Quand peux-tu raisonnablement dire que tu as écrabouillé ton crabe ? Quand es-tu en rémission ? Si tu as un traitement hormonal, es-tu en rémission ou pas ? Pourquoi arrêter le traitement hormonal après 5 ans en cas de cancer hormonal ? Connais-tu le pourcentage de rémission ou de récidive dans ton cancer du sein, selon le type de cancer que tu as eu à combattre ? Préfères-tu le savoir ou non ? Es-tu du le genre de patient qui se rue sur toute info, qui questionne énormément les soignants ou es-tu du genre discret, confiant.
Quand peux-tu raisonnablement dire que tu as écrabouillé ton crabe ? Quand es-tu en rémission ? Si tu as un traitement hormonal, es-tu en rémission ou pas ? Pourquoi arrêter le traitement hormonal après 5 ans en cas de cancer hormonal ? Connais-tu le pourcentage de rémission ou de récidive dans ton cancer du sein, selon le type de cancer que tu as eu à combattre ? Préfères-tu le savoir ou non ? Es-tu du le genre de patient qui se rue sur toute info, qui questionne énormément les soignants ou es-tu du genre discret, confiant. Si tu es peu questionneur(se) est-ce que c’est parce que tu ne veux pas savoir ? Connais-tu bien ton dossier médical ? L’hôpital t’a-t-il donné toutes les pièces de ton dossier ? Acceptes-tu ce nouveau cops abîmé si on t’en a enlevé un petit bout, dans le cas d’un sein ? Te réveilles-tu encore la peur au ventre parce que tu imagines que ton crabe est reparti en campagne pour t’écrabouiller, définitivement cette fois ? Connais-tu les progrès actuels en cancérologie qui vont te permettre de gagner du temps sur la mort ? Crois-tu que tu es bien informé(e) ? Penses-tu que le cancer est une maladie comme une autre ou une maladie tueuse vraiment très spéciale ? Penses-tu que tu es une victime ? Penses-tu que cette maladie est inévitable ? Penses-tu qu’elle est évitable ? Penses-tu qu’elle est de plus en plus banale et qu’elle touche de plus en plus de personnes ? Te sens-tu parfois coupable de ne pas avoir détecté ton cancer toi-même ? Penses-tu que tu n’as pas entendu les signaux que te donnait ton corps, ce qui t’aurait permis de trouver ton crabe beaucoup plus tôt ? Quelle est ta réaction quand tu entends quelqu’un utiliser le mot cancer pour dire par exemple que les chômeurs sont le cancer qui coûte si cher à la société française ? Qu’est-ce qui a changé dans ta vie depuis que tu as eu à te bagarrer contre ton crabe ? Es-tu devenu plus souple, plus en colère, plus à l’écoute, plus indifférent(e), plus sensible, plus zen ou plus impatient(e) ? As-tu fait de nouveaux choix de vie depuis que tu as été malade ? Penses-tu que le cancer c’est une loterie ou penses-tu que nous sommes prédisposés à avoir un cancer ou pas ? Penses-tu qu’un bon moral c’est 50% de la réussite ? Donnerais-tu de ton temps pour aller visiter des malades ? Est-ce que ta famille t’a soutenu(e) de façon exemplaire ? Est-ce que tes amis ont fait de même ? L’annonce de ta maladie en a-t-elle fait fuir certains ? T’es-tu retrouvé seul(e) à affronter cette épreuve ? Avais-tu assez de revenus pour avoir des soins de confort et t’aider dans tes traitements, genre réflexologie, sophrologie etc ? As-tu été dans un groupe de paroles et cela t’a-t-il aidé(e) ? As-tu eu besoin de parler à un psychologue ? Participes-tu à un forum de malades touché(e)s par le crabe comme Les Impatientes dans le cas du cancer du sein ? Penses-tu que ton médecin généraliste t’a aidé(e) à découvrir ton cancer et te sens-tu bien suivi(e), bien soigné(e) ? As-tu fait reconstruire ton ou tes seins manquants ? Le regrettes-tu ou au contraire es-tu parfaitement satisfaite de l’opération ? As-tu eu envie d’arrêter la chimio et de te tourner vers d’autres « médecines » comme la naturopathie, l’homéopathie, l’aromathérapie etc ? Si on t’annonçait que tu es en récidive, serais-tu prêt(e) à retraverser les mêmes traitements ? Si on t’annonçait que ton crabe va gagner, quel type de traitement voudrais-tu ? As-tu réfléchi à ta fin de vie ? As-tu prévu le partage de tes biens ? Voudrais-tu que l’on t’aide à mourir ?
Rémission ?
J’en suis à cancer + 2 ans et demi. Je ne m’étais jamais posé la question de savoir si j’étais ou non en rémission. Jamais nous n’avons abordé cette question avec ma cancérologue et je ne lui ai jamais posé la question. Je continue de prendre une saloperie de traitement hormonal, j’ai dû abandonner le femara car lui et moi nous entendions plutôt mal et je suis passée à l’aromasine, un comprimé chaque soir pendant 5 ans. Encore 3 ans et demi à tirer ! Le matin, au lever et pendant une bonne heure, je marche comme une vieillarde tant j’ai mal aux pieds, aux tendons de la jambe, aux mains. Suis-je en rémission donc ? Je n’en sais rien. En mai, quand j’ai vu ma toubib nous n’en avons pas parlé … Mais je fais partie des patients qui posent trop peu de questions !
Cafouillages en tout genre
En mai dernier, donc c’était le bilan annuel. Je ne comprends toujours pas pourquoi certaines patientes ont un bilan annuel et d’autres un bilan semestriel, selon les hôpitaux et probablement selon le type de cancer. A Rouen, c’est en ce qui me concerne, une fois par an. Le 22 mai, bilan. Prise de sang pour vérifier les marqueurs, euh encore un truc mystérieux, les marqueurs sont bons, mammographie sur le sein survivant, pas d’anomalie visible. Contentes, la toubib et moi-même nous nous serrons la paluche et nous nous donnons rendez-vous pour juin 2015. Je pars en voyage au Royaume Uni. Quand je reviens, j’ai un message sur mon répondeur de téléphone mobile et j’entends que réflexion faite, ce serait bon que je fasse une échographie, gargl ! ça c’est une très mauvaise nouvelle. J’appelle l’hôpital le lendemain matin, la secrétaire me dit qu’il n’y a pas de rendez-vous pour moi avant début juillet et que je dois aller faire mon échographie dans un cabinet privé. Gargl gargl ! Je dégotte un rendez-vous chez une radiologue de la Somme, mi-juin, j’arrive juste avec l’ordonnance mais aucun dossier médical, aucune trace de mammographie, ni d’échographie, donc aucun élément de comparaison ! C’est ça les patients qui ne demandent pas grand chose, ils n’ont aucune trace de leur dossier médical quand ils doivent aller voir d’autres médecins. Je me fais incendier par la nana car j’arrive les mains vides, elle fait l’écho et me dit « ah je sens une petite protubérance là en bas à gauche du sein, vous la sentez vous aussi ? « , je tâte à mon tour, merde oui y a un truc, je ressors du cabinet les clichés sous le bras et un compte-rendu très succinct et assez énigmatique où il est conseillé à mes médecins cancérologues de me faire une IRM. O le gros gros gargl ! J’appelle de nouveau l’hôpital, il m’est répondu par une secrétaire probablement incompétente qu’il n’y a pas de place pour moi en IRM avant septembre 2014 ! J’argumente et dis que je ne comprends pas pourquoi on n’est pas capable de me donner un RV alors que je suis une patiente suivie à l’institut depuis plus de 2 ans ! Rien à faire, pas moyen de dégotter ce foutu RV. OK je vais dans le privé. Je bouillonne d’angoisse, je m’embulle de colère. Par une amie, je réussis à avoir un RV en IRM à Lyon début juillet. Oui, Lyon, bof pourquoi pas, je suis prête à accepter n’importe quelle date n’importe où pour savoir au plus vite si mon sein abrite peut-être une nouvelle fois un crabe débutant. Et là, je commence à imaginer le pire, la peur rôde et avance, nuage noir incontrôlable. Où se cache mon lasso à nuages noirs indomptables ? Comme une panique m’assaille, telle un grand guerrier noir. J’imagine que le crabe cette fois va galoper encore plus vite que la dernière fois, qu’il faudra enlever ce sein dans son entier. Je vois la vie en gris foncé, en gris désespéré. Je tente le yoga, la sophrologie, c’est à croire que j’ai tout oublié, aucun répit, je en dors plus, je finis par avaler de bien aimés comprimés de Stresam, ma potion magique quand tout va mal. La cancérologue, au vu des résultats de l’ échographie envoyés par sa collègue ronchonne, m’appelle et me demande, pourquoi je veux me faire soigner ailleurs que dans mon hôpital ? On croit rêver .. j’explique les secrétaires bla bla bla , on s’explique, on se prend un très léger chou, elle me trouve un RV pour une nouvelle échographie pour le 9 juillet. Ce jour-là je suis reçue par une belle femme échographe qui m’examine, enregistre les images et me dit qu’il n’y a aucune inquiétude à avoir, que tout va bien dans le sein gauche. J’ai envie de l’embrasser. Il aura fallu quelques 40 jours de grand n’importe nawak pour que je retrouve ma sérénité habituelle. En juin 2015, ils ont déjà prévu une mammo ET une écho le même jour, on progresse ...
Le cancer est-il une maladie comme une autre ?
Oui, oui et définitivement oui. C’est une grave maladie, certes, mais c’est une maladie. Si tu imagines que tu es en danger de mort, en train de mourir, et si tu comptabilises tous tes parents et amis et voisins terrassés par un crabe et morts ou moribonds ou en mauvais état, tu vas paniquer et penser que tu n’as plus qu’à rédiger ton testament. Si tu penses au contraire qu’un crabe se diagnostique, se révèle, se soigne, se traite, se surveille, tu peux l’écrabouiller. Pas de façon définitive probablement car on n’emploie pas le mot guérison en cancérologie mais tu peux atteindre une rémission satisfaisante, voire durable grâce aux nouvelles thérapies. Regarde autour de toi, tu as des exemples vivants et souriants. On peut sortir vivant d’un crabe même sérieux. Le cancer va devenir une maladie chronique, à chaque vague et assaut du crabe, un traitement approprié sera donné. Les protocoles évoluent, de nouvelles molécules sont testées, essayées par de généreux testeurs qui risquent leur peau pour nous.
Chimio ou pas chimio ?
Dans mon entourage, parmi mes amis, toutes les personnes qui ont commencé une chimio, qui ont abandonné et qui ont essayé un autre traitement, à base de plantes par exemple, en se faisant suivre par un naturopathe, ou en allant commander en Suisse des piqûres d’extrait de houx ou de thuya pour combattre le cancer du sein, sont décédées sans aucune exception. L’une d’entre elles est allée rejoindre une communauté et un shaman en Australie qui soigne les cancers avec du gui. Elle est morte aussi. La chimio a failli me faire crever et la septicémie n’était pas loin en août 2012. Si j’avais refusé de me soigner, je serais probablement ratatinée. Je pourrai reconsidérer ma position si je récidive ! … Ou si un jour des médecins me disent que c’est foutu et que je ne m’en sortirai pas. Aussi sec, je me remettrai à fumer des pétards d’herbe ou de cannabis.
Amour, sensualité
Comment séduire avec un seul sein ? Comment affronter le regard de l’autre, ses mains sur ce corps qui souffre encore parfois, qui se gonflotte, qui a trop grossi ? Pas mal de femmes m’ont dit que leur mec s’était carapaté quand il était temps de soutenir leur jeune femme atteinte d’un cancer du sein et à laquelle un sein avait été retiré. Ils ne supportaient plus de voir leur femme mutilée et sans désir (et comment avoir du désir quand on est une boule de souffrance et qu’on veut juste dormir et oublier? ). J’ai de la chance. Je viens de rencontrer un homme dont la femme est morte il y a trois ans, atteinte par un cancer du poumon. J’ai essayé de lui épargner tous les cafouillages de mai et juin, me disant que ce serait trop dur pour lui s’il me savait atteinte d’un nouveau cancer, ce qui lui renverrait à ses propres souffrances. Il m’a dit que je n’avais pas à le protéger et que lui seul prendrait la décision de me suivre ou pas. Il m’a accompagnée à l’hôpital le 9 juillet et m’a attendue patiemment dehors. Il m’a dit aussi que mon unique sein était charmant et qu’il n’a pas à regretter l’autre puisqu’il ne l’a jamais connu. Il est pas mal, ce keumé, non ?
Séquelles
J’ai retrouvé la mémoire, je n’ai plus d’horribles douleurs derrière les cuisses et au bout des fesses qui m’empêchaient de m’asseoir plus de 15 minutes. Je n’ai plus de problèmes auditifs, je devenais dure de la feuille maintenant j’entends comme avant. Ni visuels après l’épisode septicémique où en quelques secondes j’avais atteint une fièvre de jument, un pouls à 180 et une tension survoltée, j’en avais gardé comme des poussières d’étoiles dans les yeux quand je passais du soleil à l’ombre, sensations très bizarres, c’est fini aussi. Adieu les insomnies, je dors convenablement. Ce qui ne va pas toujours très fort, c’est que mon bras droit, du côté opéré, là ou les ganglions ont été enlevés, a une petite tendance au lymphodème, j’ai une armée de kinés-masseurs performants dans la France entière qui résolvent le problème grâce à leurs drainants doigts d’or. Parfois, je deviens rouge écrevisse, d'immenses bouffées de chaleur me terrassent. On reste dans les crustacés, après le crabe, l'écrevisse ... Parfois aussi, je me bats avec ma prothèse adhésive, elle ne colle plus, elle se fendille quand je suis à l'étranger et que je ne peux la changer. L'autre soir, mon darling me dit " ah il y a un truc bizarre sur ma coupelle dans la chambre .. " " c'est ma prothèse qui sèche à l'envers mon chéri .. " .. En ce moment, je souffre d’une fracture de côte exactement à l’endroit de la cicatrice, aïe aïe aïe une côtelette cassée ( après une chute en montagne) c’est sacrément douloureux mais ça va de mieux en mieux.
Projets
Je n’en fais plus ou plutôt je fais des microprojets. En ce mois d’octobre, je me demande si je ne vais pas tracer la route jusqu’au Portugal. Je vis à fonds les manettes la vie qui me reste à vivre. Comme tout un chacun. Savons-nous (.. de Marseille..) combien de temps il nous reste sur le chemin du temps à vivre ? Non, bien sûr. Pourquoi quelqu’un qui a été touché rudement par une maladie ou un handicap devrait-il plus se soucier de son devenir que n’importe qui ? Je suis exactement comme vous, éphémère, voyageuse, amoureuse de la vie, angoissée parfois. Et de plus en plus sereine et apaisée. Je n’ai plus de maison, je voyage et je mouvotte en caravane avec ma chienne Joy. Je n’ai plus de dettes, je n’ai plus de meubles, je n’ai plus de factures, plus de soucis administratifs, quasi plus de courrier, un vieil ordi pour continuer d’écrire quelques machins. Que du bonheur donc ! Je suis en train de tenter de rédiger un nouveau truc qui fera peut-être un nouveau spectacle ou peut-être pas, je ne me mets aucune pression, je deviens d’une patience d’ange.
La maladie, et le terrible tunnel qui s’en est ensuivi, m’ont ouvert les yeux sur le monde. Je vois les gens autrement. Mes rapports avec les autres s’éclairent d’une lumière différente. Je ne sais comment l’expliquer mais j’ai acquis une sorte de plus claire voyance, comme si j’avais de nouveaux sens, plus aiguisés, plus ouverts. Etrange, étrange.
Je marche chaque jour, une heure, deux heures, ou plus, et par tous les temps. Pas après pas, j’avance.
Alors ai-je écrabouillé le crabe ? Non, probablement pas, mais je ne m’en soucie pas. Vive la vie !
Désolée si je privilégie dans ce billet encore une fois le cancer du sein. Je sais que certains abonnés ici luttent ou ont lutté contre un autre cancer, je ne les oublie pas et j’attends leurs témoignages dans ce billet et dans cette édition J’ai fait quelques petites statistiques personnelles. Mediapart a quelques 100 000 abonnés. Combien sont touchés personnellement par le crabe ? Combien l’ont été ? Combien le seront ? On peut imaginer que cela représente quelques milliers si l’on sait déjà qu’une femme sur 4 et probablement une femme sur 3 bientôt luttera contre un cancer du sein ! Aussi je suis très étonnée que si peu de gens prennent la parole dans cette édition. Je sais que beaucoup la lisent car je reçois parfois des messages privés qui me font penser cela.