Billet de blog 6 juillet 2023

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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FEMA 2023 : "Los Delincuentes" de Rodrigo Moreno

Morán, un employé de banque modèle, décide de voler l'équivalent de 25 ans de travail quitte pour cela à passer trois ans en prison. Il propose à un collègue de conserver chez lui le butin. Une telle décision remet en cause toute la routine de leur vie de manière irrémédiable.

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51e édition du Festival La Rochelle Cinéma du 30 juin au 9 juillet 2023 : Los Delincuentes de Rodrigo Moreno

Il faut remonter à 2007 avec El Custodio pour retrouver le dernier film distribué en France de Rodrigo Moreno. Le retour en grâce se fait ici par le biais d'une sélection tout d'abord au festival de Cannes 2023 en sélection Un Certain Regard et suivi d'une sortie en salles en France prévue pour le 27 mars 2024. De prime abord, ce film se manifeste en deux parties autour de deux personnages antagonistes qui se partagent le récit. Sur près de trois heures de séquences successives, Los Delincuentes quitte les cadres classiques du cinéma pour inviter pleinement au champ large de la force d'expression cinématographique illustrée ces dernières années avec panache et une conviction rare dans le cinéma argentin par Mariano Llinás (La Flor) et Laura Citarella (Trenque Lauquen). Comme chez ces deux cinéastes de la compagnie El Pampero Cine, on retrouve dans Los Delincuentes de Rodrigo Moreno l'art de la digression, des fausses pistes de narration classique (notamment avec le film de hold up), les allers et retours temporels, les destinées individuelles qui sont fondamentalement bouleversées par des rencontres inattendues, des lieux loin de la capitale qui inspirent autant de nouveaux récits inépuisables et une alternative de vie pour les protagonistes. L'actrice iconique Laura Paredes fait en outre le lien entre tous ces films par une interprétation redoutable et inoubliable.

Illustration 1
Los Delincuentes de Rodrigo Moreno © Arizona Distribution

Deux employés de banque modèles sont invités à remettre en cause leur adhésion au fonctionnement aliénant du capitalisme qui broie jusqu'à l'épuisement de leurs rêves comme de la spontanéité de leur rapport au monde. La décision méthodique de l'un d'eux à prendre le chemin de ladite délinquance comme forme de révolte est le point de départ qui exprime le surgissement de la pensée comme organisation imparable du monde comme d'un parcours de vie.

La révélation pour le duo Morán/Román dont les prénoms sont des mises en miroir témoignant de la gémellité de leurs caractères et de leurs décisions, passe par une vie alternative à la campagne loin de la capitale Buenos Aires avec son absence d'horizon, auprès des sœurs Norma et Morna. Le cinéaste se joue ainsi de la formation des prénoms à l'instar d'une séquence autour des noms de ville et affirme ainsi l'ensemble du récit comme une grande fable qui s'émancipe de la contrainte du réalisme terre à terre au profit d'une convocation beaucoup plus large des fictions qui traversent un film comme l'imaginaire du public qui l'interprète. Rodrigo Moreno n'hésite pas non plus à confier au même acteur Germán De Silva deux rôles distincts de chef rude et intraitable au service de la possession du capital pour réaffirmer que le réalisme et la vraisemblance du réel sont de fausses pistes pour interpréter le film. Comme pour Psychose (1960) d'Alfred Hitchcock, le vol initial d'une importante somme d'argent n'est qu'un prétexte à faire entrer le personnage dans un tout autre récit, lui qui est dans le désir d'une autre fiction au cœur de sa vie.

Illustration 2
Los Delincuentes de Rodrigo Moreno © Arizona Distribution

La forme libre de la narration comme exercice d'émancipation d'un ordre du monde est ici porté par une mise en scène audacieuse avec un minimalisme qui confine les ressources de fiction à l'essentiel. Le tout est rendu possible grâce à la complicité avec une troupe d'acteurs et d'actrices particulièrement investie à donner corps à cette fable contemporaine où l'asservissement du citadin dans un monde capitaliste argentin retrouve sa liberté originelle de gaucho dans la pampa argentine.

Los Delincuentes
de Rodrigo Moreno
Fiction
189 minutes. Argentine, Brésil, Luxembourg, Chili, 2023.
Couleur
Langue originale : espagnol

Avec : Daniel Elías (Morán), Esteban Bigliardi (Román), Margarita Molfino (Norma), Germán De Silva (Del Toro / Garrincha), Mariana Chaud (Marianela), Gabriela Saidon (Flor), Cecilia Rainero (Morna), Javier Zoro (Ramon), Lalo Rotavería (Isnardi), Iair Said (Barrientos), Fabian Casas (le professeur de littérature en prison), Adriana Aizemberg (la cliente de la banque), Laura Paredes (Laura Ortega), Pablo Pinto
Scénario : Rodrigo Moreno
Images : Alejo Maglio
Montage : Karen Akerman, Manuel Ferrari, Nicolás Goldbart
1er assistant réalisateur : Ezequiel Pierri
Direction artistique : Laura Caligiuri, Gonzalo Delgado
Costumes : Flora Caligiuri
Sociétés de production : Wanka Cine, Rizoma Films, Jaque Content, Les Films Fauves, Jirafa Films, Punta Colorada de Cinema
Production : Ezequiel Borovinsky
Coproduction : Julia Alves, Bruno Bettati, Natacha Cervi, Gilles Chanial, Hernán Musaluppi, Paola Suárez
Distributeurs (France) : JHR Films et Arizona Films

Sortie salles (France) : 27 mars 2024

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