Billet de blog 4 juin 2025

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Montserrat Marañon, actrice de "Tótem" de Lila Avilés

La sortie en DVD de "Tótem" de Lila Avilés, incluant le premier long métrage de la réalisatrice mexicaine "La camarista" est l'opportunité d'un dialogue avec l'une des actrices Montserrat Marañon.

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Illustration 1
Montserrat Marañon © Francisco Muñoz

Cédric Lépine : Comment passe-t-on en tant qu'actrice d'un tournage d'une grande production dirigée par Alejandro González Iñárritu pour Bardo et un film choral plus intimiste en huis clos avec Tótem de Lila Avilés ?
Montserrat Marañon :
Iñárritu avait une idée fixe sur son film et nous devions en tant qu'interprètes l'incarner. Les deux films ont été tournés au milieu de la pandémie. Après avoir terminé Bardo, un mois plus tard je tournais dans Tótem. Lila Avilés nous a invité à mettre une partie de notre histoire dans son film. Lila, en plus d'être réalisatrice est aussi actrice, elle sait parfaitement se mettre à notre place.

Iñárritu est quant à lui très rigoureux dans la conception des plans d'autant que beaucoup étaient des plans-séquences filmés à la Steadicam qui impliquait d’être parfaite sans sortir d'un demi millimètre du plan prévu.

C. L. : Comment la rencontre avec Lila Avilés et son scénario s'est faite ?

M. M. : Le scénario existait au préalable de notre première rencontre mais il a continué à s'étoffer autour des rapports de l'équipe à la mort, notamment autour de maladies en phase terminale. Nous étions tous et toutes ensemble et nous nous racontions nos histoires respectives autour de la mort.

Lila ne parlait pas beaucoup du scénario qu'elle continuait de développer alors que le casting était formé et nos histoires personnelles similaires entre elles nous ont aidé à développer nos personnages.

Ainsi, le film n’est pas fidèle au scénario initial. Lila nous a fait parler de nos propres histoires et certains éléments sont entrés dans le film.
Le nom de ma mère par exemple est apparu, ou encore une anecdote que j’ai eue avec mon fils que mon personnage raconte.

C. L. : Comment vous avez trouvé votre personnage ? Avez-vous eu à changer votre aspect physique tout en conservant beaucoup de vous-même ?

M. M. : Comme Nuria, mon personnage, pousse son frère à la chimiothérapie, j'ai proposé de me raser la tête comme une sorte de soutien de Nuria à son frère. Lila a trouvé intéressante l'idée et nous sommes parties de là pour construire mon personnage. Nuria est marquée par une grande tristesse et une grande dépression qui se reflète dans l'alcool qu'elle consomme tout le temps pour faire face à la réalité de perdre un frère.

Sans cheveux, je me sentais nue. C’est fort comme expérience, en tant qu'actrice, de couper tous ses cheveux et dès lors j'étais ouverte à toutes les émotions autour de la mort, en confiance avec toute l’équipe.

Lila ne s'isole pas derrière le moniteur, elle accompagne chaque membre de l'équipe pour l'encourager dans ses décisions. En ce sens, Lila est une cinéaste qui cherche à créer des familles intimes, d'autant que l’histoire est celle d'une famille, d'une maison. Il est facile dès lors de se sentir en confiance, parce que vous savez que vous êtes là avec quelqu’un qui prend soin de vous, avec toute une équipe. Sauf pour la scène de la fête, toutes mes scènes sont construites entre moi et ma fille, créant là aussi une intimité nécessaire.

C’est drôle parce que nous avions tous et toutes l’habitude d’être enfermé.es, suite à la pandémie de COVID, alors il n’a pas été très difficile d’agir dans le huis clos de la mise en scène. La cuisine est devenue comme un nid, un lieu sûr pour travailler. En ce sens je pense que le besoin d’une introspection pour atteindre ces émotions aidait beaucoup à l’intérieur de la cuisine, parce que c’était un endroit fermé, parfait pour pouvoir arriver à cette tristesse et à cette solitude autour de l’angoisse éprouvée pour le frère. Mon interprétation reposait alors sur la gestion des instruments pour faire un gâteau pour générer cet espace d’introspection, de tristesse et d’angoisse. Dès lors, quand le gâteau a brûlé, vous ne savez plus si c’est la tristesse vient du résultat du gâteau ou du fait que le frère est en train de mourir.

Illustration 2
Tótem de Lila Avilés © DR

C. L. : La famille dans Tótem est-il selon vous un portrait plus large de la société mexicaine ?

M. M. : Je pense qu’il est très fidèle à une certaine classe moyenne mexicaine. Il reflète également la crise traversée face au désespoir éprouvé par chaque membre de la famille pour sauver un frère, témoignant aussi de visions différentes. Autour de ces différentes personnalités, le film est très riche. Ainsi, pendant qu’une sœur appelle une sorcière, un frère lui donne de la nourriture et un autre encore veut qu’il aille faire de la chimiothérapie. Je pense que ces réactions permettent à chacun et chacune de ne pas s’effondrer.

L'espace de la cuisine est intéressant, parce que c'est là où les choses se produisent vraiment : les fêtes finissent et commencent toujours dans la cuisine ! C'est donc un endroit stratégique pour raconter une histoire. J'ai eu d'ailleurs la chance d’être la propriétaire de la cuisine dans ce film !

C. L. : Le titre Tótem pourrait se référer à une représentation patriarcale mais ici, c'est plutôt la solidarité entre les femmes qui est agissante alors que le grand-père, l'incarnation du patriarche, est sans voix. Comment voyez-vous ces rapports de genre dans le film ?

M. M. : Je crois qu’au Mexique il est commun de voir les femmes qui font et qui vont de l’avant, alors que les hommes parleront et donneront des ordres. Cela se voit beaucoup dans les familles mexicaines. Au Mexique, parce que les femmes font ce que les hommes ne font pas, ce n’est au final pas nécessairement un matriarcat, mais tout le contraire. Ainsi, dans le film, le personnage de ma sœur dirige l'organisation de la fête pour que les choses se produisent, tandis que le père, déjà âgé et qui a déjà subi une perte, est fatigué. Le rôle du père est ainsi avant tout un regard, le témoin de quelque chose d'inévitable : le père sait qu’il va mourir ainsi que son fils. Les sœurs désespérées vont tout faire de leur côté pour que cela ne se produise pas.

Dans la société mexicaine, les femmes qui restent seules avec leurs enfants se retrouvent dans cette situation parce que les pères sont partis, parce qu’il leur est plus facile de s’absenter et d'éviter les conflits. Je crois que c’est là aussi un reflet de notre société.

C. L. : Que signifie le totem pour vous ?

M. M. : Pour moi, le totem signifie cette structure représentant chaque membre de la famille. C’est comme si tout le monde était ensemble et construisait cette pyramide familiale et que tout à coup, lorsqu'un membre part seul, dès lors, l'équilibre général est fragilisé et la pyramide risque de s'effondrer.

Illustration 3

Tótem
de Lila Avilés
Avec : Naíma Sentíes (Sol), Montserrat Marañon (Nuria), Marisol Gasé (Alejandra), Saori Gurza (Ester), Mateo Garcia (Tonatiuh), Teresa Sánchez (Cruz), Iazua Larios (Lucia), Alberto Amador (Roberto), Juan Francisco Maldonado (Napo), Marisela Villarruel (Lúdica), Galia Mayer (Isa), Lukas Urquijo López (Chavit), José Manuel Poncelis (Tío Octavio), Alioth Gutiérrez (Tía Aurora), Rodrigo Lamas (Arielito), Abel Sánchez (Kayú), Pepe Aguilar (Iván), Georgina Tábora (Tía Claudia), Zuadd Atala (Ruth), Michelle Menéndez (Lulú), Daniel Primo (Shine), Mariana Villegas (Julia), Alfonso Rodríguez (PonchoFrancisco Pita (Wiwis), Sylvia Littel (Tía Coral), Violeta Santiago (Sra. Zepeda), Ricardo García (Sr. Zepeda), Ana Ortíz (Ana), Miguel Vassallo (Vasallo), Omar Guzmán (le collectionneur d'art)
Mexique, France, Danemark, Pays-Bas, 2023.
Durée : 91 min
Sortie en salles (France) : 30 octobre 2024
Sortie France du DVD : 10 février 2025
Format : 1,33 – Couleur
Langue originale : espagnol - Sous-titres : français.
Éditeur : Les Alchimistes Films

Bonus :
La Camarista (2018, 98 min) premier long métrage de Lila Avilés
Entretien avec Lila Avilés (13'45)

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