
Agrandissement : Illustration 1

Cédric Lépine : Est-ce que la nécessité d'aller chercher dans les racines d'une culture originaire les ressources pour affronter un deuil était au cœur de l'écriture de ton scénario ?
Ángeles Cruz : Je ne l'ai pas pensé ainsi car c'est quelque chose de naturel dans ma culture. Je n'ai pas cherché à savoir comment faire ce deuil et comment agir avec vulnérabilité face à ce grand vide. Il m'apparaissait naturel de vivre ce deuil de manière communautaire. Cette quotidienneté représentée reflète les mécanismes que nous utilisons en tant que membre de la communauté pour nous protéger. Cela s'oppose à une vision folklorique qui se réduit à des événements spéciaux de la communauté. Je souhaitais accompagner Valentina dans son quotidien.
Au moment d'écrire le scénario, j'appréhendais le fait de partager notre manière, au sein de la communauté, de vivre notre deuil. Dans la vulnérabilité du deuil, le quotidien nous accompagne et nous protège. Le scénario repose ainsi sur une observation fine de la nature qui n'est pas le reflet de choses extraordinaires mais d'une réalité vécue chaque jour.
C. L. : Qu'est-ce que t'a offert dans ce film la mise en scène de la perception de l'enfance ?
Á. C. : C'était une véritable redécouverte de se plonger ainsi dans l'enfance. Perdre un être cher à cet âge conduit à vivre les situations les plus difficiles d'une vie où l'on apprend à vivre avec une douleur. Autour de cette sensation, Valentina est amenée à découvrir le monde d'une nouvelle manière qui l'a conduit à se reconstruire. Cette inventivité du regard se perd en grandissant alors que nous ne faisons par exemple plus attention à une texture ou au vent.
Cette approche du flm est une manière d'accompagner d'autres enfants qui se retrouvent seuls à vivre leur deuil. Il était essentiel pour moi de voir à travers leurs yeux.
Ce que vit Valentina n'est pas anecdotique puisqu'elle est confrontée au sentiment de la perte et à la nécessité de se reconstruire. Le travail avec les enfants m'a permis de travailler à partir d'un autre lieu : de l'improvisation et du jeu en tenant compte de l'intimité. Ce que j'ai appris dans la réalisation de Nudo mixteco (2021), j'ai dû le remettre en cause afin d'apprendre à travailler avec des enfants. Il s'agissait de naviguer dans un courant que je ne contrôlais pas mais qui est sans aucun doute une opportunité de découvertes. Sur le tournage j'étais ainsi toujours ouverte aux suggestions tout en allant à la rencontre de moi-même.
C. L. : Avec la métaphore de la force de la fourmi, l'histoire développée dans le film met en valeur la force de la communauté.
Á. C. : L'expérience de Valentina est un retour aux origines pour redécouvrir la vie en retrouvant la stimulation vitale. En tant qu'adulte, il y a aussi des moments où nous nous perdons et où nous ne parvenons pas à résoudre nos problèmes.
Je pense que la force de l'humanité se trouve dans la communauté et non dans une attente messianique d'une seule personne. Nous avons la possibilité de créer de la solidarité, un imaginaire et la force de la nature nous aide à chaque étape.

Agrandissement : Illustration 2

C. L. : La musique occupe une grande place dans la mise en scène notamment avec la musique originale extra-diégétique : comment celle-ci est entrée dans le projet ?
Á. C. : Cela fait partie de ma culture où la musique est omniprésente. Il est ainsi possible d'entendre dans la montagne à plusieurs kilomètres à la ronde une personne répétant avec la trompette. J'ai grandi avec la musique. Après avoir perdu mon père, ma mémoire s'est mise à associer ce souvenir à des sons musicaux.
Je suis rarement dans un complet silence : j'ai en tête de la musique et beaucoup de sons. En mélangeant tous ces sons, je crois que cela permet de comprendre ce que Valentina est en train de vivre en son for intérieur. La musique est pour moi dans le film lié à son attitude inquiète. Beaucoup de choses se disent par les sons et qui ne peuvent l'être ni par les images ni par les dialogues et qui permet à Valentina de manière inconsciente d'accéder à une nouvelle appréhension du monde et au public de s'approcher de celle-ci.
C. L. : Peux-tu parler de la professeure qui n'est pas dans la bienveillance avec Valentina : peut-on y voir dans cette représentante des institutions une métaphore politique des autorités mexicaines à ne pas savoir communiquer avec les réalités locales ?
Á. C. : Elle exprime surtout une très grande maladresse spontanée où elle n'exprime aucune empathie à l'égard de Valentina. Je voulais parler de cette lourdeur institutionnelle qui pouvait accompagner les premiers moments de la vie d'un enfant.
Valentina o la serenidad
d'Ángeles Cruz
Fiction
85 minutes. Mexique, 2023.
Couleur
Langue originale : espagnol
Avec : Danae Ahuja Aparicio (Valentina), Alexander Gadiel Mendoza Sanchéz (Pedro), Myriam Bravo
Scénario : Ángeles Cruz.
Images : Carlos Correa R.
Images aquatiques : Iván Hernández
Montage : Felipe Gómez
Musique originale : Alejandra Hernández y Rubén Luengas
Son : Loretta Ratto
Design sonore : Rodrigo Castillo Filomarino
Direction artistique : Javier Espíritu, Dinazar Urbina
Costumes : Claudia Salgado
Maquillage : Mily Espíritu
Coiffure : Mily Espíritu
Production : Isis Ahumada, Ángeles Cruz, Myriam Bravo
Production associée : Rodrigo Alvarez Flores, Miguel A. Bolaños S.
Sociétés de production : IMCINE, Ángeles Cruz, On Post Films