
Sortie DVD de Una mujer sin amor, de Luis Buñuel
Issue d’un milieu modeste, Rosario est l’épouse de l’antiquaire Don Carlos Montero. Leur ménage n’est guère heureux, le couple s’opposant par exemple sur l’éducation du jeune Carlitos : Don Carlos, peu à l’écoute de son fils lui applique une discipline de fer tandis que Rosario est beaucoup plus attentive, toujours prête à tendre une main aimante. Le jour où Carlitos fat une fugue, c’est l’ingénieur Julio Mistral qui le retrouve et le raccompagne chez lui. Dès lors, l’ingénieur devient l’ami officiel du foyer et l’amour secret de Rosario.
Luis Buñuel réalise en 1951 l’un de ses rares films qui ne soient par sortis en France à l’époque : Una mujer sin amor. Ce film est resté plus discret au sein de sa filmographie, ce qui attise d’autant plus l’attention à son égard. Peu après la reconnaissance internationale que lui a offerte la présentation de Los Olvidados, Luis Buñuel poursuit son ouvrage au sein d’une industrie cinématographique mexicaine qui vit alors les dernières années de son âge d’or. Una mujer sin amor est un mélodrame, genre qui était alors en pleine effervescence, avec Rosario Granados dans le rôle principal, considéré par la public mexicain de lors comme « la reine du mélodrame ». Il se décompose en deux grandes parties : la première où Rosario va rencontrer son amant et la seconde, deux décennies plus tard, où cet amour réapparaît d’une manière inattendue mettant à jour les tensions familiales dans le cadre d’une rivalité entre deux frères. Alors que l’histoire de Guy de Maupassant, dont ce film est la libre attention de Pierre et Jean (1888), faisait reposer l’attention sur la rivalité entre les deux frères, Luis Buñuel se focalise sur le destin de cette « femme sans amour » (traduction littérale de mujer sin amor). C’est à la fois un choix judicieux qui répond aussi à la construction purement mexicaine de la mater dolorosa, cette figure de la mère qui se sacrifie par amour pour ses enfants, alors que ceux-ci, ingrats ou trop naïfs, ne savent pas à quel prix ils doivent leur promotion sociale. La première partie a pour intérêt de planter le décor et l’amour amer, pour ne pas dire la négation de l’amour, dans ce couple dont le mariage est un arrangement économique comme un autre. L’amour naissant entre Rosario et l’ingénieur se révèle mièvre et peu convainquant : la faute à Tito Junco qui cabotine beaucoup, dans le rôle du prince charmant. Rosario pourrait ressembler dans un premier temps au personnage d’Emma Bovary de Flaubert, à la différence que son rôle de mère est au-dessus de tout pour elle. Suivre le destin de cette femme est aussi d’une certaine manière prendre connaissance du statut des femmes dont les identités sociale et intime se confondent : elle ne peut avoir des choix personnels tant le monde masculin (le mari, l’amant, les fils) la contraint en un rôle qu’ils lui ont prédéfini. Son émancipation, elle ne peut au final l’acquérir que dans la mort ou l’éloignement physique des hommes. C’est ce constat social qui offre la trame de ce mélodrame et continue ainsi de nos jours à faire de ce portrait de femme un sujet poignant pour le spectateur. Même si le film ne développe pas le versant surréaliste de Buñuel, on retrouve son goût pour la critique de la bourgeoisie, présentée ici dans ses traits liberticides à l’égard des femmes. Ce milieu social, muré dans son principal souci de conserver un patrimoine familial, exclut la femme réduite à l’état de simple génitrice. Définitivement, Luis Buñuel a eu aussi des choses à dire dans des genres cinématographiques très codifiés et cette nouvelle édition DVD est une aubaine pour redécouvrir un pan méconnu du cinéaste aussi bien que du mélodrame mexicain, genre incontournable qui éclaire par sa présence non seulement la cinématographie d’un pays mais celle de tout un continent. Mais ceci est une autre histoire..

Una mujer sin amor
de Luis Buñuel
Avec : Rosario Granados (Rosario), Tito Junco (Julio Mistral), Julio Villarreal (Don Carlos Montero), Joaquín Cordero (Carlos), Xavier Loyá (Miguel), Elda Peralta (Luisa)
Mexique – 1951.
Durée : 87 min
Sortie en salles (France) : inédit
Sortie en salles (Mexique) : 31 juillet 1952
Sortie France du DVD : 2 juin 2014
Format : 1,33 – Noir & Blanc
Langue : espagnol - Sous-titres : français.
Éditeur : Bach Films
Bonus :
Diego Buñuel raconte Luis : la période mexicaine (7’)