La phrase publicitaire est une mine pour les lexicologues et les pragmaticiens, sans doute également pour les psychologues — et peut-être même pour les psychanalystes —, et s’avère aussi une source sinon de détérioration du moins de transformation du langage. D’ailleurs, dans le langage courant on aurait volontiers recours au franglais pour parler de slogan publicitaire, dont l’origine est gaélique, sluagh-ghairm, cri de guerre, de sluagh, l’armée et de ghairm, le cri. Signe des temps, dans tous les dictionnaires de la langue anglaise, le mot slogan est associé aussi bien à la publicité qu’à la politique, ce qui est tristement révélateur du vide idéologique et de l’absence de débat et de réflexion dans le domaine politique. Le quotidien britannique The Guardian a récemment recensé les pires phrases publicitaires du tourisme international en les classant dans diverses catégories.
Le hautement suggestif
Il y a, tout d’abord, une première catégorie que l’on pourrait qualifier de fourre-tout linguistique, avec des phrases qui ont tellement d’équivalents sémantiques qu’il est difficile de faire un choix. Ainsi la Jamaïque a opté pour :
Jamaica: Get All Right, que l’on peut transposer, entre autres solutions, par un Jamaïque ayez tout.
Il y a, ensuite, les phrases à forte connotation sexuelle, avec les très sexistes Îles Fidji qui présente une jeune femme étendue sur une plage, dans une position qui n’indique pas nécessairement qu’elle souhaite jouer au scrabble, et cet impératif en forme d’invitation pressante, dans laquelle la première lettre de Fidji conduit inévitablement à un autre verbe de la langue anglaise:
Fidji Me, avec, en haut à droite de l’affiche publicitaire, un ordre qui chasse toute ambigüité, Spoil Me, littéralement déflorez moi.
Dans le même style à la fois peu élégant et très orienté, la Lettonie :
Latvia, Best Enjoyed Slowly, La Lettonie, c’est mieux de prendre son plaisir lentement.
La Slovénie glisse vers le X, avec un jeu de mots difficile à transposer et très pesant entre love et Slovenia:
I feel SLOVenia, dont l’équivalent sémantique pourrait être, tu la sens ma Slovénie.
Le Népal encourage la pratique régulière :
Naturally Nepal – Once is not enough, Naturellement le Népal – une fois ce n’est pas suffisant.
La Nouvelle-Zélande est à la fois descriptive et suggestive, avec, là aussi un jeu de mots, plus que douteux, entre Hut et la vallée de la rivière Hutt dans la région de Wellington:
New Zealand's Hutt Valley - Right Up My Hutt Valley, en d’autres termes La vallée de la Hutt/hutte de Nouvelle Zélande – Remontez jusqu’au bout la vallée de ma hutte.
Israël reste dans l’ambigüité du X et entend relativiser :
Israel - Size doesn't matter, Israël – la taille n’a pas d’importance.
L’Indonésie est dans la même veine générale :
Indonesia – Admit It You Love It, L’Indonésie – Avouez que vous aimez ça.
Le tactile
Lithuania – See It! Feel It! Love It!, La Lituanie – Regardez la ! Sentez la ! Aimez la !
L’Anguilla, archipel britannique des Caraïbes :
Anguilla – Feeling is Believing, l’Anguilla – le sentir c’est y croire.
Paraguay – You have to feel it, le Paraguay – il faut que vous le sentiez.
La sensualité est abandonnée avec certains pays qui ont eu la faiblesse de recourir au souvent désastreux traducteur automatique en ligne.
Le travail de Google®
Ces traductions aussi littérales qu’ineptes* montrent que Google et Systran ne peuvent décemment pas constituer des références de traduction et engendrent des cocasseries et des absurdités langagières, qui donnent des résultats surréalistes à la limite du mumbo-jumbo (charabia). Ainsi la Grèce a choisi la communication simple sur le style de You Jane, Me Tarzan : Greece -You in Greece, qu’il semble superflu de traduire. La Grenade tend vers le barbarisme linguistique et le non-sens total : Granada – Live in the rhythms of spice, littéralement La Grenade, vivez au rythme de l’épice ! En attendant de trouver l’épice ou le piment musical adéquat, il eût fallu déjà, pour que la phrase ait un sens, respecter la grammaire avec at et non in et écrire enjoy discovering genuine spices ou, si l’on prend spice en son sens figuré, spice up your holidays with a flight to Granada. La Serbie a également donné dans la métaphore, mais par le biais d’une collocation étrange, Serbia – Life in the Rhythm of the Heartbeat, car s’il y a entre rhythm et heartbeat, les pulsations cardiaques, l’analogie de la répétition, rhythm fait essentiellement référence à la musique et à la danse. La Slovaquie a cru bon de reprendre le titre du film d’Arthur Penn, avec Dustin Hoffman dans le premier rôle, Little Big Man, tout en prolongeant à la fois un barbarisme et un oxymore qui avait un sens dans le film, mais qui n’en a aucun dans la publicité touristique : Slovakia – Little big country. L’Afrique du Sud a plongé dans le double non-sens lexical : South Africa – Inspiring new ways, là où il aurait été judicieux de se contenter de discovering new paths. L’Uruguay s’est voulu sobre mais incompréhensible avec un coupable rejet de l’adjectif après le nom : Uruguay natural. Mais il y a plus grave.
Le dérangeant
Les formulations dérangeantes donnent, par maladresse, un double sens à une phrase qui, de fait, devient lourde et ambiguë. Ainsi en voulant être attractif le Panama est effrayant, puisqu’il n’ y a, apparemment, pas de moyen de s’en débarrasser : Panama – It stays in you. La Colombie est perçue comme le pays du sinistre cartel de la drogue. Donc utiliser risk et stay (rester) dans la même phrase n’est guère rassurant : Colombia – The only risk is wanting to stay. Quant au choix sémantique marocain, il ne peut qu’évoquer les effets de certaines substances : Morocco – The country that travels within you. D’autres pays ont laissé libre cours à leur enthousiasme.
L’enthousiasme
There's nothing like Australia
Brazil Sensational!
Smile! You are in Spain!
L’Inde a remplacé le I initial par un point d’exclamation qui est censé illustrer l’émerveillement : Incredible !ndia. Pour l’Ecosse c’est un mot-valise, Incredinburgh, qui fait la jonction entre incredible et Edinburgh. D’autres pays et régions ont pris la voie de l’étrange.
L’étrange
Jump into Ireland est une invitation impérative qui, dans le meilleur des cas, intrigue, dans le pire, engendre l’angoisse. Le choix du Bangladesh est tout à fait surréaliste : Visit Bangladesh before tourists come. Y-aurait-il du tourisme avant les touristes et sans les touristes ? Quant au comté écossais du Dumfries and Galloway, qui fait face à l’Irlande avec la péninsule du double marteau de Stranraer, quiconque y a séjourné trouvera la phrase choisie désopilante et peu en rapport avec la réalité de côtes où la température de l’eau n’excède pas 12° : Dumfries and Galloway - A touch of the exotic. Enfin la dernière catégorie va de l’emphase à la simplicité.
De l’emphase à la sagesse
Le Montenegro, le Swaziland et l’Egypte ont respecté la grammaire et le lexique mais sont partis dans l’emphase.
Montenegro – Wild Beauty
The Kingdom of Swaziland – A Royal Experience
Egypt – Where it all begins.
Pour l’Allemagne et la Hongrie c’est le choix du truisme : Germany – The travel destination. Go to Hungary.
Dubaï veut la concision : Definitely Dubai. Dubaï sans aucun doute.
La capitale de l’état du North Dakota, Fargo, située dans les grandes plaines, a choisi la constatation géographique et climatique : Fargo, North Dakota - Always Warm. On ne saurait terminer ce tour d’horizon international sans parler du délire verbal des conseils généraux pour vanter les charmes des départements français.
L’œuvre terrible des conseils généraux
Voici donc un florilège de ce que peuvent produire les départements français, avec tout d’abord, une recherche systématique et consternante du franglais et du jeu de mots que même l’Almanach Vermot aurait hésité à publier :
Peace Aisne Love et Aisne it’s Open,
Isère any better place in the world?
La catégorie majeure est celle du calembour qui pèse des tonnes et qui suscite plutôt la commisération que l’admiration :
Allier les bleus !
Alsacez-vous !
Ça gère les Gers !
La Lorraine est hardie
Région Centre et but
On aime tout dans le Poitou
Si elle n’existait pas il faudrait la Vendée
Il y a aussi la recherche de la proximité d’ordre sémiologique :
Cantal + Et bien plus encore
Enfin, et nous revenons ainsi, à la première catégorie citée plus haut, nombre d’agences publicitaires et de conseils généraux procèdent d’un mauvais goût prononcé allié à un machisme fort révélateur qui devrait donner à réfléchir à leurs concepteurs, tant les implications et présupposés, au sens linguistique, créent sinon l’embarras du moins le malaise. Le département du Jura a suscité, à juste titre, une violente réaction de la part des association féministes avec un texte publicitaire radiophonique calquée sur les annonces de feu le minitel rose : "Mes rivières sont généreuses, mes courbes engageantes. Viens chez moi (...) viens randonner sur moi." Assimiler un département au corps d’une femme, et qui plus est, d’une femme totalement soumise au bon vouloir de l’homme, est non seulement lamentable et hors sujet, mais constitue un obstacle important dans la nécessaire éducation à envisager pour faire respecter l’égalité. Il en va de même avec le thème, qui relève du fantasme masculin dominateur, choisi pour vanter la saveur de la saucisse de Morteau, 20 cm de bonheur.
* Dans le domaine de l’ineptie et bien avant l’émergence de Google, la chanteuse, ou présumée telle, Marie Laforêt avait commis une affligeante ritournelle intitulée Il a neigé sur Yesterday, dans laquelle elle claironnait : « Penny Lane a maintenant deux enfants ». Pour mémoire l’excellente chanson des Beatles de 1967, Penny Lane, évoquait avec nostalgie une ruelle (lane) imaginaire, Penny Lane, qui est devenue une ruelle réelle à Liverpool en hommage aux Beatles, où se côtoyaient tous les petits commerces traditionnels britanniques. Donc si une ruelle a deux enfants, elle a dû épouser Strawberry Fields…