Billet de blog 2 juin 2012

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Illustration 1
arc boutant le cancer hors de la dame

Temps de  marcher en terre inconnue.

La valise est bouclée, oh il n’y a pas beaucoup d’effets dans ce bagage, il n’y a rien de visible en vérité, rien de lourd, elle part  dans ce voyage avec la plus grande simplicité, dans le dénuement, l’abandon. Milan Kundera dit  qu’il faut traiter les choses légères avec la plus grande importance et les choses importantes avec la plus grande légèreté, alors elle empoigne son léger bagage et pose un pas ferme sur cette terre inconnue. «  N’envisage pas l’avenir. Les chemins que tu dois parcourir sont un mystère pour toi. Fais ton devoir dans le présent, aie la résolution de le faire dans l’avenir et ne crains pas «  (Alexandra David-Neel)

Une opération, même douloureuse, même mutilante comme celle qu’elle a subie, procède du « mécanique», on en connait plus ou moins les effets et on peut en contrôler la douleur et les suites. Avec la chimiothérapie, elle touche un territoire inconnu.

La chirurgienne lui a  dit  «  je vous ai ôté 16 ganglions, 2 étaient infectés « , elle lui a répondu qu’elle aimerait bien qu’elle lui remette dans le corps, à leur place, les 14 ganglions manquants, ceux qui étaient en bon état,  la chirurgienne a souri et  a dit «  croyez-vous que j’ai des lunettes magiques quand j’ouvre un corps qui me permettent de repérer ce qui est sain de ce qui est à enlever ? « , elle lui a ensuite annoncé le protocole, lui  a montré un planning avec de jolies plages roses et vertes .

- on est partis jusqu’à quand là ?

- si tout va bien, vous aurez fini à Noël , joli cadeau, non ?  

Oui oui, oui,  inestimable, savoureux  cadeau … La doctoresse lui  a aussi dit qu’elle était optimiste quant à ses chances dans le combat entamé. Si la chirurgienne est optimiste , elle le sera aussi

Ses anges et ses fées la  câlinent, la nourrissent, lui écrivent, l’aident à cultiver ses jardinets, à tailler les bambous envahissants, l’emmènent canoter en Baie de Somme, lui offrent bons mets, bonté et champagne parfois, marchent avec elle chaque jour. Elle doit rencontrer prochainement deux saintes, Sainte Igraphie-Cardiak et Sainte Igraphie-Osseuse, alors si les saintes s’en mêlent elle est  en de bonnes mains ….

Elle  va marcher vers cette terre inconnue, commencer  cette traversée. Dans deux semaines débutera la chimiothérapie. On dit souvent chimio et on oublie thérapie, c’est une thérapie , un soin, pour guérir. Puis, dans la foulée, radiothérapie.  Puis, enfin,  Noël, les cadeaux, les joies en famille, les enfants à câliner, se reposer après tous ces efforts

Il faut avoir un but, un projet, dans cette maladie et dans ces soins de type missile scud, sinon on peut se délabrer très vite et perdre le cap. Son projet est de guérir et de passer l’hiver au chaud, entourée d’amour. Elle en a ras la casquette  de grelotter dans son royaume éventé, elle veut se réchauffer, voyager, bouger, danser, aimer, se restructurer, et fêter la fin de sa maladie en 2013. Elle est forte, elle se veut forte. Elle a décidé de marcher sans trembler. Elle va  guérir, elle va  guérir, va  guérir,  elle veut guérir, même si les médecins diront qu’elle est en «  rémission » .

Un archer tire une flèche, avec le plus grand détachement et la plus parfaite concentration. Elle bande son arc pour bouter le cancer hors de son corps. Elle tire une flèche contre son cancer. La flèche  file tout droit , ne déviera pas.

Elle est  en chemin, elle chemine avec ses parents, ses enfants, ses alliés,  ses amis, ses gardiens et ses fées. Elle est seule et entourée, entourée et seule. Ses douleurs, ses angoisses, personne ne pourra les comprendre et les connaitre, à part elle, et d’autres malades comme elle qui sont sur le même radeau dans la mer. Elle tirera des bords dans le creux des vagues et parlera avec les autres malades, comme elle a déjà commencé à le faire à l’hôpital. Ils peuvent s’entendre, se comprendre, se soutenir comme un arc-boutant soutient tout le poids d'un lourd édifice.

«  Le vent se lève, il faut tenter de vivre «   disait Paul Valéry. Oui, il est temps de partir. Elle  embrasse et entrelace ses proches, elle leur dit à bientôt. Quand elle pourra donner des nouvelles, elle le fera. Elle entre en soin, un peu comme on entre en religion. Elle fait retraite. Elle plongera  et elle n’aura pas peur. Elle compte sur la bienveillance et le professionnalisme des soignants à l’hôpital qui vont l’aider dans ce combat.

Elle entre  en terre inconnue. 

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