À Tocopilla au Chili, un homme stalinophile a décidé de donner une éducation stricte à son jeune fils. Sa femme, cantatrice dans l’âme, ne partage pas toujours sa philosophie de la vie. Le pays est alors sous le joug de la dictature de Carlos Ibañez.
Un film d’Alejandro Jodorowsky est un événement en soit. La Danza de la realidad est un chef-d’œuvre de plus, puisqu’il n’a pas pu se contenter de n’en signer qu’un. Il a choisi ici de réaliser une « œuvre testament » où il jette un regard subjectif « psychogénéalogique » sur sa propre enfance. Plus que les événements vécus, convoque dans ce film les émotions associées aux figures tutélaires rencontrées, autant par lui que par son père. Car les deux personnages sont intimement liés. Ainsi, c’est autant l’histoire du petit garçon que de celui de son père, joués respectivement par le petit-fils et le fils d’Alejandro Jodorowsky. Car le génial cinéaste a très bien compris que le cinéma comme toute expression artistique ne peut être séparé de la vie. Le cinéma est une expérience de vie pour lui, ses proches mais aussi pour le spectateur. Comme il l’a lui-même expliqué à la suite de la projection, le film lui a permis de recomposer sa famille pour revivre avec elle (on ne sera donc pas étonné de le voir apparaître à l’écran) avec des rôles distincts : en tant que metteur en scène de sa famille, il a donné le rôle de son père à son fils et le sien à son petit-fils. Ainsi, le cinéma comme la psychanalyse se servent du processus de projection pour régler des comptes avec un passé familial parfois traumatique.

Le point de vue de Jodorowsky apparaît avec force dans le titre lui-même : la réalité ne chemine pas en ligne droite en allant de l’avant, elle danse ! Et en tant qu’être humain, on peut être spectateur de sa danse, ou bien le partenaire séducteur de cette réalité dansante ! À partir de là, tout est possible, chaque séquence du film la liberté de ton de Jodorowsky, mêlant drame, chant d’opéra, intermède humoristique, grotesque, absurde, torture, iconoclasme, etc. L’invention est permanente donnant au film des traits baroques tout en le dépassant en permanence : proche du surréalisme, on ne peut oublier ici encore que Jodorowsky a fondé dans les années 1960 avec Arrabal Topor et d’autres le mouvement Panique (en référence au dieu Pan). Dans cette débauche de signifiants, rien d’anodin, ni de gratuit : tout peut être analysé comme symbole à l’intérieur de l’histoire, mais aussi au-delà, avec les figures psychanalytiques trouvant écho dans l’inconscient de chaque spectateur.

Une œuvre d’art totale qui se réalise dans le regard du spectateur au moment de la projection ! Inutile d’être fan de Jodorowsky et de connaître toute son œuvre pour goûter le plaisir de La Danza de la realidad : le cinéaste s’adresse davantage à l’âme humaine du spectateur (quelle que soit sa nationalité, car ne sommes-nous pas tous des habitants de Pangée ? explique le cinéaste) qu’à sa cinéphilie. Cette expérience de récit autobiographique répond merveilleusement aux ambitions de Jodorowsky d’ouvrir la conscience du spectateur. Le spectateur devient réalisateur, puisque prendre conscience d’un film, c’est bien réaliser que celui-ci ne peut pas se résumer à son seul statut de fiction.
La Danza de la realidad Alejandro Jodorowsky
130 minutes. Chili – France - Mexique, 2013.
Avec : Brontis Jodorowsky, Axel Jodorowsky, Adan Jodorowsky, Pamela Flores, Alejandro Jodorowsky, Jeremias Herskovits, Cristobal Jodorowsky
Scénario : Alejandro Jodorowsky
Images : Jean-Marie Dreujou
Montage : Maryline Montieux
Musique : Adan Jodorowsky, Jonathan Handelsman
Son : Claudio Vargas
Décors : Alejandro Jodorowsky, Alisarine Ducolomb
Costumes : Pascale Montandon-Jodorowsky
Effets visuels : Ekkarat Rodthong
Production : Caméra One (France), Le Soleil Films (Chili)
Producteurs : Alejandro Jodorowsky, Michel Seydoux
Producteurs exécutifs : Moisés Cosío, Xavier Guerrero Yamamoto
Distributeur français : Pathé Distribution
Vente internationale : Pathé International