire la langue française a-t-elle été pure, “un français correct”? “Dans le temps”? Car la langue ne cesse jamais d’évoluer et d’emprunter.
A peine la France commençait-elle à parler français que les puristes se mirent à la tâche : “Notre langue est mise en péril par l’homme de la rue, par les gens du monde, par les ignorants de tout poil comme par les bacheliers qui ne savent plus écrire, par des journalistes, par des politiciens, par des amateurs de sport, par des rond-de-cuir” (Moufflet, 1930, Contre le massacre de la langue française).
Et ça a continué... Jean Dutour (de l’Académie Française!) : “Submerger la France sous un afflux de mots étrangers et de néologismes hâtifs fabriqués par des techniciens ou des marchands finit par détruire non seulement la langue elle même, mais encore le passé, l’histoire, les coutumes, les traditions, les métiers, les vieilles recettes et surtout cette si charmante chose qu’est le génie national”. (Cités dans Marco Wolf).
Ca rappelle les 100 mots à sauver de B. Pivot! On s’accroche!
L’auteur nous sert des expressions qui étaient nouvelles “de son temps” et qui ont perduré, mais “de son temps”, il y avait déjà des puristes qui vouaient ces nouvelles expressions aux gémonies, et d’ailleurs, beaucoup ont disparues; sort qui attend la plupart des expressions qu’il met à la poubelle. Le temps, lui, fait bien son travail.
Et ô surprise, à la page 100, il me donne raison, enfin, presque! Il confirme que “de son temps”, certains mots désespéraient les puristes de la langue française (dont il ne faisait pas encore partie), mais “malheureusement s’afflige que certains aient perduré, comme “covoiturage” ou “professeure”” (antiféminisme?).
On trouve même page 74 un “les temps changent et les mots aussi”...un peu nostalgique?
L’auteur cite George Orwell dans 1984 :
“ L’introduction de mots nouveaux ou la suppression de mots anciens dans le langage sont un puissant moyen de manipulation des esprits”. Mr Orwell devait être comme lui un puriste, mais en plus il confondait les mots avec “l’utilisation des mots”, qui entre effectivement dans le système de propagande et de publicité de tous les temps et particulièrement du nôtre (voir l’utilisation abusive des oxymores dans le langage politique et publicitaire contemporain).
C’est l’inventivité et la créativité qui font la richesse d’une langue. Un exemple me revient à l’esprit qui me plaît bien : quand on a commencé à mettre des slogans sanitaires sur les paquets de cigarettes, on pouvait lire “Nuit gravement à la santé”. Aussitôt, dans je ne sais trop quelle banlieue (pauvre! peut-être le 9-3?), les cigarettes se sont appelées des “nuigraves”, et on pouvait entendre : “T’as pas une nuigrave?”. Ô poésie et imagination de la langue et de tous ses amoureux!
Bien entendu, et c’était prévisible, le mot n’est pas resté.
Je suppose que l’auteur, “de son temps”, n’aimait pas San Antonio, cet inventeur fou, et que l’argot lui a donné des boutons. Brassens était bien interdit de certaines de ces chansons à l’époque! Puriste n’est pas très loin de puritain!
Mais il y a une chose que l’auteur n’a pas l’air de savoir, c’est le nombre de français qui sont amoureux de leur langue, de leur langue telle qu’elle vit, de leur langue telle qu’ils la vivent, et non de la langue telle qu’elle fut (bien que la langue dans tous ses états antérieurs soit on ne peut plus respectable et respectée, et admirée, bien entendu).
(Curieusement pourtant on peut lire sous sa plume, dans une interview de mars 2005: “ Il y a en France un engouement pour la langue que l’on ne peut comparer à aucun autre pays.” Mais méfions nous, les puristes aussi on un sacré engouement pour la langue!).)
A propos du XVI° siècle: “ Erreur, ténèbres, ignorance, superstitions, folie, que la prise du “populaire” sur le langage. Allez de Rabelais (ou les poètes de la Pléiade) au XVII° siècle: l’appauvrissement de la langue a quelque chose de sidérant, au terme d’une prodigieuse activité chirurgicale. 1549: Du Bellay publie sa “Défense et Illustration de la Langue française”. “ Avec le groupe entier de la Pléiade, il défend l’idiome devenu national contre ceux qui le condamnent aux besognes serviles, hommes d’église ou régents de collège, humanistes qui ne jurent qu’en latin. La langue sera enrichie, on accueillera les archaïsmes, les néologismes, les termes de métier, on absorbera les éléments utilisables des dialectes et parlers locaux”.
Et même: “on puisera dans le peuple pour lui faire une jolie langue qui ait de l’éclat et du goût au palais!”
(Duneton, “Parler Croquant” Stock).
Mais voilà, “enfin Malherbe vint”... qui marqua le début de la coupure radicale entre la langue française et le peuple de France, du refus catégorique de toute racine populaire dans la langue et la tradition française.
“La langue française, débarrassée de ses impuretés, c’est à dire de sa saveur populaire, on lui voyait sa trame latine - elle avait trouvé une rigueur grammaticale sur la quelle veillaient avec autorité des officiels jaloux.” L’Académie Française nous fut imposée, dont le but affiché était de “nettoyer la langue des ordures qu’elle avait contractées.”
Il semblerait qu’on soit en manque de Du Bellay dans notre pays! Trop de Malherbe!
A propos de l’argot, Michel Le Bris: “Exclue de l’universalité, la langue si riche que nous trouvons encore chez Rabelais se fait argot... Là se dit l’invention, la joie de parler, les mots justes qui font image et nouent des rapports de connivence: fermée aux maîtres qui y voient “une langue ignoble et obscène qu’il est impossible de rendre, tant est flottante et diverse la signification des mots” (Gaboriau), créée pour s’en défendre mais aussi s’en moquer, irrespectueuse, rieuse, poétique et surtout prodigieusement vivante, elle est le peuple, qui s’y dit, s’y pense, s’y reconnaît”.
Ce qui me fait poser la question : Quelle cible vise notre auteur? D’après ce que je vois, ce serait plutôt les jeunes (djeuns), les ados, et le vulgum pecus plutôt prolétaire, ouvriers de fonderies, serveurs et serveuses de restaurants( Marco Wolf: “Il n’y a que dans Molière qu’on peut renvoyer une servante “à cause qu’elle manque à parler Vaugelas” “), gardiens de prison, piliers de bistrot (voir les “Brèves de comptoir”), immigrés (qu’on associe bien vite à “terroriste”), SDF (expression forgée pour ne plus dire “vagabond”)... dont il est tellement éloigné, à son âge canonique, qu’il ne risque pas de les comprendre ni de jouir avec eux des plaisirs de jouer sur et avec les mots et la langue. Tout notre argot si jubilatoire et passé dans la langue officielle vient de ces “braves gens”. (Rappelez vous, Moufflet parle de ‘l’homme de la rue”, des “ignorants de tout poil”, Dutour des “techniciens ou des marchands”, Rivarol du “peuple grossier et travailleur”).
Pierre guiraud (Les locutions françaises, PUF 61) : “La société polie qui crée la langue commune a toujours soigneusement filtré les mots de métier, les termes scientifiques, les provincialismes et les argotismes... Il y a un tiers état du langage qui a toujours été tenu à l’écart; on ne mélange pas les torchons et les serviettes.”