Billet de blog 6 janvier 2015

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Paternalisme, machisme, morale chrétienne volent en éclat sous l’œil de Buñuel

Sortie DVD de Susana la perverse, de Luis Buñuel

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Bach Films

Sortie DVD de Susana la perverse, de Luis Buñuel

Par une nuit d’orage, une jeune femme prénommée Susana s’échappe d’une maison de redressement et trouve refuge dans une hacienda familiale tenue par le patriarche chrétien Don Guadalupe. Elle parvient à se faire engager comme domestique et séduit par sa sensualité et ses provocations les mâles dominants autour d’elle.

Après Los Olvidados, Luis Buñuel réalise en 1951 au Mexique une adaptation pour le cinéma du roman de Manuel Reachi. Après son succès public avec Le Grand noceur qui lui valu de gagner la confiance des studios mexicains, le cinéaste continue sa collaboration avec l’excellent acteur Fernando Soler. L’interprétation de celui-ci en patriarche au-dessus de tout soupçon concernant sa morale est d’autant plus convaincante qu’il est habitué à jouer les pères de famille dans le cinéma mexicain. Susana est l’incarnation de la tentatrice diabolique face aux hommes et à une famille chrétienne pleine de vertu. Le film est au premier degré un mélodrame moraliste dont l’objectif de la commande ne fait aucun doute. Cependant, l’incomparable talent du cinéaste surréaliste est de faire exploser de l’intérieur l’hypocrisie de cet ordre social. Plusieurs scènes sont ouvertement érotiques avec les obsessions habituelle du cinéaste autour des jambes et des pieds féminins. Et si le plaisir apparaît dans les personnages masculins et la haine chez les personnages féminins, c’est bien que ceux-ci sont entièrement responsables de cette mise en scène : ils ont besoin de se figurer une image féminine du mal pour que l’ordre patriarcal, machiste et chrétien de lors au Mexique puisse continuer à se justifier. Le machiavélisme de Susana est bien trop outrée et sans finalité apparente (à part la destruction lui-même de cet ordre dans lequel on ne lui concède qu’une place subalterne de domestique) pour être sincèrement appréhendé par le spectateur comme un personnage à bannir. C’est bien Susana qui est au centre de l’histoire et c’est à travers elle que l’horreur de la mainmise du propriétaire terrien sur tout son environnement est envisagé. Alors que le cinéma moraliste mexicain est alors en pleine effervescence avec les films présentant la ville symbole de luxure opposée aux comédies ranchera où le milieu rural fantasmé tendrait à faire de la dictature de Porfirio Diaz une époque d’ordre où se maintiendrait un Jardin d’Eden terrestre, Buñuel réussit à poser et développer son regard acéré, de prime abord serviable mais sans aucune concession pour témoigner de la violence des rapports sociaux. Un film dans l’œuvre de Buñuel indispensable, à connaître autant pour le cinéaste que pour le cinéma lui-même.

Illustration 2

Susana la perverse

Susana

de Luis Buñuel

Avec : Fernando Soler (Don Guadalupe), Rosita Quintana (Susana), Víctor Manuel Mendoza (Jesús), María Gentil Arcos (Felisa), Luis López Somoza (Alberto), Matilde Palou (Doña Carmen), Rafael Icardo (Don Severiano, le vétérinaire), Enrique del Castillo

Mexique - 1951.

Durée : 86 min

Sortie en salles (France) : 24 novembre 1952

Sortie France du DVD : 2 juin 2014

Format : 4/3 – Noir & Blanc

Langue : espagnol - Sous-titres : français.

Éditeur : Bach Films

Bonus :

''Diego Buñuel raconte Luis'' :
• La découverte des films (6 minutes)
• La période Européenne (7 minutes)

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