Comme nous l’avons dit en fin de notre premier article introductif, l’injustice sociale généralisée est mise en œuvre avec la complicité des services de l’Etat, qui ne fait plus office de rempart de protection pour les conquêtes sociales des citoyens et pour leurs droits.
Pire, pour détruire les quelques barrières que notre système social oppose encore au libéralisme, il met en place des organisations et fait des choix. C‘est pourquoi, dès 2006, l’état français abandonne pour le projet ITER l’application du label grand chantier (alors que la labellisation était prévue avant)
Le Label grand chantier : qu’est que c’est ?
Il a été revendiqué par la CGT, lors des trois rencontres de l’époque avec le préfet Imbert, détaché spécialement pour la mise en place du grand projet ITER , et qui arrivait de Bordeaux où il officiait sur un autre grand projet : Le Laser Mégajoule, également confié par l’Etat au CEA (aucun de ces deux grands projets n’obtiendra le label grand chantier). Avec ce label, les patrons choisis pour la réalisation de ces chantiers seraient tenus au respect de règles publiées dans une réglementation intitulée ’‘label grand chantier’’, établie par l’Etat et les administrations concernées, pour la réalisation de grands ouvrages de travaux publics et du BTP, (centrales et réacteurs nucléaires français, ainsi que le pont de Millau, par exemple).
Cette réglementation imposerait la mise en place de moyens matériels, financiers, humains et de concertation (partenaires sociaux) destinés entre autres à faciliter la reconnaissance des droits des travailleurs, en matière , d’accueil, de Formation/Emploi (logement, transport, de création de lieux de vie, et de culte, d’instances représentatives des travailleurs, instances de dialogue et de concertation. Notamment sur les conditions de prévention des accidents, d’hygiène et de sécurité des personnels du chantier, ignorants de notre langue et de nos droits, d’assistance médicale et sociale, etc.
Elle imposerait également pour les populations avoisinantes du chantier, un environnement respectueux des impacts écologique, économique et social.
Autant de ‘’grandes intentions, sociales’’, incompatibles avec les intérêts des actionnaires et donc peu propices à la mise en place du dumping social. Le refus de l’utilisation du label grand chantier pour les grands chantiers comme RES ou RJH sur Cadarache est donc révélateur de la volonté de l’Etat, d’imposer l’empreinte du libéralisme et du capitalisme débridé. La réalisation de ces grands chantiers projets a été confiée au CEA, ex-entreprise d’Etat, transformé en EPIC (Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial), dont la mission imposée est l’application des principes libéraux sur le terrain, dès la mise en œuvre des projets : autant d'exemples pour le très grand chantier dont le maître d'ouvrage Iter Organization est, de plus, international !
Sur Cadarache depuis 2000, trois grands chantiers de construction de réacteurs nucléaires, ont successivement été mis en ouvrage.
- Un réacteur expérimental spécifique au domaine militaire (RES) .
-Un réacteur spécifique au domaine médical baptisé du nom d’un célèbre physicien polonais Jules Horowitz (RJH).
-Un réacteur expérimental spécifique au domaine de la fusion (ITER). Consulter notre premier article ici.
Sur les chantiers de ces grands ouvrages, auxquels s’ajoutent le Laser-Mégajoule à Bordeaux, les accélérateurs de particule à Caen, le CEA et AREVA, tout comme EDF sur le chantier de l’EPR de Flamanville, met en place la détestable et même organisation du travail de sous-traitances en cascades et de cascades de sous-traitance, avec l’utilisation massive du dumping social (travailleurs Low Cost importés).
Organisation, aux conséquences catastrophiques, permettant la fraude sociale et de très nombreux conflit d’intérêts, entraînant le non-respect des droits des travailleurs , traités comme des esclaves surexploités (bas salaires, horaires hebdomadaires pouvant atteindre plus de soixante heures). Sans droit, soumis à la barrière de la langue, entassés dans des hébergements précaires, de loisir (bungalows ou mobiles-homes) situés dans des campings ou sur des terrains de foot ,voire sur des espaces associés aux gens du voyages ,comme a Pertuis. Véritable camp de travail, voire de concentration : 779 travailleurs prévus a Châteaux-Arnoux ….. Travailleurs parfois sans couverture sociale, avec des accidentés du travail non répertoriés, non soumis au droit de reclassement et dont les employeurs échappent aux sanctions financières liées au non respect de la prévention des risques et de la santé au travail (article L-4121 du code du travail). ). Et comme nous l’avions signalé, aucune retombée pour les chômeurs locaux qui restent sans débouchés. Tout cela associé a très peu de retombées économiques, entrainant des conséquences négatives dans différents domaines, tels que l’école, la santé (hôpital de Manosque non muni d’un service de réanimation), les transports, la circulation perturbés, les risques aggravés de violences interethniques, une problématique importante de manque de logements qui fait grimper les prix de l’immobilier pour la population locale.
Si les travailleurs étaient reconnus et payés au taux normal en vigueur dans le BTP, salaires conventionnels, horaire 35 h /hebdo, cinq semaines de congé payé eTC. à n’en pas douter il n’y aurait pas besoin d’aller chercher des gens aussi loin et le dumping social n’existerait pas sur ces chantiers.
Que de mensonges !
En abandonnant l’application du label grand chantier au projet ITER, l’Etat a marqué sa volonté d’imposer aux populations un cadre irrespectueux du point de vue économique, social et environnemental pour un tel chantier, alors même que les maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvres (CEA, AREVA, Iter Organization) sont toutes des entreprises adhérant aux principes du développement durable. Dont les trois piliers sont le social, l’économie et l’environnement ! L’utilisation du dumping social ne répond en rien à ces principes !
Pour envisager un développement durable, il s'agit de trouver un équilibre viable, vivable et durable entre :
-une économie plus efficace et plus juste,
-une équité sociale
-la protection de l'environnement, en y intégrant de façon transversale
-un principe de -gouvernance et de démocratie.
Le développement durable s'appuie sur des principes fondamentaux
- de solidarité locale,
- de responsabilité, de cohérence des comportements
- d'ouverture à la diversité culturelle
- de lutte contre les discriminations
- de participation active de chacun à l'engagement citoyen de tous
- d'application du principe de précaution
-L’économie, ce n’est pas l’enrichissement d’une poignée d’actionnaires, mais une répartition solidaire de la richesse créée par le travail, alimentant la solidarité. Or le dumping social a pour origine le détournement et la fraude aux cotisations sociales (voir paragraphe suivant)
La fraude sociale n’est pas une composante du développement durable, mais un appauvrissement des assurances sociales.
-Le social, ce n’est pas le non-respect des droits individuels et collectifs, ni la création de conditions d’esclavage et la surexploitation des travailleurs !
-L’environnement, ce n’est pas l’utilisation de travailleurs déplacés au détriment des chômeurs locaux et le non-respect des populations voisines de ces chantiers
Asservissement et destruction organisationnelle des services de régulation et de contrôle de l’État, un exemple de plus : les chantiers clos et indépendants
Ce qui démontre, cette volonté de l’Etat de ne pas entraver le système libéral, c’est l’organisation de l’asservissement des administrations de contrôle et de régulation aux principes du libéralisme par :
- la destruction des barrières de protection de notre système social, communément critiqué sous le nom de ‘’système social à la française’’.
– à laquelle s’ajoute une volonté de perpétuer une culture du secret spécifique au nucléaire, que l’on vient renforcer par l’utilisation d’une autre réglementation bien arrangeante pour les patrons « Les chantiers clos et indépendants » interdisant l’accès des chantiers aux syndicalistes, représentants du personnel, CHSCT (Comité d’Hygiène et de Sécurité des Conditions de Travail) etc. : ceux qui pourraient éventuellement dénoncer ces pratiques .
-L’inspection du travail ne dispose pas d’autorisation permanente d’accès et doit subir une procédure d’accès soumise a un délai de prévenance, ne permettant pas les visites ou inspections inopinées.
- Le manque récurant de moyens et le flou artistique entretenu dans les modifications et les définitions des missions des URRSAF et de l’Inspection du travail, elle même regroupée avec l’administration des fraudes dans la DIRECCTE, (DIrection Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi) !
L’ensemble des personnels et des inspecteurs de ces administrations déplorent ce manque crucial de moyens et le flou artistique, dans la définition de leurs missions respectives. Ce constat illustre la transformation organisationnelle des services de l’Etat mise en place par des politiques publiques, notamment la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) dont le but est de supprimer les entraves encore en place pour favoriser et adapter les services de l’Etat au modèle libéral. Cela se traduit devant nos yeux par la convention, ITER /URSSAF-PACA (que nous vous avons déjà largement commentée dans notre premier article) qui asservit l’administration, censée contrôler la bonne application du droit français, en matière de financement de nos caisses de solidarités collectives, aux exigences d’impunité patronale, nécessaires aux détournements des financements sociaux à leur profit, c’est-à-dire à celui des actionnaires des grands groupes, notamment du BTP (Bâtiment et Travaux Publics). Les administrations de contrôle et de surveillance, disposant d’un pouvoir de sanction (Inspection du travail, URSSAF), sont donc rendues inoffensives et mises au diapason du libéralisme
Un dernier bastion de résistance serait-il représenté par L’ASN (Autorité de Sureté Nucléaire) ?
Suite à Fukushima , cette autorité semble plus disposée à utiliser son pouvoir de sanction, elle est plus à l’écoute des plaintes des salariés et de leurs représentants, notamment des CHSCT, souvent à la pointe de la détection des situations illégales. Sur les chantiers EDF (EPR Flamanville), cette autorité exerce le pouvoir de l’inspection du travail. Le 24 janvier elle a dressé un procès verbal à l’encontre de M. Proglio (EDF) pour délit de marchandage (prêt de main d'oeuvre illicite) voir ici significatif de l’organisation du travail très fréquente dans le nucléaire, de cascades de sous-traitance et de sous-traitances en cascades, générant le dumping social, le délit de marchandage , ainsi que de nombreux conflits d’intérêts et entrainant une importante destruction organisationnelle du travail, nuisible aux travailleurs et incompatible avec la sureté nucléaire.
L'ASN semble aujourd’hui la seule autorité à disposer d’un pouvoir intact. Un autre grand donneur d’ordre, instigateur de l’utilisation du dumping social sur ce chantier, le CEA (Commissariat à l’ Énergie Atomique), vient également d’être condamné pour délits similaires (travail dissimulé, donc fraude aux cotisations sociales) à l’insu de ses propres salariés. –
référence du jugement ci-dessous et document complet à consulter ici.
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Références
Cour de cassation
Chambre sociale
Audience publique du mercredi 20 février 2013
N° de pourvoi: 11-26401 11-26404 11-26406 11-26407
Publié au bulletin Rejet. Vu la connexité, ordonne la jonction des pourvois n° Z 11-26. 401, C 11-26. 404, E 11-26. 406 et F 11-26. 407 ;
Quelques chiffres sur le dumping social qu’on peut qualifier d’immense FRAUDE SOCIALE.
Nous tentons ici une brève estimation du montant moyen des détournements de cotisations sociales rendus possibles avec l’utilisation du dumping social sur le chantier ITER :
Le salaire moyen du BTP est de 2000€ brut /mois x 12,5 mois = 25000 € /an.
Les cotisations destinées aux assurances sociales françaises s’élèvent :
Part/ Salariales 25000 € /an x 22% = 5500e
Part /Patronales 25000 € e /an x 52% = 13000e
Total 18500 € /an
Les estimations d’effectifs du personnel de chantier sont d’environ 3500 travailleurs soit :
18500 € /an x 3500 travailleurs = soit environ 65 millions d’euros x 6 années de chantier minimum = soit environ 388 millions d’euros sur une durée minimum de 6 années de chantier.
Le dumping social c’est d’abord et avant tout une immense fraude sociale effectuée par la confiscation des revenus du travail destinés à nos caisses de solidarités, rendue possible par le manque de contrôle et l’opacité des pratiques rendue possible à son tour par de multiples artifices dont fait partie la convention de complaisance de l’URSSAF signée avec les patrons d’ITER. Ces pratiques laissent également les chômeurs locaux sans débouchés ni avenir, exposés aux risques de violence interethnique.
Une brève estimation.
Selon les statistiques de l’INSEE l’indemnisation moyenne mensuelle est de 2052e par chômeur, plus de 4000 d’entre eux sont inscrits à Manosque.
4000 chômeurs x 2052 € indemnisation moyenne /mois soit un montant : de 820.800€/ mois multiplié par 12 mois soit 9.849.600€ / an.
le dumping social laissera ces chômeurs à la charge de l’assurance chômage durant 6 années de chantiers pour une indemnisation d’environ 59 millions d’euros. Sur la durée du chantier ces sommes sont à la charge de la solidarité nationale, non alimentée en raison de la fraude organisée par le dumping social. Idem pour les couts supportés par les collectivités locales : logement etc.
Le sénateur Eric Bocquet vient de publier un rapport sur le même sujet : l’estimation actuelle tourne autour de 450 000 travailleurs transeuropéens dont 10% seulement sont déclarés. http://www.humanite.fr/social-eco/dumping-social-eric-bocquet-veut-plus-de-controle-524037
Nos estimations financières sont basées sur 3500 personnes sur le chantier ITER. Faites le compte du manque à gagner pour nos assurances sociales et nos caisses de solidarités, pour tous les travailleurs transeuropéens : vous comprendrez l’incohérence entre les discours et les réalités !