Au Festival de Cannes 2015, Cannes Classic présentait une copie restaurée du film Le Sud de Fernando Solanas. Le réalisateur argentin était alors venu accompagner son film, et par la même occasion annoncer chez Blaq Out l’édition à partir du 23 juin 2015 d’un coffret DVD comprenant les huit longs métrages les plus marquants de sa filmographie, à commencer par sa colossale fresque L’Heure des brasiers.
Fernando Solanas : Adolescent, j’étais habité par une inquiétude sociale à l’égard de l’histoire de mon pays. En outre, j’avais une grande sensibilité pour le théâtre, la littérature, le cinéma, la musique. J’aimais alors tant de choses que je ne savais pas vers quoi me destiner. J’ai beaucoup étudié la musique à travers la composition musicale, fréquenté des ateliers de peintre et des amis écrivains. Le cinéma fut pour moi le point de convergence de toutes les expériences artistiques, comme le digne héritage des arts lyriques issus du XIXe siècle. J’ai suivi les cours de l’école nationale de théâtre pour réaliser un film de fiction. Mais mon premier film fut l’équivalent d’un essai en littérature : je souhaitais amener l’analyse critique et sociologique au cinéma. J’ai ainsi réalisé L’Heure des brasiers comme si j’écrivais un livre d’essai divisé en chapitres. Je suis dès lors resté dans le cinéma, réalisant autant de fictions que de documentaires. J’ai fait finalement peu de fictions car j’étais obligé d’être mon propre producteur. En 1991, l’attentat dont je fus victime m’a conduit à faire de la politique. En effet, je devais être un axe de convergence pour la reconstruction d’une opposition politique. En 1998, je suis revenu au cinéma en réalisant Le Nuage, film très critique sur la politique en Argentine et pour cela ce fut une catastrophe économique. J’ai dès lors continué en réalisant des documentaires avec Mémoire d’un saccage, (2004) La Dignité du peuple (2005), Argentina latente (2007), La Próxima estación (2008). Ce sont des longs métrages conçus comme de grands chapitres de l’histoire de la crise en Argentine. Mon langage cinématographique repose sur une caméra qui part en voyage à la découverte du pays.
Il appartient à chaque cinéaste de prendre la décision de sa propre forme d’expression. La richesse du cinéma argentin repose sur la diversité des regards qui s’y trouve. Concernant ma filmographie, Mémoire d’un saccage est le prolongement de la recherche initiée avec L’Heure des brasiers. C’est aussi le prologue d’une grande fresque sur l’Argentine contemporaine. Je ne parle pas de cinéma documentaire au sujet de ces films : il s’agit de films essais. Ce n’est pas un essai littéraire pur mais un essai cinématographique.
Je réalise chacun de mes films en songeant au maximum de diffusion. Avec l’édition DVD de mes films, cela changera par exemple la réception de L’Heure des brasiers qui n’était au moment où je l’ai réalisé, prévu que pour une modeste diffusion en salles. La diffusion des documentaires reste encore très difficile actuellement en salles.
Entretien réalisé à Cannes en mai 2015.