Billet de blog 20 novembre 2016

Catherine Chabrun (avatar)

Catherine Chabrun

Pédagogue, écologiste et militante des droits de l'enfant -

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Pour une réforme de structure de l'enseignement

En 1959, le ministre de l'Éducation nationale, Jean Berthoin réformera l’organisation du système éducatif et prolongera la scolarité obligatoire de quatorze à seize ans *. Dans l’Éducateur de juin 1956, le mouvement Freinet publie ses craintes et ses propositions.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'Enseignement actuel ne « rend » pas. Enfants et maitres sont surmenés pour des résultats qui, tant au regard des examens que pour la culture, sont manifestement au-dessous de ce qu'on est en droit d'attendre d'une école démocratique en 1956.

La compétence et le dévouement des éducateurs ne sauraient être mis en cause, pas plus, comme on a coutume de le faire, qu'une déficience individuelle plus généralisée des enfants eux-mêmes. Certes, les enfants de 1956 ne sont plus les enfants de 1900. Les caractéristiques de comportement en ont été parfois bouleversées mais ils ont pour eux aussi une vivacité d'esprit, un besoin de conquête et d’action qui excite grandement l'aventure scientifique et sociale contemporaine.

Si l'école ne rend pas c’est que la Méthode de Travail est mauvaise parce que non adaptée aux nécessités de l'heure.

Une Réforme de l'Enseignement se prépare. Nous craignons fort qu'elle ne modifie que les cadres et la forme de l'enseignement, qu'elle vise surtout à délimiter les divers degrés d'enseignement et à ajuster les relations des uns aux autres par le jeu des examens.

Ce souci n'est peut-être pas inutile ; il n'est que secondaire. Avant de savoir comment on raccordera le primaire au secondaire ou au technique, il faut que la machine fonctionne normalement et rende aux divers degrés et qu'on ne se contente pas d'une adaptation à cette forme de la pratique pédagogique elle-même.

Pourquoi la machine scolaire ne fonctionne-t-elle qu'à 20 ou 30 % au lieu de donner son plein rendement ?

Il y faut un changement de méthode pédagogique : les programmes scolaires, tels qu'ils avaient été prévus il y a 50 à 60 ans visaient surtout à l'acquisition des connaissances et des techniques dans un monde neuf où le répertoire encyclopédique restait encore à la mesure de l'enfant et de l'Homme.

On croyait aussi que l'accumulation des connaissances allait préparer des « savants » mieux aptes de ce fait à remplir leur fonction d’hommes.

Or, l'évolution accélérée du progrès technique, la masse sans cesse croissante de découvertes et de réalisations rendent aujourd'hui « démentiels »,selon le mot du Recteur Sarrailh, des programmes qui poussent à remplir la tête plus qu'à nourrir l'esprit et à cultiver en l'enfant les qualités qui feront de lui, demain, le travailleur efficient, le citoyen actif et courageux, l'HOMME.

Le temps est venu d'inscrire dans la loi que le but de l'École n'est point d'enseigner à l'enfant ce que l'Homme d'aujourd'hui ne doit pas ignorer ; que ce n'est plus à la quantité des connaissances qu'on mesure la qualité d'un esprit, mais à sa formation profonde, à son mûrissement, à son aptitude à chercher et à connaître en fonction• des besoins nouveaux du travailleur, du citoyen et de l'Homme.

 Cela ne signifie point que les connaissances soient inutiles ou superflues, mais seulement qu'il est vain aujourd'hui de vouloir donner à l'enfant des lumières de tout. Il faut le préparer et l'aider à affronter avec succès un monde complexe qui n'a plus aucune commune mesure avec celui d'il y a 200 ans, 100 ans ou même 50 ans.

C'est à la structure même, à la qualité de l'enseignement, qu'il faut s'attaquer si l’on veut en corriger et en surmonter les insuffisances.

Un projet de loi a été déposé à cet effet, qui vise à généraliser à l'ensemble de l'enseignement l'expérience de Vanves des classes à mi-temps : travail intellectuel scolaire le matin, gymnastique et jeux l'après-midi.

li s'agit là, déjà, d'une réforme de structure. Nous lui reprochons seulement de donner une plus large place à l'exercice physique – ce qui est certainement un bien – mais sans toucher en rien, pendant la matinée, à la structure d’un enseignement dépassé.

Nous pensons de plus qu'il est dangereux aussi, pour l'École elle-même, pour l'unité de l'enseignement et pour l'avenir de l'école laïque, de soustraire les enfants à leurs éducateurs pendant toute une demi-journée pour les confier à un corps nouveau qui peut avoir la compétence technique mais dont la formation pédagogique insuffisante ne fera qu'aggraver les causes actuelles de déficience et de déséquilibre.

L'enfant –  et les maîtres – sont surmenés, non parce qu'ils travaillent mal, mais selon des méthodes dépassées aujourd'hui dépourvues d'intérêt, et dans des conditions qui ne doivent pas être plus longtemps tolérées.

C'est à modifier :

– La structure même de notre enseignement ;

– Les méthodes et les techniques de travail scolaire et post-scolaire ;

– Les conditions de  ce travail que s'attache la présente proposition de loi.

Illustration 1

Nous demandons aux parlementaires amis, aux groupes politiques de la majorité, de vouloir bien examiner ces propositions et de les présenter à la Chambre avant qu'intervienne une Réforme de l'Enseignement fragmentaire qui ne modifierait en rien ni la situation de l'École, ni les raisons de ses difficultés et de ses insuffisances.

L'École est un des grands services publics. Il devrait être le service public n° 1. Nous demandons à toutes les organisations syndicales, aux parents d’élèves et aux amis de l’Ecole d'intervenir pour que des mesures urgentes soient prises, sans lesquelles la décadence accélérée de l'Ecole préparerait à bref délai la décadence de la nation.

Institut Coopératif de l'Ecole Moderne (Techniques Freinet) Cannes

* Lire le document : Le décret Berthoin (1959) et ses enjeux vus par Le Monde

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