Billet de blog 10 août 2024

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Gabriel Esdras, réalisateur du film "Elevación"

Après une première présentation en sélection au festival de Cannes en mai 2024, le court métrage « Elevación » réalisé par Gabriel Esdras était en compétition de la 39e édition du festival international de cinéma de Guadalajara en juin 2024.

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Gabriel Esdras © DR

Cédric Lépine : Peux-tu parler de l'hommage rendu dans le court métrage à la force du collectif dans une dystopie apocalyptique ?

Gabriel Esdras : Je pense que la situation de Guadalajara, au Mexique comme dans d'autres pays d'Amérique latine constitue en soit une dystopie normalisée. Nous vivons ainsi des choses qui s'attaquent à la dignité des personnes. Nous appris à survivre à cette situation mais nous sommes trop fatigué es pour nous battre. Ainsi, l'opportunité d'un changement social vers plus de justice est sans cesse repoussé. Dans ce court métrage, je souhaitais mettre en valeur l'importance de l'union comme unique forme pour combattre l'oppression. Partout en Amérique latine face à l'oppression, une résistance se met en forme. La jeunesse de tout le continent a su mettre en œuvre une résistance, comme on le voit à l'heure actuelle en Argentine.

Dans le contexte particulier de Guadalajara, nous avons été confronté es à une vague intense de disparitions forcées. La guerre contre le narcotrafic qui a débuté il y a plus de vingt ans a ainsi affecté tous les corps de la société en raiso d'une violence systématique. L'unique solution pour combattre cette violence se trouve dans les élections où, plus que le choix des candidats, ce qui importe c'est la dynamique sociale pour porter des projets.

C. L. : Dans cette logique de résistance et d'affirmation, était-il essentiel pour toi de réaliser un film à 100% de Guadalajara ?

G. E. : Je souhaitais en effet faire un portrait de la jeunesse de Guadalajara. Je suis actuellement sensible à la thématique de la jeunesse et de la rébellion, avec le désir de rompre les règles pour changer l'ordre des choses. Cela se voit aussi bien dans les dialogues du court métrage que dans le processus narratif. Je sens qu'à Guadalajara comme à Mexico, le cinéma suit des règles établies que j'ai envie de briser pour inventer un autre cadre. Au moment de produire le film, nous avons voulu associé au maximum la communauté locale. Ainsi, pour filmer le concert, nous avons organisé deux vrais événements musicaux gratuits.

Le film parle des disparitions dans les rues parce que le centre de la ville a été réservé à une classe aisée tandis que les personnes aux faibles ressources ont été chassées. Il s'agit ainsi de montrer des espaces qui nous appartiennent pour nous les réapproprier.

C. L. : Quelle fut la méthode employée pour diriger les acteurs et les actrices du film vers un récit tout à fait personnel ?

G. E. : La moitié de la direction d'acteurs et d'actrices consiste à savoir avec qui je pouvais travailler. Je connaissais une grande partie des acteurs et actrices pour avoir déjà œuvré avec elles et eux mais aussi à travers des relations d'amitié. Je connaissais ainsi leurs capacités personnelles. Ce sont parmi les meilleur es jeunes acteurs et actrices de Guadalajara mais aussi du Mexique. Le processus de la direction des interprètes repose pour l'essentiel sur une grande importance accordée à la discussion et aux échanges autour de la musique, la poésie. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble. Nous avons fait beaucoup de préparation avant le tournage.

Je souhaitais suivre la ligne du naturalisme et cela a beaucoup aidé que les espaces soient réels. Ainsi, le discours de la jeune femme est réel et il était adressé à des personnes réelles. De même, la dispute de Jaime s'est déroulée dans un vrai concert. Tous les éléments réels de la mise en scène ont permis de générer de véritables performances autant de la part des acteurs et actrices que des figurant es.

C. L. : Pourquoi avoir concentré tout le film sur une nuit ?

G. E. : J'aime beaucoup arpenter la nuit et découvrir la ville au moment où elle est la plus compliquée et chaotique. C'est assez étrange et paradoxal que d'un certain côté les rues la nuit génèrent une réelle insécurité et qu'en même temps je m'y sente bien. J'aime observer comment la ville s'exprime et pour moi les endroits difficiles de la ville sont autant de cicatrices à interroger, tout autant que des expressions de liberté. Ce que je souhaitais le plus avec ce film, c'est transmettre des émotions émanant de l'expérience des rues de cette ville la nuit. En effet, la nuit renforce la sensation de solitude et de désespoir.

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Elevación de Gabriel Esdras © Tercer Ojo

C. L. : Peut-on voir dans les disparitions de jeunes par les forces de l'ordre dans le film une évocation du traumatisme des disparu es d'Ayotzinapa évoquant également la répression féroce de Tlatelolco en 1968 ?

G. E. : Ces deux événements cruels de l'histoire du Mexique sont deux expressions d'une oppression étatique à l'égard des mouvements des jeunes. La jeunesse doit donc continuer à s'organiser pour y faire face, d'où l'importance du collectif au centre de mon court métrage. Il existe une histoire terrible de l'oppression des jeunes de la part de l'État de Jalisco mais aussi aux niveaux fédéral et municipal. La peur est grande car l'État et le narcotrafic peuvent être complices pour s'opposer à toutes formes de dissidence.

C. L. : Penses-tu que cette oppression à l'égard de la jeunesse émanant d'une ancienne génération qui a confisqué le pouvoir entre quelques mains est une réalité qui dépasse Guadalajara et se retrouve encore dans d'autres pays ?

G. E. : Grâce à Internet, les revendications des classes sociales peuvent se partager au-delà des frontières. Je pense ainsi que la jeunesse est plus unie et forte que jamais à travers le monde. Nous savons comment mener la lutte. Lorsque j'ai présenté le film au festival de Cannes en mai 2024, je me suis effectivement rendu compte à quel point les thématiques étaient internationales. J'aime cette phrase qui dit que les « locaux et étrangers appartiennent à la même classe ouvrière ».

C. L. : En faisant ce film, comment as-tu senti que tu te positionnais par rapport à l'histoire du cinéma mexicain ?

G. E. : Le fait que le film était présent en sélection à Cannes a donné une réelle chambre d'écho au cinéma mexicain sur la scène internationale. Malgré l'envie de rompre des règles, l'école de cinéma m'a donné des outils indispensables pour faire du cinéma. Le cinéma est également une industrie où la liberté artistique doit s'affirmer pour être respectée.

Illustration 3

Elevación
de Gabriel Esdras
Fiction
28 minutes. Mexique, 2024.
Couleur
Langue originale : espagnol

Avec : Ruth Ramos (Fugazi), Jaime Bernache (Albatros), Marcela Lizbeth (la voix)
Scénario : Gabriel Esdras
Images : Gabriel Esdras
Montage : Gabriel Esdras
Musique : Sebastián Santana Talavera
Son : Sebastián Santana Talavera
Décors : Lizzie Hernández
Direction artistique : Daniel Luna
Costumes : Daniela Llamas
Scripte : Perla Ortega Santana
Production : Germán Torres, Rodrigo G. Valdivia, Gabriel Esdras, Daniel Luna
Société de production : Tercer Ojo

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