Volantín cortao, sorti dans les salles de cinéma au Chili 2013, est le film de fin d’études de deux jeunes réalisateurs chiliens, Diego Ayala et Aníbal Jofré. Il s’agit de leur deuxième long-métrage, après Chaitén. Filmé en partie dans des recoins et passages de l'emblématique quartier La Victoria à Santiago du Chili, le film nous présente, grâce à une photographie très prenante, un portrait des contradictions sociales de la grande métropole
À l'occasion des 26es rencontres Cinelatino, où le film était sélectionné dans la compétition fiction, Diego Ayala, présent à Toulouse, a répondu à nos questions.

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Paola Orostica et Cédric Lépine : L’image du titre, Volantín cortao nous semble très proche de l’esprit général du film, de son histoire. Comment l’avez-vous choisi ?
Diego Ayala : Comme le sujet du film est un peu abstrait (quête de l’identité, errance), le choix d'un titre adapté n’était pas facile. Je cherchais quelque chose qui rendrait compte de nos conflits en tant que société ; un titre proprement chilien, un cliché, mais pas trop évident ni nationaliste. En réfléchissant à une métaphore possible du sujet traité, l’idée du cerf-volant (volantín) coupé en plein vol nous est venue. L'image évoque des personnages particulièrement déconcertés et comme privés de direction, qui ne savent ni où ils veulent aller ni si cela pourra être dangereux. Ce n’est pas quelque chose de littéral, mais une métaphore. Il est parfois compliqué de comprendre le sens du terme à l’étranger puisqu'il s’agit d’une expression vraiment chilienne.
P. O. et C. L. : L’histoire de ce personnage est également liée à l’histoire d’un quartier peu connu, éloigné du centre-ville. Dans le scénario, il était plutôt question du personnage ou du quartier ?
D. A. : Nous avons toujours eu comme objectif de parler de l’histoire de ces deux personnes, mais dans un contexte social déterminé. Ce va-et-vient entre une classe moyenne plus aisée et une classe sociale appauvrie. Nous avons toujours cherché à montrer la rue et des lieux représentatifs de la périphérie, toute cette nouvelle géographie qui existe actuellement à Santiago, qui est très peu humaine et beaucoup plus industrielle. Des espaces très peu habitables au quotidien et qui servent plutôt de « dortoirs » pour les habitants. On a toujours eu en tête de montrer ce contexte, vu à travers les yeux des personnages.
P. O. et C. L. : Comment avez-vous travaillé avec cette réalité ? La caméra est toujours très proche et présente.
D. A. : Nous aimons jouer avec la réalité, mélanger le réel et la fiction. En amont, nous avons dû faire un travail de recherche concernant le travail social dans les quartiers périphériques, les foyers de jeunes majeurs, les centres de placement, entre autres, et tout cela est étroitement lié au film. Dans le scénario, nous avons incorporé beaucoup d’éléments de cette recherche. Ensuite, pour la réalisation, nous avions discuté largement avec les acteurs pour leur expliquer ce que nous attendions d’eux. Leur travail contient beaucoup d’improvisation et d’appropriation des espaces.

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P. O. et C. L. : Votre film dresse un portrait cru de la violence d’une capitale où les couches sociales ne se mélangent pas…
D. A. : Nous avons voulu dresser le portrait d’un Santiago où les différents quartiers sont davantage des dortoirs où les gens arrivent après une longue journée du travail (souvent très éloignée du domicile) que des endroits accueillants où vivre. Aujourd’hui, personne ne connaît ses voisins et il y a peu d’endroits où perdure un esprit de quartier. C'est très violent. Les gens survivent à la place de vivre. Nous avons voulu montrer cette réalité, non pas à travers une violence explicite mais en traitant de la violence de la ville au regard de la vie de ses habitants, à travers les bouchons, le bruit, la foule... La violence quotidienne (vols, drogues, etc.) est déjà montrée quotidiennement par la télévision, exposée dans un langage agressif, stigmatisant et paternaliste. Mais il n’est pas nécessaire de voir pour savoir que toute cette violence existe.
Nous avons plutôt choisi de parler de la férocité des relations entre habitants. Dans une même ville, comme à Santiago, il n’y a pas d'endroits où les gens puissent se mélanger et créer des liens. Santiago est une ville qui ne permet pas la connivence.

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P. O. et C. L. : Techniquement, comment avez-vous travaillé la coréalisation? Comment vous partagiez-vous le travail ?
D. A. : Avec Aníbal, nous travaillons depuis quelques années ensemble et avons déjà fait quelques courts métrages. Nous avions déjà créé une sorte de système de réalisation. Nous avons choisi de travailler à deux parce qu’il nous semble intéressant de pouvoir dialoguer et de questionner et critiquer ainsi nos décisions, au fur et à mesure du tournage. On se partage parfois la partie formelle : l'un de nous s’occupe des acteurs et l’autre de la partie technique.
P. O. et C. L. : Le film exprime-t-il des questions qui préoccupent la jeunesse actuelle au Chili ?
D. A. : L’histoire renvoie à la réalité chilienne : le coût de l’éducation, le fait de devoir se résoudre à faire les études universitaires pour lesquelles on a été sélectionné (par la PSU ⃰) et pas nécessairement celles que l'on choisit. Le sujet, c'est aussi : quel genre de société est-on en train de construire ? Notre film ne prétend pas être la revendication d’une génération, mais il représente un conflit qui est présent dans la société actuelle, un conflit d'identité.
Aujourd’hui, les gens commencent à exiger un développement de qualité, à échelle humaine : des emplois, oui, mais pas n’importe quels emplois, un développement durable dans une société précaire. La protagoniste, par exemple, vit une situation paradoxale. Par son travail, elle incarne la politique sociale de l’État ; l’idée gouvernementale d’insertion, d’intégration, avec laquelle elle n’est pourtant pas d’accord.
Entretien réalisé par Paula Orostica et Cédric Lépine, dans le cadre de la 26e édition de Cinelatino, Rencontres de Toulouse. Retranscription et traduction de Paula Orostica.
⃰ PSU : Prueba de Selección Universitaria (Épreuve de Sélection Universitaire. Il s’agit d’un test standardisé écrit, élaboré pour le processus d’admission universitaire au Chili. Cette admission dépend d’une pondération entre les résultats du lycée et les preuves de la PSU.