Billet de blog 2 avril 2016

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Patricio Guzmán ou l’art du cinéma politique et poétique

À partir d’un bouton de nacre, Patricio Guzmán raconte l’histoire du génocide passé sous silence des population originaires de Terre de Feu, des disparus de la dictature de Pinochet, de la mémoire multiséculaire de l’eau et du cosmos.

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boton-08 © Pyramide

Sortie DVD de Le Bouton de nacre de Patricio Guzmán 

La forme comme le fond conduisent à faire de ce nouveau documentaire de Patricio Guzmán le second volet du diptyque commencé avec Nostalgie de la lumière (2010). Il est encore question de la mémoire de la dictature de Pinochet, des morts sans sépulture que ce régime a laissé plusieurs décennies plus tard de l’exploration d’un territoire géographique du Chili, d’un élément vital. Après le désert blond et aride du nord du Chili, voici le désert blanc et froid du Sud de la Patagonie. Avec une modestie de moyens techniques, le maître du cinéma documentaire politique utilise encore la poésie des images et des associations pour se confronter au traumatisme des morts qui encombrent la mémoire collective chilienne. L’élément vital qui domine par son omniprésence, c’est l’eau, origine de la vie et moyens abjects pour faire disparaître des corps. Mais l’eau a une mémoire et les archéologues peuvent en témoigner. L’eau c’est ce qui entoure le Chili, pays à considérer culturellement et politiquement comme une île. S’interroger sur l’eau c’est donc s’interroger sur l’identité d’un pays qui a dans son histoire cette criminelle propension à faire disparaître les traces de ses massacres commis au nom de la civilisation et du progrès, qu’il s’agisse des colonisateurs du XIXe siècle comme ceux dans le champ du politique dans le quatrième quart du XXe. Cette résurgence de l’histoire passée à partir de la découverte d’un bouton de nacre de prime abord anodin, établit des liens avec les périodes distinctes du pays, comme si de nouveaux massacres pouvaient se produire en raison de l’absence de mémoire nationale quelque peu poussée. Ainsi, rien d’anodin dans les diverses évocations réalisées par le cinéaste qui se révèlent progressivement comme les pièces d’un même puzzle. Les liens qu’il réussit à établir sont des plus fascinantes et en cela aussi Patricio Guzmán par sa voix de poète serein comme par sa montage, est un narrateur hors pair du cinéma documentaire, capable de capter l’attention à partir d’une dynamique universelle : l’intérêt pour le cosmos et les mystères de la vie. Patricio Guzmán invite la poésie à sa démarche comme aucun autre ne semble en mesure de le faire à l’heure actuelle. C’est à la fois l’expression d’une sagesse longuement et patiemment élaborée, à l’instar de la formation du lit d’une rivière.

L’invitation au cosmos avec cette entrée dans ce désert blanc où la palette des blancs et des bleus est très variée, comme les sons omniprésents qui rendent encore plus vivant ce lieu désertique paradoxalement peuplé d’une incommensurable activité au-delà du visible. C’est aussi l’art de Patricio Guzmán d’offrir à voir, à penser et rêver l’invisible. En plus de son propos politique des plus pertinents, le cinéaste est devenu un poète de l’image capable d’ouvrir de nouveaux horizons au documentaire pour le grand plaisir de chacun. Aussi fascinant que captivant !

Illustration 2
dvd-le-bouton-de-nacre

Le Bouton de nacre

El Botón de nácar

de Patricio Guzmán

Avec la voix originale de Patricio Guzmán (le narrateur)

Espagne, France, Chili, Suisse - 2015.

Durée : 79 min

Sortie en salles (France) : 28 octobre 2015

Sortie France du DVD : 1er mars 2016

Couleur

Langue : espagnol - Sous-titres : français.

Éditeur : Pyramide Vidéo

Bonus :

« Rencontres », 4 courts métrages de Patricio Guzmán

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