Viva Mexico, Rencontres cinématographiques 2015 : Gloria de Christian Keller
Dans les années 1980, une adolescente se présente pour une audition musicale auprès de Sergio Andrade, un producteur de musique réputé. En peu de temps, elle devient la célèbre chanteuse Gloria Trevi. Une décennie plus tard, elle se retrouve incarcérée dans une prison brésilienne avec Sergio Andrade. Ce dernier a maintenu par la violence et la manipulation plusieurs jeunes filles dont de nombreuses mineures.
Gloria Trevi est une célèbre chanteuse pop-rock mexicaine dont la carrière s’étend de la fin des années 1980 à nos jours. Son histoire a défrayé la chronique par sa liberté d’expression sur scène, remettant en cause le pouvoir conservateur et catholique, ainsi que par un scandale de mœurs impliquant des actes sexuels sur mineurs de la part de son producteur. Le scénario du film se concentre sur la relation entre Gloria et Sergio Andrade, dans une histoire d’amour et surtout de violence conjugale. Le film ne cache pas l’incarcération à venir tout en avançant sur le chemin d’une carrière promise aux plus grands succès : cela passe par un montage associant les deux époques. Ainsi, le film commence avec ce qu’est censé connaître le premier public mexicain du film de la vie de la célébrité. Le reste à suivre est donc le sujet du film : les situations devenant de plus en plus claustrophobiques à mesure que le film avance puisque la liberté personnelle de Gloria est de plus en plus étouffée alors que sur scène et à la télévision elle est devenue paradoxalement le symbole de l’émancipation féminine, n’hésitant pas à donner ses avis progressistes quant à l’avortement, le mariage homosexuel dans une société où les modèles prônés par les grands médias sont ultraconservateurs. Le film aurait pu n’être qu’un simple biopic se contentant d’illustrer la vie d’une célébrité en s’appropriant le public de ses fans. Mais de manière surprenante, il est bien plus ambitieux en s’affranchissant des codes propres au genre définis notamment par le cinéma américain. Ainsi, le film est porté par l’interprétation incomparablement époustouflante de Sofía Espinosa, qui porte littéralement tout le film. Elle révèle dans ce rôle toute la palette extraordinaire d’expressions alors que ses rôles précédents étaient bien plus intériorisés. Le metteur en scène a à cet égard a su jouer sur cette facette de l’actrice pour révéler la vie paradoxale de Gloria Trevi entre émancipation extatique sur la scène publique et une psychologie plus soumise au doute et à la manipulation de son producteur et amant dans sa vie privée. Toute l’ambiguïté de son personnage est ainsi magnifiée par le jeu de Sofía Espinosa, qui a su dans ses précédents films avec Elisa Miller ou encore avec Max Zunino incarner parfaitement la trajectoire d’une jeune femme libre. Cette trajectoire filmographique de l’actrice n’a vraisemblablement pas été publiée ni par le réalisateur ni par la scénariste Sabina Berman, car tel est l’enjeu de ce film : le chemin vers l’émancipation d’une femme soumise à l’esclavage émotionnel depuis son adolescence. Il est impressionnant au bout du film de se rendre compte que le personnage qui a pour nom Gloria Trevi finit par être plus qu’elle-même pour devenir rien de moins que le symbole de la démocratie mexicaine dont les valeurs et le respect fondamental sont bafoués en privé par les tenants du pouvoir narco-politico-médiatique. La violence conjugale et la télévision qui croit contrôler ses spectateurs dans le film en utilisant l’image émancipée de Gloria tel un produit comme un autre, sont autant d’aveux du mépris de la démocratie que symbolise dans le film le personnage principal. La télévision mexicaine, qu’il s’agisse en l’occurrence de TV Azteca ou encore de Televisa, est un puissant outil au service des politiques (comme l’a très bien montré la récente satire politique La Dictadura perfecta de Luis Estrada) qui veulent faire croire à leurs concitoyens qu’ils vivent bien dans une démocratie alors que, comme dans la vie privée de Gloria, tout est oppression, mépris pour les libertés individuelles, violence faite aux plus jeunes jusqu’à cette image dans le film d’un corps retrouvé dans le sable qui n’est pas sans évoquer les jeunes disparus d’Ayotzinapa. Ce biopic est des plus surprenants puisqu’il se révèle être un film politique décrivant comme rarement d’autre ont su le faire la violence claustrophobique à laquelle est soumise la population mexicaine qui étouffe de ce déni de démocratie.
Gloria
de Christian Keller
Fiction
126 minutes. Mexique, 2014.
Couleur
Langue originale : espagnol
avec : Sofía Espinosa (Gloria Trevi), Marco Pérez (Sergio Andrade), Osvaldo Ríos (El Tigre), Estefania Villarreal (Laura), Ricardo Kleinbaum (l’avocat), Moises Arizmendi (Fernando Esquina), Ximena Romo (Aline), Magali Boysselle (Mónica Ga), Estrella Solís (Katia), Gutemberg Brito (Franco), Tatiana del Real (Mary), Arturo Vázquez (Alberto), Miriam Calderón (la mère de Gloria), Ramon Valdez (Ernesto), Alicia Jaziz (Karla), Marisa Rubio (Paty), Alejandra Zaid (Carola), Roberto Uscanga (Rubén), Marcia Coutiño (Josie), Miguel Conde (Pedro), Pepe Olivares (Raúl), Andrea Bentley (Liliana), Fernanda Basurto (Pilar), Nycolle González (Lucerito), Ma. Fernanda Monroy (Karina), Pedro Mira (Ricardo Salinas), Karla Rodriguez (Sonia), Fernanda Peralta (Wendy), Clarissa Malheiros (Heriberta), Natalia Fausto (Claudia Rosas), Regina Ramos (Mónica Murr)
scénario : Sabina Berman
images : Martín Boege
direction artistique : Julieta Álvarez
décors : Darío Carreto
costumes : Gilda Navarro
montage : Adriana Martínez et Patricia Rommel
musique : Lorne Balfe
casting : Alejandro Reza
production : Rio Negro
producteurs : Alan B. Curtiss, Matthias Ehrenberg, Christian Keller et Barrie M. Osborne