Billet de blog 3 avril 2013

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la dame du bois-joli

black viok

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Il y a quinze mois

Il y a quinze mois, je me traînais laborieusement sur le plateau de l’opéra de Lyon, j’escaladais poussivement  les pentes de la Croix Rousse, je somnolais lourdement, je crachotais, éternuais, m’étouffais en dormant, mes gencives saignaient encore plus que d’habitude, je me bourrais de vitamines et j’étais une loque

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a quinze mois, je me traînais laborieusement sur le plateau de l’opéra de Lyon, j’escaladais poussivement  les pentes de la Croix Rousse, je somnolais lourdement, je crachotais, éternuais, m’étouffais en dormant, mes gencives saignaient encore plus que d’habitude, je me bourrais de vitamines et j’étais une loque

Il y a  quatorze mois, je trouvais sous mes doigts, dans le sein droit,  une étrangeté allongée qui ne me plut guère, je pensais tout de suite que ce n’était pas bon ; il y a quatorze mois, une collègue figurante qui faisait du chi-kong me toucha le dos et me dit que j’étais épuisée et que j’avais un problème hormonal, comment le sut-elle bien avant moi ?

Il y a treize mois, je vis au sortir de la douche comme une déclivité légèrement bleutée sur mon sein droit, et je me rappelais que ce n’était vraiment pas bon; entre deux répétitions, j’en profitais pour foncer dans un dispensaire pour vérifier ce qui clochait dans mon sein, dans ce corps épuisé. Tout s’enchaîna très vite, examen médical, radiographie, échographie, biopsie.

Il y a douze mois, les représentations de Parsifal se  terminaient à l’opéra le 25 mars. J’avais travaillé 192 heures dans cet opéra. Le 26 mars, j’étais dans un avion pour Bordeaux pour rejoindre ma famille et annonçais à mes enfants que j’avais probablement-sûrement un truc pas bon, sûrement-probablement. Mon fils, médecin reçut un fax à son hôpital, c’était le compte-rendu de la biopsie, qui émanait de l’hôpital de Lyon. C’était le 29 mars 2012, un jeudi soir. Il attendit que les enfants furent couchés. Puis, vers 22 heures, sur la terrasse dans le soir  tiède, il m’annonça que j’avais un cancer du sein, assez avancé, réceptif à un certain type d’hormones.  La nouvelle ne me surprit pas du tout et j’accusais le coup tranquillement. Je le savais déjà, intuitivement. J’avais déjà appelé ma gynéco  pour prendre un rendez-vous le plus vite possible et accélérer le processus inévitable de soins lourds. Il y a douze mois, j’avais trouvé un nouveau travail en avril, il s’agissait de vendre des gaufres et des crêpes  en Baie de Somme. J’avais fait un après-midi d’essai et tout s’était bien passé. Ce nouveau employeur ne m’avait pas déclaré ces heures d’essai. La gynéco prit rendez-vous avec une chirurgienne du  centre Becquerel à Rouen. J’en profitais pour repeindre une chambre avec l’aide de mon fils et de ma belle-fille, pour avoir une belle chambre claire, aux couleurs douces et calmes, pour m’y lover et m’y reposer quand serait venu le moment du repos après des épreuves que je devinais intenses.

Il y a douze mois, je fus opérée. La médecin chargée des IRM m’ayant trouvé une nouvelle tumeur cancéreuse, dans le sein droit, la chirurgienne m’annonça qu’elle n’avait pas le choix, qu’elle enlèverait le sein dans son entier. Puis les ganglions. 14 dont 2 infectés.

Pendant 8 mois, ce fut le champ de mines, la dégringolade, le trou, les hospitalisations, les insomnies, les douleurs, les peurs, la tétanisation, l’immense fatigue, le  cauchemar qui dure et dure, même au réveil.

Jamais, je n’ai douté. J’ai tout accepté. J’ai combattu sans colère. Fermement. Délicatement. Sereinement.

Puis, la CPAM s’aperçut que je n’avais droit à aucune indemnité maladie car je n’avais que travaillé que 192 heures au lieu des 200 indispensables pour ouvrir des droits à l’indemnité et me réclamait les 3000€ qu’elle m’avait déjà versés. Pendant 3 semaines,  je fus assez abattue me demandant à quoi avait servi ce combat infini contre la maladie, si c’était pour se retrouver si démunie quand l’automne fut venu.

Un magnifique élan de générosité ici sur Médiapart me permit de tenir jusqu’au printemps, et je commence à toucher des aides sociales. Un peu. Je dois toujours cette somme, j’ai posé un recours. J’attends la réponse. Je loue depuis peu deux chambres à des touristes de passage. Mes noisettes se sont épuisées  mais ces nouvelles noisettes locatives me maintiennent à flots.  J’ai dépensé sans compter toute ma vie, n’ai jamais mis un sou de côté, et maintenant je scrute, yeux dans les yeux, chaque euro et le mets précieusement dans un tiroir. Chaque euro m’est précieux.

Quand je me douche, je ne me reconnais plus. Ma main glisse sur une absence de sein et à chaque fois, je  dois me dire ah oui, c’est vrai  il y avait un sein ici je n’ai plus ce sein. Quand je touche et caresse l’autre, j’essaie de me rappeler les sensations que j’avais à toucher et caresser, l’autre, l’absent, mais aucun souvenir ne me revient. Il  a vraiment disparu, en vrai et dans ma mémoire. Mes cheveux, c’est du n’importe quoi. Une disparate auréole blanchie. Mes cils ont repoussé, un peu, pas mes sourcils qui sont tout piquetés de trous. Mes poils de jambes réapparaissent, très drus sur les genoux. Les poils du pubis sont là aussi. Curieuse et étrange sentiment de réhabiter un nouveau ancien corps. Les horribles douleurs dans le bras ont cédé, celles sous le bras opéré sont bien là.  Mon ostéopathe m’a remise d’aplomb, j’étais désorganisée de l’intérieur. J’ai de moins de moins besoin de drainage lymphatique. Seul mon index droit reste gonflé. Je marche une heure par jour, quel que soit le temps. Neige, brouillard, vent, pluie, ou soleil. Parfois, j’ai l’impression que je ne vais plus jamais cesser de marcher, seule, dans la campagne et que je vais aller au bout de la terre. J’y suis déjà, je crois, au bout du monde. Je flirte avec de nouvelles frontières. J’explore. Je découvre. Je m’emplis de tout ce neuf.

J’ai lâché mon psy au centre, je crois que je peux voler toute seule, sans lui.  Après ces mois de soins, où je me suis sentie importante, entourée, soignée, écoutée, rassurée, quand tout fut terminé, je me suis retrouvée sans soutien, sans béquille, et ces quelques semaines à chercher de l’argent et ne plus aller à Becquerel ont été dures. J’ai commencé la sophrologie, mais je ne la fais pas forcément au logis …  J’ai repris mes activités militantes. Soutenir Michel (Carland) dans sa lutte solitaire était aussi un acte  politique et solidaire.  Certaines et certaines ne l’ont pas compris alors je le dis. Michel a accouché de lui-même dans son combat insensé. J’ai accouché de moi-même dans ce cancer.

Il faut 9 mois pour se soigner.  9 mois de gestation indésirée, puis  la timide naissance a eu lieu. J’ai accouché de moi-même qui suis à la fois la même et à la fois un être plus fort, plus lucide, plus tolérant, plus  patient. Je vide ma maison, c’est la maison du cancer, de l’immobilisme, je dois la vendre, je vais la vendre, rembourser toutes mes dettes,  et aller bâtir un autre monde possible ailleurs. Je fais mon jardin. Je vais jeter toutes les graines qui me restent et ça poussera au petit bonheur la graine!  C'est probablement mon dernier jardin près de cette maison. Je vais  bientôt dire au revoir  à mes arbres et à mes bambous. J'espère que quelqu'un saura en prendre soin. J'irai planter ailleurs des arbres et des bambous. D'autres terres m'attendent, à ensemencer. Je suis restée trop longtemps ici. Il est temps du grand saut vers le vide, sans élastique ni parachute! Temps du risque et d'une autre métamorphose. 

J’en viens  à penser que ce cancer fut une chance, j’ose à peine le dire. Je l’ai dit à un vieux monsieur, récemment, de ma famille par alliance, il est taoïste, il sait de quoi je parle, il a compris, lui. Ce cancer est une chance car il m’a ouvert un infini champ d’une nouvelle conscience. Je n’ai jamais été aussi consciente de vivre que depuis que j’ai failli ne plus vivre. Chaque jour est cadeau.

Je cherchais ardemment que faire après le cancer. Je n’ai pas envie de rejouer, de remonter sur les planches, je ne suis pas prête. Je n’ai rien à dire, rien à montrer, rien à jouer.  Puis, j’ai arrêté de chercher que faire. Les évènements m’arrivent sans que je ne les contrôle. Une amie va me faire un prêt indien, c’est à dire qu’elle va me donner de l’argent, je vais apprendre à faire des massages ayurvédiques, puis je rendrai, en massant, ce qu’elle m’a donné. J’aime bien que l’énergie positive qui nous relie voyage sans entraves.

Dans cette vie nouvelle, je ne sais pas ce qui va m’arriver, je ne sais pas où je vais aller,  et je m’en fous complètement. Je vais vendre mes livres, mes meubles, mes bibelots. Je veux être dépouillée. Je me dénude et m’allège comme un arbre qui perd ses si nombreuses feuilles. Je prépare le rien.  C’est terriblement excitant de ne pas savoir où et comment je vais vivre, de ne pas avoir de projets, de ne rien décider ni vouloir diriger ! Méandres, détours, contours. Je suis rivière lente et indolente, paresseuse, je ne sais plus où je coule, mais je sais que je coule. Je VIS  et jouis de chaque minute de vie. Je ne sais pas non plus si j’ai eu la peau de ce cancer, l’avenir le dira. Mais comme je vis au présent, je me fous aussi de l’avenir !

Il y a quinze mois est en train de s’effacer. Se dessinent de nouveaux paysages. Et je m’en émerveille. Comme une enfant qui vient de naître. Je me suis prise dans mes bras. Je m’aime. Je peux vous prendre dans mes bras maintenant.

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