la dame du bois-joli (avatar)

la dame du bois-joli

black viok

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A.C. Avant le cancer.Une immense fatigue, l’impression de peser des tonnes, d’être atone. Chaque fois qu’on pèse des tonnes, ce n’est pas forcément à cause d’un cancer. Palper un volume étrange sous les doigts. Aller voir un toubib dans une ville inconnue. Le voyage commence. Mammographie, échographie, biopsie, diagnostic, opération, mutilation.

C. ça y est , elle est en phase cancer. Elle l’était déjà avant, en phase AC. Maintenant, elle sait. C. Faut s’y faire. Prononcer le mot, l’apprivoiser, dompter la peur. Un cancer est une maladie. Comme une autre. De cette maladie, on sort vivant, ou pas.  On sort grandi, forcément.

Elle se réveille avec une longue cicatrice, sein droit ôté. Elle est devenue une amazone. «  «  Amazone cherche arc à bander… «  pourra-t-elle écrire quand elle se risquera de nouveau sur un site de rencontres. Sa fée-Anne lui dit : fais gaffe, tu vas tomber sur des cancers de la prostate !  Si la prose s’tâte, les vers aussi. Les verts aussi se tâtent. Ils ne savent jamais quel Eva choisir.

Pour l’heure, point de gaudrioles. Gestion de la douleur, vive sous les bras là où les ganglions ont été curés. Elle se sent charcutée. Rafistolée. Décousue. Recousue. Un point à l’endroit, un point à l’envers, trois points de travers. Elle a le cœur en bandoulière. En plus de la douleur « normale », dirait Thon de la cicatrice, il y a les douleurs électriques, fourmillements, sensations de brûlures là où des nerfs ont été coupés, sans compter l’écoulement de lymphe qui lui gonflotte son absence de sein. Il faut ponctionner, la lymphe, obstinée, revient. Ne rien porter de lourd, ne pas se blesser, ne pas se brûler, ne pas fatiguer son bras, la liste des recommandations est infinie après avoir été déganglionnée.

La perte de son sein ne lui semble pas encore dramatique, peut-être que le traumatisme se révélera après. Pas de douleur là où le sein est parti. Elle se trouve belle avec ce plat, ce vide. Elle masse la zébrure avec des huiles essentielles. Seule lui importe la gestion de la souffrance. Elle veut retrouver l’usage de son bras pour au moins se doucher correctement. Elle se surprend à prendre des médicaments, elle qui a avalé pendant des dizaines d’années des tisanes, s’est fait des bidouillages d’argile, s’est soignée à la va-vite, insouciamment,  est obligée de prendre des antalgiques. Son estomac crachotte, il n’aime pas ces trucs-là. Elle a mal. La journée est une suite d’états, elle a très mal, moins mal, juste un peu mal, re-mal, pas mal, encore mal, bientôt mal. Allez hop un cachet, vite une pilule. Elle dort, somnole, ne peut pas dormir, est hébétée de fatigue, lutte pour ne pas dormir, lutte pour dormir. Comme chaque instant est devenu si précieux, elle ne veut en rater aucun. Elle tombe de sommeil et parfois disparaît dans une sieste interminable.

Elle commence à jardiner, très très légèrement. Troisième jour de soleil. Enfin ! Radis semés. Quelques échalotes et choux plantés. Six espèces de tomates dans leur écrin de terre à protéger du froid. Trois pieds de courge ont affronté les saints de glace. Son sein survivant est doux sous sa main, son sein absent est chaud, la lymphe doit trouver d’autres chemins dans son corps gonflé. Son corps est déséquilibré, mine de rien c’est lourd un sein. Elle a mal au dos en plus du reste.

Ses fées, ses anges rappliquent et se plient en 12 679 pour l’aider, la soulager, l’assister. Son carnet mondain est empli de rendez-vous, quand elle y va, au bout de deux heures, elle est une loque qui n’aspire qu’à s’allonger et fermer les yeux. Elle tapote d’un doigt sur son clavier d’ordinateur, car le bras droit ne supporte pas d’être plié trop longtemps, écrire un texte prend des heures. Fourmi obstinée, elle écrit. Tiens, des fourmis sortent d’une vieille fenêtre dans son bureau, elle passe un temps fou à les regarder. Elle s’écoute, écoute, prend le temps, l’était temps. Avant l’opération elle ne se sentait pas malade, après l’opération, elle souffre . Conclusion, le cancer ne rend pas malade. C’est l’opération qui rend malade ! .. Elle n’est pas cancéreuse, elle a un cancer.  C’est tout, pas plus. La nuance est de taille.

Vilain crabe, j’ t’écrabouillerons

Tu boiras le bouillon

Fais-toi petit, puis  disparais

La surimisation a commencé

J’suis en sursis, mais toi aussi

T’es pas mon frère mais t’es en moi

J’dois te détruire, sans me tuer

J’dois te tuer, sans me détruire

Quelle étrangeté ..

C’est quoi ce boxon dans mes cellules ?

Qu’est-ce qui vous a pris, qui vous a dit

De vous multiplier ?

Anarchie

Le cerveau a buggé

T’es pas mon frère, cancer, et  je n'suis pas en colère

AC du cancer, assez de tes misères

Tu partiras en douceur, mon cancer, en douceur

Et j’espère sans douleur

J’ai pas l’trac,  je te traque, j’ai la niaque

Ma cicatrice ne sera pas triste

Je me le promets

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