Billet de blog 12 mai 2025

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Iair Said autour de son film "Moi, ma mère et les autres"

Sortie cinéma du 7 mai 2025 David doit quitter l'Italie pour rejoindre son Argentine natale et assister à l'enterrement de son oncle aux côtés de sa famille. Maladroit et se posant mille questions, ce trentenaire homosexuel se prend à douter de l'amour tandis que son père plongé dans un comas profond lui rappelle son angoisse existentielle.

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Illustration 1
Moi, ma mère et les autres Los domingos mueren más personas de Iair Said © JHR Films

Cédric Lépine : Pourquoi et comment avez-vous choisi le ton humoristique du film ?
Iair Said :
Cette tonalité humoristique fait partie de moi et je la partage ainsi au quotidien avec mes ami.es et ma famille. Cela n'a donc rien de nouveau pour moi. J'aime bien l'idée de faire évoluer mon personnage maladroit et qu'à partir de là émerge l'humour. Je pense que l'on peut rire de soi-même et que c'est la meilleure manière pour moi d'aborder le drame.

L'actrice Rita Cortese qui interprète la mère, la monteuse et toutes les actrices comprennent bien l'autodérision et cela a été d'autant plus facile à mettre en scène.

C. L. : Comment s'est passé le casting des membres de la famille de votre personnage principal que vous interprétez ?
I. S. :
J'ai tout d'abord accordé une grande attention à la couleur des yeux de mes personnages qui devaient être semblables. Cette couleur devait exprimer la fragilité des êtres, laissant entrevoir la tristesse et la douleur. J'ai écrit le rôle de la mère en pensant à Rita Cortese. La sœur est jouée par la chanteuse pop Juliana Gattas qui n'avait pas jamais joué pour le cinéma jusque-là et qui est une de mes grandes amies. Elle savait exactement ce qu'elle avait à faire. Nous avons pu parler ensemble de l'histoire, du film et des personnages pour préparer son rôle. La présence de l'actrice chilienne Antonia Zegers a été possible parce qu'elle avait très envie de jouer dans ce film. Pour cela, elle a dû travailler son espagnol argentin durant six mois. Ensemble, nous formions à mes yeux la famille idéale et nous continuons à présent à nourrir notre amitié au-delà du tournage.

C. L. : La couleur et la musique jouent un grand rôle dans le film : quelles étaient les intentions dans ces choix spécifiques ?
I. S. :
Avec Flora Caligiuri la costumière, nous avons choisi des vêtements qui puissent être le plus réaliste possible. Nous avons ainsi fait une recherches de costumes réels de personnes issues de la classe moyenne. Pour moi, il était important que la palette de couleurs puisse rester réaliste. J'ai également expliqué à Giovani Cimarosti, le chef opérateur, au sujet des couleurs, que je souhaitais une image documentaire.

Concernant la musique, au début je n'en voulais pas du tout. Ascari le compositeur a proposé une musique construite de telle sorte qu'elle n'apparaisse pas comme une musique car il m'importait de privilégier encore la réalité.

C. L. : Ainsi, votre approche semble reprendre l'importance de la réalité sociale qui était au cœur, presque trois décennies plus tôt, du nouveau cinéma argentin proposé par Martín Rejtman, Pablo Trapero, etc., avec en outre la dimension de fiction portée par vos personnages, chacun détenteur de sa poésie.
I. S. :
Je pense que l'Argentine est très grande et comprend plusieurs réalités distinctes. Autour d'un drame qu'est la mort, je voulais m'interroger sur les réactions d'une classe sociale, sujet qui n'est pas selon moi bien développé du côté de la classe moyenne. Je ne souhaitais pas ainsi que la confrontation à la mort soit intellectualisée à la manière du cinéma bourgeois de Daniel Burman.

C. L. : Le titre français Moi, ma mère et les autres est proche de Moi, toi et tous les autres (Me and You and Everyone We Know, 2005) de Miranda July/ y voyez-vous des similitudes avec votre propre mise en scène ?
I. S. :
Lorsque j'ai pris connaissance du choix de ce titre français, j'étais ravi parce que j'adore le cinéma de Miranda July. Au final, j'ai tourné un film que j'aurais aimé voir en tant que spectateur, parlant d'argent, de la mort, du deuil où se trouve une thématique LGBTQI+, un personnage un peu enveloppé qui est joué par moi affirmant sa nudité. Ceci était d'autant plus important pour moi que j'ai rarement vu dans un film gay un personnage homosexuel obèse nu, ne répondant pas à la représentation corporelle hégémonique.

C. L. : Le protagoniste est conduit à revenir au début du film dans son pays natal pour affronter une histoire passée : est-ce symptomatique de votre désir de faire un portrait de l'Argentine en pleine crise comme en témoigne la présidence Milei ?
I. S. :
Je crois que le pays comme la ville pour mon personnage est toujours le même. Ainsi, les mêmes problèmes et crises reviennent de manière cyclique, même si je trouve qu'actuellement l'Argentine se retrouve dans un contexte encore plus critique : si avant nous disposions de peu de choses, à présent nous en avons encore moins. L'Argentine est un pays qui conserve sa stabilité malgré tout mais qui ne peut jamais progresser : je parle ici de l'aspect économique et non de la société. Ainsi, les fins de mois sont toujours difficiles et je souhaitais en toile de fond parler de cette réalité économique et sociale.

C. L. : Le personnage que vous incarnez affronte en même temps une rupture amoureuse et la mort de son père : quel lien faites-vous entre les deux ?
I. S. :
Cet aspect lui donne en effet un côté drama queen. La mort, le désir, la vitalité finissent par être liés et se résolvent ensemble. La douleur et l'amour pourraient être séparées mais ce n'est pas le cas. Je pense que le lien étroit entre douleur et amour vient des circonstances de notre naissance. C'est pourquoi j'aimerais que l'amour soit plus proche de l'humour.

C. L. : Peut-on voir dans la trajectoire du protagoniste la nécessité d'affronter son passé afin d'avoir un présent et un avenir ?
I. S. :
Je crois qu'il revient sur son lieu d'origine avant tout pour se retrouver lui-même. Il ne s'agit pas seulement de quelque chose qu'il a laissé et qu'il n'a pu affronter en un temps mais il doit surtout changer pour continuer à aller de l'avant. Son histoire l'oblige à revenir sur son passé mais il devra à un moment donné assumer ce changement.

Illustration 2

Moi, ma mère et les autres
Los domingos mueren más personas
de Iair Said

Fiction
75 minutes. Argentine, Italie, Espagne, 2024.
Couleur
Langue originale : espagnol

Avec : Iair Said (David), Rita Cortese (Dora), Juliana Gattas (Elisa), Antonia Zegers (Silvia)
Scénario : Iar Said
Images : Giovani Cimarosti
Montage : Flor Efrón
Musique : Ascari
Design sonore : Ismael Calvo Delgado
Son direct : Valerio Tedone
Assistant réalisateur : Maximiliano Báncora
Direction artistique : Cova Oderigo, Cristina Nigro
Costumes : Flora Caligiuri
Maquillage : Celeste Dunan
Coiffure : Lucas Perrone
Superviseur des effets spéciaux : Federico Ransenberg
Production : Nicolás Avruj
Coproduction : Juan Pablo Galli, Juan Vera, Christian Faillace, Alessandro Amato, Luigi Chimienti, Luis Collar, Jorge Moreno
Production associée : Giorgina Mesiano, Natali Sussman, Ilonka Galliard, Lamar Hawkins
Production exécutive: Giorgina Mesiano, Nicolás Avruj
Société de production : Campo Cine
Sociétés de coproduction : Patagonik, dispàrte et Nephilim Producciones
Distributeur (France) : JHR Films
Vente internationale : Heretic

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