
Sortie DVD : Une seconde mère d’Anna Muylaert
Val est la nounou et domestique d’une famille aisée de São Paulo : elle s’est occupée de Fabinho depuis sa plus tendre enfance, cultivant un lien affectif très fort avec lui. Sa fille Jéssica, qu’elle n’a pas vu depuis dix ans, doit héberger chez elle le temps de passer un examen pour entrer dans une école prestigieuse d’architecture.
Les relations de classe, maître/domestique, semblent bien loin : on pense à La Règle du jeu (1939) de Jean Renoir pour sa description française. Elles semblent pourtant toujours d’actualité en Amérique latine et partout dans le monde où les écarts sociaux ne cessent de croître. En France aussi, la séparation entre « patrons » et « personnel d’entretien de la maison » est toujours d’une criante réalité, ce qui fait que ce film brésilien a pu faire un véritable écho auprès du public des salles françaises (plus de 161 000 spectateurs comptabilisés à ce jour : chiffres CBO). Comme l’explique la cinéaste Anna Muylaert dans l’entretien présent dans le bonus de cette édition DVD (dommage qu’elle soit contrainte d s’exprimer en anglais et non pas en portugais), si le film touche en France, il devient éminemment politique diffusé au Brésil. En effet, toute une population brésilienne peu se retrouver dans cette histoire dans un miroir qui ne manquera pas de faire éprouver de la honte à ceux qui oublient à quel point ils sont responsables de la séparation émotionnels entre parents et enfants, y compris les leurs. Le point de vue choisi par la cinéaste est ici celui de la domestique, ce qui n’est guère si fréquent dans le cinéma, tant le regard peut être manipulé à cet égard. Le grand enjeu du film pourrait se tenir dans la déclamation de cette vérité fondamentale : « on ne peut être parents de ses enfants sans accompagnement émotionnel de ceux-ci. » C’est bien en l’occurrence la forte division en classes sociales irréconciliables au Brésil qui conduit au destin tragique de la séparation enfants/parents toutes classes confondues mais avec des raisons distinctes : alors que Val, la domestique, se sépare de sa fille pour raison économique, Barbara, la patronne, le fait par ambition carriériste et surtout à cause d’une grande peur d’assumer ce rôle inédit qu’est être parent, que sa classe sociale ne lui a jamais appris.
L’atout scénaristique semble dans un premier temps proche du Théorème de Pasolini, ou comment l’arrivée subite d’une tierce personne va remettre en question l’ordre socialement établi d’une famille bourgeoise auprès de chacun de ses membres. Si l’on sent cette influence, le scénario privilégie le portrait du personnage de Val, magnifiquement interprété par Regina Casé, actrice très populaire au Brésil, aussi bien pour son travail au cinéma qu’à la télévision. C’est le personnage que la scénariste-cinéaste a pris le plus de soin à écrire, lui permettant d’évoluer au fil du film dans un cheminement inattendu. Elle représente dans un premier temps l’esclave soumise incapable de s’affranchir parce qu’elle ne voit pas les chaînes qui la briment alors que Jéssica représente les promesses de la présidence Lula au Brésil, offrant une véritable perspective à l’idée de la démocratie. Pour autant, ce qui intéresse Anna Muylaert, c’est moins le monde de demain que le monde d’aujourd’hui capable d’évoluer malgré la forte pression des us intégré au fil des siècles, dans un pays où l’esclavagisme n’a été officiellement aboli qu’à la fin du XIXe siècle (cf. Loi d’Or du 13 mai 1888). Le récit est plus complexe qu’il n’y paraît, réussissant à faire évoluer ses personnages là où ne les attendait plus, tant formatés que nous restons malgré nous à certains récits classiques. La cinéaste dispose d’un véritable point de vue personnel sur le sujet, celui-ci se nourrissant de sa propre expérience. Ce qui rend d’autant plus sincère et riche ce témoignage cinématographique, qui continue à nourrir l’inconscient du spectateur longtemps après avoir vu le film. Ajoutons à cela un sens de la composition des cadres pour symboliser la répartition sociale des individus dans un espace (en l’occurrence la maison des patrons) ainsi que de la mise en scène des situations cocasses emmenées de main de maître par Regina Casé, qui use d’une palette d’expressions corporels inoubliable.

Une seconde mère
Que horas ela volta?
d’Anna Muylaert
Avec : Regina Casé (Val), Camila Márdila (Jéssica), Michel Joelsas (Fabinho), Lourenço Mutarelli (Carlos), Karine Teles (Bárbara), Helena Albergaria (Edna)
Brésil – 2015.
Durée : 112 min
Sortie en salles (France) : 24 juin 2015
Sortie France du DVD : 3 novembre 2015
Format : 2,35 – Couleur
Langue : portugais - Sous-titres : français.
Éditeur : Memento Films
Bonus :
Bande-annonce
Interview de la réalisatrice Anna Muylaert
lien vers le site de l’éditeur : http://distribution.memento-films.com/film/infos/66