Billet de blog 24 octobre 2016

Catherine Chabrun (avatar)

Catherine Chabrun

Pédagogue, écologiste et militante des droits de l'enfant -

Abonné·e de Mediapart

Vers une rénovation de l'enseignement de l'histoire

Les manuels d'histoire sont les plus nocifs des manuels scolaires, Célestin Freinet en 1932

Catherine Chabrun (avatar)

Catherine Chabrun

Pédagogue, écologiste et militante des droits de l'enfant -

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'enseignement de l'histoire l'école primaire reste, pour des novateurs, une des questions importantes pour lesquelles il faut sans retard trouver un compromis acceptable à défaut de solution rationnelle et définitive.

L'esprit réformateur de l'éducation nouvelle a, en effet, pénétré quelque peu les diverses disciplines : l'enseignement de la langue, sous l'impulsion notamment de nos techniques, s'est sérieusement rapproché de l'enfant ; on prône l'expérimentation en sciences et en calcul : la géographie devient plus vivante grâce aux documents illustrés el aux appareils de projection. Seule l’histoire garde ses positions solidement nationalistes et retardataires : les manuels du début du siècle sont encore en usage, à peine mis à jour à la fin de la guerre, avec leurs rois, leurs guerres, les traités et leurs théories de dates à retenir et de résumés à apprendre par cœur. Et les examens sanctionnent toujours ce même savoir — ou la même ignorance —, car il y aurait des livres à écrire, et pas des moins édifiants, avec les monstruosités auxquelles aboutit inévitablement un bourrage anti pédagogique et toujours prématuré.

Des efforts ont été tentés : ils sont restés inopérants parce qu'ils n'étaient pas conçus sur le plan pédagogique, qu'ils ne visaient pas à changer la méthode même de l'enseignement mais seulement à en moderniser le contenu : épuration des manuels dans un sens pacifiste, réduction du nombre de faits à mémoriser avec essai d'orientation vers une philosophie de l'histoire, part plus grande faite à l'histoire de la civilisation. La Nouvelle Histoire de France est, dans ce sens, la tentative la plus hardie et la plus poussée qui ait vu le jour en France depuis la guerre : l'histoire traditionnelle passe au second plan et on essaye de faire surgir devant l'esprit des enfants l'évolution dans la vie économique, politique et sociale qui constitue la véritable histoire.

Et pourtant, cet essai louable lui- même a manqué son but, non pas seulement parce que toutes les forces conservatrices se sont liguées pour en entraver la diffusion, mais surtout, pensons-nous, parce qu'on n'a pas osé briser les vieux cadres, changer une technique périmée pour adapter l’enseignement historique élémentaire aux nécessités fonctionnelles de la pédagogie — parce qu'on a conservé le manuel dont nous préparons la radicale disparition.

Illustration 1

Avant d'exposer nos projets à ce sujet, nous croyons utile de rappeler la technique normale de l'enseignement historique, telle qu'elle découle de l'examen des aspirations et des besoins de l'enfant.

L’initiation historique d'abord. Elle ne saurait être constituée par ces abrégés d'histoire nationale qu'on place déjà entre les mains des enfants du Cours Préparatoire, même si on a cru les moderniser en les émaillant d'anecdotes plus ou moins authentiques. On commence ainsi le bourrage que continueront aux autres cours des manuels identiques : cela ne peut en aucune manière s'appeler initiation.

Et que sert d'aller parler de Charlemagne, de Jules César ou des Gaulois à des enfants de 7-8, ou même 10 ans pour qui avant la guerre semble la période la plus lointaine à laquelle ils puissent logiquement remonter.

II y a à cet âge comme une première initiation tout à fait diffuse, mais extraordinairement profonde, que Perrière recommande d'aller chercher jusque dans la fable « cristallisation ou stylisation de l'expérience sociale et psychologique de l'humanité, expérience pratique, donc morale, avec recours au folklore des divers pays »(1).

Cette initiation peut d'ailleurs être menée de front avec la deuxième étape « histoire des choses », connaissance du monde concret aux différentes époques du passé, dans ses rapports avec les besoins de l'homme : alimentation, cuisson des aliments, habitation, vêtement, mode de locomotion, chasse et pêche, guerre, défense contre les animaux, contre les ennemis, contre les maladies, jeu et travail — observation des modes de satisfaction de ces besoins dans le présent et comparaison avec ceux utilisés dans d'autres régions du globe (c'est l'amorce de l'histoire) (2).

Cette étude « complexe » de la vie ailleurs et autrefois devrait constituer l'essentiel de l'enseignement historique à l'école primaire.

C'est parce que nous le pensons ainsi que nous avons toujours aidé de notre mieux notre ami Gauthier dans la recherche de textes d'enfants qui lui ont permis de publier depuis quelques années, dans l'Ecole Emancipée, une initiation historique qui pourrait bien faire énorme-—et que nous avons entrepris l'édition de documents susceptibles de rendre pratiquement possible dans nos classes cette initiation: histoire du pain, histoire du livre, histoire du véhicule, etc...

« De dix à douze ans, selon Ferrière, l'histoire en tant que branche, se détache du tronc commun des connaissances. Toutefois, les besoins de l'homme et la façon de les satisfaire demeurent au premier plan des époques étudiées ». C’est à cet âge que conviendrait parfaitement l'usage des biographies historiques, fragments de vies précieux pour ressusciter le passé dans son intégralité.

« Ce n'est que de quatorze à quinze ans que l'adolescent commence en général être apte à comprendre l'histoire sous une forme suivie et, dès lors, à s'y intéresser ». Et cet intérêt ne peut être profitable que si une initiation profonde et pédagogiquement comprise a préparé la compréhension totale de l'évolution économique, sociale et politique à travers les siècles.

Nous avons déclaré la guerre aux manuels scolaires. Les manuels d'histoire sont, à notre avis, ceux qui sont les plus anti pédagogiques et les plus nocifs. II faut que nous en débarrassions au plus tôt nos écoles. « Les récits panoramiques des manuels actuels soi-disant destinés à l'enfance constituent du temps et de l'énergie perdus : étant contraires à la psychologie, ils ne suscitent pas d'intérêt. Il y a dégoût plus ou moins dissimulé, donc attitude mentale fermée et non ouverte aux enseignements d'ordre supérieur : psychologie et sociologie génétiques des peuples du passé. Et c'est pourtant à cette compréhension qu’il faut aboutir sous peine de faire faillite, sous peine de manquer le but, le seul but qui justifie l'effort fourni par celui qui enseigne l'histoire ».

Nous sommes en mesure — ou nous le serons du moins sous peu — de donner enfin, dans nos écoles primaires élémentaires, un enseignement historique rationnel, psychologiquement fondé sur les intérêts et les besoins de l'enfant et comprenant :

a) L'initiation historique par la recherche personnelle des enfants, la notation des souvenirs véritables, les recherches scientifiques ou folkloriques, qui sont susceptibles de faire sentir aux enfants la continuation et tout à la fois la différenciation de la vie humaine à travers les siècles.

b) La vie à travers les âges : histoire du pain, histoire du livre, histoire du véhicule, histoire des anciennes mesures, du costume, de la guerre, de l'école, etc...  et, en même temps, tranches de vie pour les diverses époques, sortes de dioramas ressuscitant le passé : relations les plus exactes possibles d'événements importants, biographies d'hommes illustres, etc... Tout cela réalisé techniquement en documents excessivement maniables, à consulter par les enfants, à classer, reclasser, regrouper comme nous l'indiquerons, tâche excessivement vaste que nous n'avons pas la prétention de réaliser en quelques années, mais à laquelle nous nous sommes déjà attaqués et que nous continuerons avec une sûre vision des buts à obtenir.

c) Même si cet enseignement est quelque peu prématuré dans nos écoles, les programmes et les examens nous font cependant une obligation que nous ne saurions sous-estimer de familiariser nos élèves avec les dates et les grands événements de notre histoire nationale. Nous pensons avoir trouvé, avec la Chronologie mobile d'histoire la technique idéale qui nous permettra tout à la fois de préparer et de poursuivre le véritable enseignement historique et de satisfaire, dans la mesure imposée, aux exigences scolaires actuelles.

Notre initiative n'apportera pas grand-chose quant au contenu. Elle vise le cadre, la technique de renseignement historique que nous voulons renouveler. Un grand pas pourrait bien être réalisé sous peu dans ce sens.
Comment ? Le prochain numéro de cette revue vous le dira.

L'Educateur prolétarien n ° 3, décembre 1932

La Chronologie mobile d’Histoire de France

 Dans le N° 3 de notre revue nous avons donné quelques indications théoriques sur notre conception de l'enseignement historique.

Cette courte étude devait servir de préface à une édition que les événements de ces derniers mois ont malheureusement retardée mais qui est aujourd’hui à l’imprimerie et que nos camarades pourront recevoir aux environs de Pâques.

Notre initiative, disions-nous en fin de l’article, n’apportera pas grand-chose quant au contenu. Elle vise le cadre, la technique de l’enseignement historique que nous voulons renouveler.

Notre but est toujours le même, quelle que soit la discipline considérée : préparer du matériel, des documents, permettant aux éducateurs d’adapter à leur classe nos techniques d’éducation nouvelle et aux élèves de travailler au maximum par eux-mêmes, en organisant individuellement ou par groupe le résultat de nos recherches.

Une de nos préoccupations essentielles aussi : rechercher le matériel cl les techniques qui, tout en permettant au maximum le travail nouveau nous laissent la possibilité de répondre, sans supplément sensible de travail aux nécessités scolaires qui nous sont imposées par les règlements, par les inspecteurs, par les examens, et parfois même par la difficulté où nous sommes de convertir les parents aux idées nouvelles. On nous comprendra dès que nous aurons présenté notre nouvelle réalisation : 

Sur des feuilles format fiche réglées à 25 lignes par page, nous inscrivons à droite, dans une colonne spéciale 25 années (une année par ligne), il nous faudra donc 4 fiches par siècle, soit 78 fiches. Voilà le cadre initial.

A gauche de la colonne des années, en face de la date correspondante, nos camarades trouveront imprimés les faits essentiels de l'Histoire.

Nous avons, à dessein, réduit au minimum, le nombre d’événements et de dates pour qu’on ne nous accuse pas de pousser nous aussi au bourrage mnémotechnique. Il sera facile aux élèves et aux instituteurs de compléter eux-mêmes cette liste en inscrivant, en face des dates diverses, les événements qui auront retenu leur attention.

A gauche de la colonne des années, en face de la date correspondante, nos camarades trouveront imprimés les faits essentiels de l'Histoire. 

a) En fiches carton ou papier du fichier scolaire coopératif dont elles seront la continuation ;

b) En fiches papiers reliées par notre reliure boulon ou notre reliure toile mobile, permettant aux élèves de compléter leur livre au cours de l’année ;

c) En livret pour ceux qui n’ont pas encore introduit chez eux le système des fiches.

Nous allons, maintenant, donner rapidement un aperçu des usages et de l’utilisation possible de cette chronologie mobile.

1° Les fiches reliées :

a) Les camarades travaillant à l’imprimerie s’intéressent tout particulièrement à l’histoire locale dont notre ami Gauthier a montré la grande puissance d’initiation.

Un texte rappellera un fait intéressant de l’époque révolutionnaire. Imprimé ou écrit sur une feuille du format fiche, il sera intercalé dans la chronologie après la feuille correspondant à 1789, et l’événement relaté pourra être inscrit en regard de la date correspondante.

On découvre des armoiries, des documents anciens. On les inscrit de même à la date correspondante et on les intercale comme précédemment. Ou fait de même pour les documents reçus de nos correspondants qui prennent ainsi place dans un ensemble éducatif et de maniement pratique.

b) I.es documents divers de notre fichier scolaire, les textes imprimés se rapportant à l’histoire ou découpés dans les divers journaux pédagogiques seront de même intercalés dans notre chronologie mobile.

c) Les événements sont inscrits en face de la date correspondante au fur et à mesure de l’étude.

Lorsqu’après le travail de quelques mois notre chronologie sera ainsi complétée et enrichie elle se présentera aux yeux de l’enfant comme un ensemble de tableaux d’histoire réunis mathématiquement par siècles et par époques, et non plus des tableaux impersonnels et muets, mais des réalisations des enfants eux-mêmes, concrétisant dans le temps et dans l'espace une conception historique solidement fondée sur des documents éloquents et vivants.

Le résultat en sera : un intérêt nouveau pour les recherches historiques dans le cadre actif de nos techniques — une organisation et une classification matérielle simple parlant aux yeux et à l’esprit et donnant aux enfants cette idée de temps si difficile à acquérir — un moyen tout à la fois pratique et éducatif de meubler la mémoire des éléments indispensables réclamés par les examens.

Notre chronologie pourra d’ailleurs être partagée en plusieurs périodes pour être utilisée aux divers cours de l’enseignement primaire, en même temps qu’elle affranchira les instituteurs el les élèves des manuels traditionnels dont nous ne referons pas ici le procès.

2° Le livret :

Les camarades qui ne désirent pas utiliser notre chronologie selon la technique ci-dessus préconisée pourront avoir recours au livret que chaque élève complétera par la notation des événements importants aux dates correspondantes.

Nous sommes cependant persuadés que notre chronologie affirmera bien vite sa supériorité incontestable qui lui vient de ses qualités de souplesse et d’adaptation aux différents besoins scolaires.

3° Les fiches carton :

Avec les fiches carton toutes les combinaisons sont également possibles. Classement dans le fichier et de façon précise, de tous les documents historiques ; exposition des fiches se rapportant à une période donnée, pour la recherche collective et individuelle de documents, affichage de la liste des dates, etc...

Nous n’avons pas la prétention de préciser ici, dans le détail, la technique possible de l’emploi de notre chronologie mobile. Chaque instituteur l’adaptera à sa classe et nous ferons notre possible pour continuer la publication de documents susceptibles d’enrichir encore ce qui pourrait bien devenir le livre idéal pour l’enseignement historique dans nos écoles.

Celte chronologie est l’œuvre de la Coopérative : il serait difficile de préciser la part que chacun d’entre nous a eue dans son élaboration, mais nous croyons devoir signaler cependant combien nous a été précieuse la collaboration si compétente de notre ami Gauthier, de Solterre (Loiret) qui poursuit depuis plusieurs années ses études originales de rénovation de l'enseignement historique et dont il nous a été facile de mettre au point le projet grâce au concours des nombreux camarades auxquels nous nous sommes adressés.

L'Educateur prolétarien n ° 5, février 1933

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.