Cédric Lépine : Pouvez-vous rappeler comment est apparue l'idée de ce film ?
Daniela Silva Solórzano : Ça a commencé quand j'étais en master : c'était la première fois que je vivais loin du Mexique et je devais réaliser un premier film. L'exercice consistait en un portrait filmé. J'ai vu un film où il y avait une tension très palpable entre le réalisateur, qui était derrière la caméra, et le protagoniste. Cela m'a donné envie de chercher un personnage avec lequel il pourrait aussi y avoir une sorte de tension, de miser sur la captation d'une relation évolutive. En parallèle, je parlais toujours avec mes amis qui vivaient loin. Nous partagions ce qui nous arrivait au quotidien, des émotions quotidiennes et des images fugaces.

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De là, j'ai voulu mélanger ces deux expériences et je me suis lancé le défi de faire un film en vivant une aventure : avoir un rendez-vous avec quelqu'un que je ne connaissais pas et raconter à mon amie Marianne ce que je ressentais au fur et à mesure. J'ai beaucoup aimé commencer avec des règles sans avoir aucune certitude sur ce qui allait se passer. Pendant quelques mois j'ai senti que ma vie se transformait en film et que l'expérience de faire un film était le film lui-même.
C. L. : Comment s'est déroulé le tournage, dans quel contexte, à quelle époque ?
D. S. S. : Après avoir rencontré Diogo, je ne savais pas ce qui allait arriver à la relation. Après une première conversation, nous avons conclu un accord pour avoir 5 dates de tournage. J'ai commencé à travailler avec mon professeur et ami Tiago Hespanha, présent dès le début. Je ne savais pas comment décider ce que j'allais filmer ou non et il m'a dit de tout enregistrer. Nous avons décidé que je devais filmer des rendez-vous avec une caméra et tout le reste avec un téléphone portable. J'ai demandé à mon amie Marianne de répondre sans faute à tout ce que je lui envoyais avec des notes vocales. Pendant quelques mois, avant de quitter Lisbonne, j'ai suivi cet exercice.
C. L. : Le récit a-t-il beaucoup changé à l'étape du montage ?
D. S. S. : J'avais un délai très strict pour livrer un montage du film, ce qui m'a permis et m'a obligé à vivre un travail très condensé. J'ai appris que le processus associant montage, écriture et tournage en parallèle fonctionne très bien pour moi puisqu'ils se complètent. J'étais en train de monter le film tout en continuant de filmer encore et d'apprendre à connaître Diogo. C'est ainsi vraiment un film où ce qui m'arrivait se traduisait directement dans le montage. La dernière version du montage est pratiquement la même que celui que j'ai terminé en quittant Lisbonne : j'ai seulement ajouté la scène de Friends et la scène finale des fenêtres. Ensuite, j'ai décidé de laisser le montage quasi identique que celui que j'ai livré lors de cette première projection scolaire.
C. L. : Comment le récit sous la forme d'un split screen et avec des téléphones portables est devenu une évidence ?
D. S. S. : Malgré la règle de "tout enregistrer" de Tiago, il ne savait pas trop comment donner un sens à ces images de téléphone portable. J'ai mis beaucoup de temps à comprendre le langage du film et notamment dans la première scène car il fallait que je comprenne comment utiliser les notes vocales, les matériaux. Je ne savais pas si les images filmées par moi dans Lisbonne, au Mexique ou les matériaux que nous avons envoyés par Whatsapp.

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À un moment donné, j'ai voulu inclure mes trois amis et pas seulement Marianne. Il m'a fallu plusieurs jours pour décider des règles d'utilisation de ces matériaux afin qu'ils fonctionnent dans les scènes de téléphones portables. Ça m'a beaucoup aidé d'avoir Tiago à côté comme spectateur immédiat pour avoir une autre personne avec qui rebondir si ce que je faisais avait du sens. Ce qui comptait le plus pour lui, c'est que je ne sois pas coincée et parfois il me disait juste « oui tout va bien » et ça suffisait pour continuer.
C. L. : En quoi selon vous les outils de mise en scène de soi que sont les téléphones portables et les réseaux sociaux créent de nouvelles sociabilités ?
D. S. S. : Je pense que c'est un outil de connexion et de déconnexion de plus. Tout comme il existe différentes personnalités, il existe également différentes manières d'utiliser les réseaux pour établir des relations.
Ou du moins c'est ce que je veux penser, car parfois il semble que les entreprises et cette manière ultra capitaliste dont Internet fonctionne peuvent nous rendre tous égaux. En d'autres termes, je pense que les réseaux sociaux nous permettent, d'une part, d'avoir un lieu commun où nous nous déplaçons, peu importe d'où nous venons, et d'autre part, cela commence à nous mettre tous dans une matrice consumériste.
C. L. : Peut-on comprendre dans le titre du film une définition du cinéma où les images sont les choses qu'un cinéaste dit dans un dialogue avec son public ?
D. S. S. : Oui, j'ai vraiment aimé le nom à cause du jeu de mots. Je pense que vous pouvez dire beaucoup de choses. Il m'arrive souvent de décider du nom presque au début de mes films : j'ai l'impression que c'est une boussole pour arriver à un endroit. Il m'est arrivé la même chose avec ce film. Je pense que le nom me fait penser que nous nous disons tout le temps des choses de différentes manières, à nos amis, à Diogo, au public, avec des images, avec des mots.
Las Cosas que te digo
de Daniela Silva Solórzano
Documentaire
17 minutes. Mexique, Portugal, 2019.
Couleur
Langues originales : espagnol et anglais
Avec : Marianne Cebrián, Diogo Neves Marques, Daniela Silva Solórzano
Scénario : Daniela Silva Solórzano
Images : Daniela Silva Solórzano
Montage : Daniela Silva Solórzano
Production : Guillermo Pérez de la Mora, Wendy Muniz, Marissa Rodriguez, Daniela Silva Solórzano, Guillermo Zouain
Production associée : Elaine Abud, Dani Fernandez