Depuis fin mai, je ne peux plus randonner, les métastases osseuses du bassin ont fait des siennes. Je rêve de finir à pied mon parcours français jusqu'aux Pyrénées. 250 kilomètres encore. Pourrai-je le faire cet automne après les grandes chaleurs ? Je m'accroche à cette idée. Le quotidien est devenu difficile. Nouveau traitement qui raplaplate, morphine, anémie. A croire que les médoc vont m'achever. Être plongée chaque jour dans la douleur, être enfermée dans un corps où la maladie s'insinue nécessite une grande détermination, beaucoup d'espoir et de volonté. Je n'arrive plus à tourner mes petites vidéos rigolotes. Plus de jus, machine flapie, petit corps malade. Tenir, tenir, tenir.
C'est difficile de communiquer au sujet de la maladie. Nos proches ne veulent pas en entendre parler, presque, car cela les touche trop. C'est plus facile pour moi de parler avec des gens qui connaissent les mêmes douloureux problèmes existentiels que moi. Quand je vais au CHU spontanément des conversations s'engagent avec certains et ce n'est jamais tristounet. Nous nous comprenons instantanément puisque nous sommes dans le même jeu du crabe, et avançons ou reculons de case en case.
J'ai tenté de dire autour de moi à mes tout proches que j'allais organiser ma fin de vie. Les obsèques, choisir des musiques, la paperasse post mortem, trier et classer des photos, donner des objets qui ont une histoire, un petit bout de mon histoire. Haro ! Hola ! Que n'avais-je pas dit là ? Il est impossible de parler de sa mort, plus ou moins proche, car c'est comme si on n'acceptait plus de se battre, qu'on acceptait de mourir. J'essaie de leur dire que je me sentirai libérée et apaisée si je le fais mais apparemment ça coince. Veulent rien entendre. J'ai quand même commencé mais en catimini. Car pour moi envisager ma fin n'est pas arrêter de vivre, bien au contraire.
S'approcher de la mort devrait être naturel , aussi naturel que respirer ou bouger, puisque c'est notre sort de mortel. Mais nous voulons l'oublier bien sûr cette fin détestable, et reculons indéfiniment le moment de nous pencher sur la question. Humains inconscients. C'est peut-être mieux je ne sais.
Souvent, je me replie dans le silence et la solitude. Chaque jour, c'est serrer les dents pour vivre. Eloigner la douleur et les doutes par quelques stratagèmes. Ne pas se laisser polluer par les laideurs et les dégâts politiques, par les pires nouvelles du monde et elles pullulent !, est vital et je m'emploie à voir le monde en couleurs, à voir neuf, car sinon, comment m'émerveiller de vivre et comment savourer la beauté de ce monde, son mystère et cette si précieuse Vie ?
Au lieu de pleurer ce que j'ai perdu, je me réjouis du bonheur que j'ai eu. Là est le secret.
Et si l'absence est trop forte et me broie le cœur, je chantonne ou je pleure.
Et que coulent les larmes si elles doivent couler après tout, elles nettoient l'âme.
L'amour fait des merveilles, dit-on, pour aider à guérir. Oui mais qui aimer ? Quoi aimer ? Comment aimer ? Je ne sais pas. J'essaye. J'aime, tant mal que bien. Je me bagarre. Je boxe je boxe le crabe, je donne des uppercuts qui ne touchent rien, ils se dispersent dans l'espace. Mais je vis. Je suis toujours là, dans la réalité, dans le flux incessant de tout ce tourbillon de vie, dans les pulsations, le tempo, la musicalité, l'énigme de l'univers et de sa création. Je me réjouis d'être une poussière d'étoiles et de pulser tranquillement, sans projet ni finalité. Bouger gratuitement, sans désir de durer. Je voudrais juste que la douleur aille faire un tour de l'autre côté.
Mon corps me lâche
mais j'y tiens encore
à ce petit corps malade
Allez emmène-moi marcher
et danser encore, petit corps
Ne sois pas si malade
Notre corps à corps
ne peut si vite cesser
Bouge Crois
Vis Meurs
Ressuscite
mon petit corps que j'adore
Parfois je te regarde
et je te fais la gueule
je ne peux accepter que tu me trahisses
comme ça
Saloperie de corps qui ne tient pas ses promesses
pourtant je t'en ai donné des bonnes choses
je t'ai fait du bien
non ?
Oui c'est vrai je t'ai fait aussi subir des trucs pas terribles
bon mais quand même tu peux tenir bon, non ?
De quoi tu m'en veux ?
Car tu sais, petit corps que j'adore
moi j'aime vivre
ô si tu savais comme j'ai soif de vie
ô si tu savais comme je suis dingue de la vie
alors tu ne peux pas me conduire à la mort
Et pis tu crois que je vais me laisser faire
comme un mouton qui tendrait
son cou au couteau ?
Ça va pas la tête
tu me connais mal petit corps !
Alors mon corps
sois moins malade
Allez soyons fou
et si tu guérissais ?
Ouais ! Ho la bonne idée
fais-moi une surprise
Dis à toutes ces cellules pas si malignes que ça
qu'elles doivent apoptoser
se suicider quoi
et disparaître
silencieusement
sans autre forme de procès
qu'elles crèvent !
Et pis toi mon système immunitaire
je ne suis pas très contente de toi
tu fais quoi là ? Tu dors ?
Tu vas te réveiller ou je dois
te filer un coup de pied au cul ?
Je veux vivre mon petit corps que j'adore
je veux vivre
Vivre !
Tu comprends ?