L’engagement, tel est le titre d’un ouvrage publié en 1998 au Seuil , fruit d’une série d’entretiens réalisés pendant deux ans entre une journaliste, Hélène Amblard et trois personnalités engagées dans un même combat, celui de la fraternité des hommes, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Louis Besson, et Albert Jacquard , tous trois appelés au Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées dès sa fondation en 1994. Petit livre sans doute passé inaperçu comme tout ce qui traversa ces cinquante dernières années marquées par l’accélération, mais petit écrin de pensées essentielles qui permet de se ressourcer et qui rejoint quelque part la pensée de Simone Weil l’Insoumise (Laure Adler, Acte Sud,2008),la courageuse philosophe des années trente.
A ceux qui seraient tentés de renoncer, de se replier sur eux-mêmes par fatigue, par désespoir ou dépit, par pessimisme ou par scepticisme, par besoin de se recentrer voire par crise d’égoïsme, ou encore par ignorance, j’avais envie de vous faire partager ces quelques paroles lues il y déjà longtemps, mais encore tellement vraies. J’avais envie aussi de les tester et d’entendre l’écho qu’elles produiraient à votre rencontre.
Geneviève de Gaulle-Anthonioz était résistante, déportée et membre fondatrice d’ATD-Quart Monde, voilà un pêle-mêle de ce qu’elle livre dans ces entretiens.
« Les gens préservent leurs certitudes. C e n’est pas un phénomène nouveau. Ces réactions [de rejet des plus pauvres dans l’espace urbain] restent très fréquentes, c’est pourquoi je dis qu’il faut changer beaucoup de choses dans nos manières de voir.
J e me suis toujours posé la question : comment se fait-il que les hommes fassent des choix différents à un moment donné ?
Vous en appelez à une conscience qui implique l’exercice d’une responsabilité humaine .Mais comment l’assumer sans oser le risque de choisir ?
[…]Comment se fait-il qu’à un moment donné on refuse l’inacceptable ? Comment devient-on à un moment donné le bourreau ou le frère ? Je crois profondément à la liberté : l’homme a la liberté de se déterminer. […]Ce faisant, il prend des risques. Il n’existe pas de vie sans risques. Mais il s’agit de savoir à partir de quel moment on estime qu’il faut les prendre, même si cela peut vous causer du tort. On peut appeler ce moment, le passage à l’humain, ou le dépassement humain.
L’exercice de l’humanité serait donc une occasion saisie de ne pas démissionner de soi ?
Bien sûr. Pour cela il faut du courage.[…] La tentation de se dérober existe à toutes les époques.[…]Dans l’être humain comme dans l’histoire des hommes, il y a de tout. On se sent coresponsable des deux ; et il faut que ce soit les deux… Nous ne sortons pas indemnes de ce que nous voyons ; quelque chose en nous est blessé lorsque nous apprenons des tortures, des crimes. Mais nous avons aussi le droit de penser que ce que nous sommes est ennobli par tous ceux qui arrivent à se vivre humains ; il faut nous tenir à cette attitude extrêmement vigilante, qui consiste à ne pas refuser de voir ce qui est, dans les deux sens. C’est l’attitude du veilleur d’espoir que nous sommes tous, nous les anciens déportés.
Les totalitarismes n’ont-ils pas précisément pour fonction de tuer l’espérance, par la même l’existence de cette vigilance ?
C’est pourquoi la seule réponse est cette attitude de veilleur s d’espoir et aussi la fraternité, qui commence par ce sentiment : nous sommes responsables […] Rien n’est pire que la situation de quelqu’un se disant qu’il n’a pas été à la hauteur de lui-même. Il faut mettre en cause, à l’épreuve ses convictions profondes ! »
Par ces temps de révolte sociale et de vénération du si beau film de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux, ces paroles de femme engagée remontent par bouffées comme pour nous interpeller. Comment chacun d’entre nous fait-il son passage à l’humain tel que l’entendait G.de Gaulle Anthonioz? Comment le faisons- nous vivre au quotidien ? L’engagement a-t-il encore un sens pour nous ou bien nous apparait-il comme quelque chose de désuet, d’inopérant voire d’inutile ?
Conversons…