Le sens de l’adjectif « nauséabond » semble suivre une trajectoire imposée par l’évolution politique récente de la société, et, plus particulièrement par la résurgence du racisme. Son apparition, dans le Dictionnaire de l’Académie, remonte selon le Littré(1) à 1835, mais le sens figuré a toujours été associé au sens propre, ce n’est que le contexte actuel qui permet au premier nommé de dépasser le second. Son étymologie permet de détacher le nom commun féminin latin nausea, nauseae, lui-même issu du grec nausia, forme altérée de nautia, qui signifie « mal de mer » et de l’adjectif abundus,a,um, qui signifie « abondant » et qui est, lui-même dérivé du verbe abundo, as, are, « déborder, être en abondance, avoir en abondance, être riche ». Donc, littéralement « nauséabond », au sens premier, signifie « qui engendre le mal de mer ».
La signification a dérivé, par glissement sémantique, vers deux entrées majeures :
A) {En parlant d’une odeur, d’une saveur ou de quelque chose qui a une odeur, une saveur.} qui provoque des nausées, qui écœure ou qui incommode. Les synonymes sont : dégoûtant, écœurant, fétide, infect, puant. Pour conforter le sens propre le TLFI (2) cite tour à tour Georges Duhamel, Terre promise, 1934, p-66 : « Un dîner nauséabond que je pris dans un « bouillon », non loin de la place Maubert. » ; Albert Camus, La peste, 1947, p-1362 : « Vers le matin, en tout cas, les premiers jours, une vapeur épaisse et nauséabonde planait sur les quartiers orientaux de la ville. De l’avis de tous les médecins, ces exhalaisons, quoique désagréables, ne pouvaient nuire à personne. » ; François Mauriac, Les grands hommes, 1949, p-150 : « …cette salle à manger nauséabonde avec son casier où les pensionnaires rangent leurs serviettes souillées, voilà le nid d’où s’envolent les personnages balzaciens qui vont nous servir de guides ». Le Robert (3) cite uniquement Maupassant, sans grande précision, et se limite au sens propre : « …le lac de Tunis, dépotoir nauséabond, dont les émanations sont telles que, par les nuits chaudes, on a le cœur soulevé de dégoût ».
B) au sens figuré, qui inspire une profonde répugnance, dans l’ordre intellectuel ou moral. Les synonymes sont : dégoûtant, écœurant, immonde, rebutant, repoussant, répugnant. Parmi les exemples donnés par le TLFI, nous avons George Sand, Histoire de ma vie, tome 2, 1855, p-472 : « La politique me devenait nauséabonde, Nohant n’était plus aussi recueilli et aussi intime que par le passé. » ; Marcel Proust, Du côté de chez Swann, 1913, p-286 : « Et comment une créature dont le visage est fait à l’image de Dieu peut-elle trouver matière à rire dans ces plaisanteries nauséabondes ? » ; Georges Courteline, Un client sérieux, 1897, I, p-22 : « Solliciter le pardon d’un folliculaire taré, nauséabond et besogneux ! » ; et enfin Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, 1956, p-414 : « Je ne partage pas l’opinion du Président Roosevelt quand il explique qu’il s’agit d’éviter l’effusion de sang et sous-entend que, pour cela, tous les moyens sont permis. Quant à moi, je ne me prêterai, ni de près, ni de loin, à ces nauséabondes histoires. »
On voit donc par là que le sens propre et le sens figuré de « nauséabond » sont indissociables dans l’histoire de cet adjectif et de son évolution. Cependant force est de constater que le sens propre a pris une connotation soutenue qui lui confère un usage restreint, presque synonyme d’affectation. Or, comme une langue vivante évolue toujours par ce que l’on appelle en linguistique « la loi du moindre effort », qui vient de l’expression anglaise law of least effort, en d’autres termes « la tendance générale des usagers d’une langue déterminée à limiter ou réduire l’effort nécessaire à la transmission de l’information »(4), la langue courante parlée a tendance à remplacer l’adjectif « nauséabond », jugé trop soutenu, tout simplement trop long aussi, par une périphrase fondée sur une proposition relative comme « qui sent mauvais », par exemple.
En revanche, le sens figuré s’est nourri, depuis quelque temps, du racisme, de la xénophobie et de la haine. Quand la garde des sceaux est insultée, de façon ignominieuse, la démocratie est nauséabonde. Quand des parents encouragent leurs propres enfants à assimiler la même femme à un animal, alors l’éducation transmise par les parents devient nauséabonde. Quand le maire d’extrême droite d’Orange fait intervenir la police municipale pour faire taire une élue d’opposition, on peut dire, sans hésiter, que le débat contradictoire est nauséabond. Quand un ministre de l’intérieur prétendument de gauche fait expulser autant de gens que son prédécesseur de droite, l’idéologie est nauséabonde. Et quand un groupe de rap se lance dans la récupération communautariste d’un film, fondé sur une noble marche antiraciste, pour demander « un autodafé sur ces chiens de Charlie-Hebdo », leur conception de la différence devient nauséabonde. Tous ces exemples illustrent d’abord la désapprobation, puis le rejet, ensuite le dégoût et la nausée. Le regretté Desproges avait une phrase tristement d’actualité pour commencer un spectacle : « en achetant Minute, on a tout Sartre, d’abord Les Mains Sales, ensuite La Nausée »…
(1) Le Littré, Société du Nouveau Littré, 1983, Tome III, p-4101, Paris : Le Robert.
(2) Le Trésor de la Langue Française Informatisé, http://atilf.atilf.fr/
(3) Société du Nouveau Littré, 1974, Le Robert, Tome IV, p-586, Paris : Le Robert.
(4) J. Tournier, 1991, Structures lexicales de l’anglais, p-113, Paris : Nathan.