Billet de blog 26 avril 2009

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Croquignolets, leurs mots!

 «Y va en faire une cafetière, le cipal, quand y verra qu’on s’a tirés des flûtes!»

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Illustration 1

«Y va en faire une cafetière, le cipal, quand y verra qu’on s’a tirés des flûtes!»

Vous les avez reconnus, au ton de la voix ? La Bande des Pieds Nickelés, oui!


Questions à brûle-pourpoint: Nés quand? Où ça? Qui était l’heureux papa?

Réponse : Croquignol, Ribouldingue et Filochard sont nés le 4 juin 1908, qui était un jeudi, dans le n°9 de L’Epatant - pour toute la famille, 5 centimes – sous la signature de Louis Forton.


Où donc ai-je trouvé un jour ce recueil de leurs six premières aventures (1908 – 1912), republiées en fac-similé en 1972 (Henri Veyrier, éditeur, Paris)? «Sans omission ni coupure, dans l’ordre chronologique, dans leur mise en page originale (si bizarre soit-elle, quelquefois), avec toutes les erreurs, coquilles, maladresses d’impression qui en restituent l’authenticité et le charme».


Les Pieds Nickelés! Coups tordus, escroqueries démentes, tours pendables, évasions en tous genres (puisque, morale oblige, ils se font toujours alpaguer). Adresse à un ministre: «Votre opinion, j’m’en frictionne le cubitus, mais d’l’apéro, c’est différent!» Pour les dialogues, dans des phylactères encore très maladroits, une langue verte, maltraitée, cabossée, peu recommandable pour tout dire. Mais juste au-dessous de chaque dessin, le carré de texte qui raconte l’histoire est souvent un parangon de vertu orthographique et grammaticale, de tenue, de style châtié. «Mais hélas, ô déception! dans le bout de papier Ribouldingue ne trouva qu’un vieux morceau de livarot, très avancé pour son âge et qui sentait son fruit».

Illustration 2

Tous les personnages, mêmes secondaires, savent parler aux femmes (elles sont rares pourtant!): «Ô ravissante fiancée, soupirait Archibald Biscuitt, daignez accepter ce bouquet et vous serez un printemps en miniature avec les fleurs dans la main et les boutons dans la figure».


Bien sûr, les Pieds Nickelés s’expriment souvent (toujours?) en argot de barrière. Certains mots ont vieilli depuis 1908. Mais l’argot des voleurs ne change quand même pas aussi vite que la mode féminine, disait-on en 1972. Il suffisait alors d’un glossaire assez court pour rendre accessibles les mots de Croquignol, Ribouldingue et...? Oui, Filochard, je vois que vous suivez.


Y retrouverons-nous quelques mots qui mériteraient que l’on s’y attarde? Ah oui! Choknozoff tout d’abord, qui signifiait brillant, formidable et présentait l’avantage d’avoir toutes les orthographes qu’il vous plaira d’utiliser. Mais attention lorsque vous le prononcez: ce mot, par la suite, s’est payé le luxe de changer de sens. Il servit alors à désigner un idiot, un imbécile et même un fou!


Croquignol, vous connaissez, pour joli ou beau. Je ne l’ai retenu que pour la chouette citation : «De tronche, il était croquignolet avec son pif à piquer les gaufrettes».


Epastrouillé ne s’emploie plus guère de nos jours, au sens d’épaté. Argougner non plus, synonyme de harponner. «Jojo le hareng s’était fait argougner par les cipaux juste quand il descendait de son moteur à crottin, du côté de Maisons-Laffitte». Vous aurez, sans mon aide, traduit en cheval le moteur à crottin. Et je vous offre un verre si vous me dites d’où viennent les kils de rouge d’aujourd’hui. Pour les Pieds Nickelés, il s’agissait tout simplement de kilos de cacheté.


En loucedé (si cher à Patrice Beray et à grain de sel!) se disait plutôt en lousdoc. «Sur la plate-forme de l’autobus, le tireur refilait en lousdoc le morlingue à son coéquipier». On se croirait chez Queneau!


Dans des épisodes ultérieurs, pendant la guerre de 14-18, «bien des mecs, et pas des cloches, faisaient semblant de relacer leur pompe pour ramasser un orphelin». Cet orphelin s’appelait aussi un smack ou, si vous préférez le nom qui lui est resté, un(e) clop(e), un mégot, quoi.


Et, «avec votre frime en première page, savez-vous d’où sortent tous les lardus que vous vous coltinez au train?» Ils sont des dérivés du commissaire de police que l’on appelait quart d’œil. Cette locution fut abrégée en quart qui devint en argot des bouchers lart du qua, à son tour raccourci en lardu. Elémentaire, non?


Et pendant que Louis Forton obligeait deux cultures à se côtoyer dans et sous ses dessins, Benjamin Rabier travaillait avec ardeur (et dans un style plus conforme aux desiderata de l’Education nationale) à plaquer de belles images bien léchées autour des Fables de La Fontaine... que nous retrouverons dans nos salles de classe jusque dans les années 50. (Nous jetterons un coup d’œil, un jour prochain, aux dessins de Benjamin Rabier). Quant aux années 50, elles virent aussi Pellos donner une nouvelle jeunesse à nos héroïques Pieds Nickelés...


Louis Forton, lui, n’a jamais réussi à pousser la porte des écoles. J’ai toujours trouvé que c’était dommage!

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