Billet de blog 12 décembre 2014

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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État de la distribution du cinéma latino-américain en France en 2014

En 2014, sur près de 700 longs métrages distribués dans les salles françaises, 34 sont latino-américaines, dont 6 documentaires qui sont des coproductions majoritairement françaises mais qui ont pour sujet un pays d’Amérique latine et le film Retour à Ithaque du cinéaste français Laurent Cantet tourné à Cuba.

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En 2014, sur près de 700 longs métrages distribués dans les salles françaises, 34 sont latino-américaines, dont 6 documentaires qui sont des coproductions majoritairement françaises mais qui ont pour sujet un pays d’Amérique latine et le film Retour à Ithaque du cinéaste français Laurent Cantet tourné à Cuba. Le pays de production majoritaire le plus représenté est le Brésil (10 films), suivi de l’Argentine et du Mexique. Les autres pays dont le cinéma est distribué sont, dans l’ordre du nombre de films : le Chili, l’Uruguay, le Pérou, le Venezuela, Cuba, la République dominicaine, Haïti. Cette année la Colombie est exceptionnellement absente alors qu’elle était présente. Par comparaison, il faut savoir que les productions françaises et des États-Unis occupent chacune plus de 40% des films distribués, il reste donc entre 15 à 10% d’espace de distribution que doivent se partager tous les autres pays de production du monde. Les distributeurs qui ont des films latinos à leur catalogue ne choisissent pas pour autant leurs films en raison de leur nationalité. Même pour Pyramide Distribution qui a sorti trois films latinos (Pelo malo de Mariana Rondón, Les Drôles de poissons chats de Claudia Sainte Luce et Au premier regard de Daniel Ribeiro), ce n’est qu’une partie sur un ensemble de quinze films sortis à l’année. Selon Éric Lagesse, PDG de Pyramide, « l’intérêt que nous portons aux films n’est pas précisément lié à leur nationalité mais plus simplement à leur qualité ». C’est pourquoi les distributeurs concernés par le cinéma latino-américain ont dans leur catalogue de nombreuses nationalités. Cela n’empêche pas certains de trouver un réel intérêt à cette aire géographique de cinéma, comme l’exprime Amel Lacombe, directrice d’Eurozoom, qui a distribué en 2014 Hipótesis de Hernán Goldfrid et Felicidad de Daniel Burman : « Je pense que le cinéma latino présente un mélange rare de maturité et "d'exotisme". C'est un cinéma à la fois lointain par le dépaysement qu'il propose mais proche par la qualité de sa facture. C'est également un cinéma qui n'a pas besoin d'étiquette et qui n'a pas peur de mélanger les genres. Les acteurs comme les réalisateurs passent aisément de la comédie au drame, du cinéma grand public à un cinéma dont le public est plus minoritaire. J'y trouve une liberté de ton assez stimulante ! »

Chaque année les sociétés de distribution Eurozoom, Urban Distribution, Ad Vitam, Pyramide Distribution, Le Pacte, Les Films du Paradoxe, A3 Distribution, Arizona Films Distribution, Épicentre Films et Les Films du Paradoxe proposent aux salles de cinéma au moins un film issu d’Amérique latine. En outre, il y a encore des sociétés de distribution qui voient le jour et commencent leur travail en distribuant un film latino. C’est le cas de Bobine Films de Jovita Maeder avec El Limpiador d’Adrián Saba sorti en décembre 2013, suivi du documentaire franco-péruvien El Gran dragon de Tristan Guerlotte et Gildas Nivet et de La Paz de Santiago Loza. Certaines sociétés de production françaises font le choix de devenir elles-mêmes pour l’occasion distributeur de leurs propres documentaires. Leur sujet concerne directement un pays d’Amérique latine, bénéficiant parfois d’une coproduction avec le pays qui accueille le tournage. C’est le cas des producteurs/distributeurs avec TS Productions avec L’Homme aux serpents d’Éric Flandin, Les Films d’Ici avec El Impenetrable de Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini, Hévadis Films pour Chaparri, les sept ours de la montagne sacrée de André Charles-Dominique et Nathalie Granger-Charles-Dominique, Zeugma Films avec Haute terres de Marie-Pierre Brêtas. Le cas de cette situation est suffisamment notable pour la souligner. En contrepartie, la distribution de documentaires 100% latino se fait très rare. C’est pourquoi les festivals de cinéma en France tente de prendre le relais sur cette question. Ainsi, le festival Viseur se consacre à la diffusion de documentaires mexicains durant une semaine dans le cadre du mois documentaire.

Saje Distribution est également un nouveau distributeur avec son film mexicain Cristeros de Dean Wright, troisième grand succès latino en nombre de spectateurs en France. Ce dernier film fait d’ailleurs figure d’exception puisqu’à part celui-ci et cela depuis plus de quinze ans en France, les films latinos bénéficient du label Art et Essai : le « cinéma commercial » d’Amérique latine n’est donc pas distribué en salles en France. Ainsi, les grands succès publics latinos dans leur pays d’origine ne parviennent jamais dans les salles françaises, à moins qu’il s’agisse en outre de cinéma d’auteur, qui bénéficie en outre de l’avantage d’un passage dans des grands festivals internationaux de cinéma. Il faut noter l’importance du rôle de Ventana Sur pour ouvrir le cinéma latino-américain au marché français, comme l’explique Éric Lagesse, pour Pyramide Distribution : « Il faut dire aussi que Ventana Sur a aussi été un vrai tremplin pour la circulation des films latino-américains. J’ai acheté lors de la première édition, le film mexicain Année bissextile de Michael Rowe, qui était alors en post-production. Nous avons aussi acheté dans la même section quelques années plus tard, Les Drôles de poissons chats que nous avons sortis en France en mai de cette année. »

Pour l’année 2014, le numéro 1 au box office est une comédie française : Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? avec plus de 12 millions d’entrées. À la date arrêtée du 21 novembre 2014, Le Sel de la terre de Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado est le premier film latino à la 138e place du box office avec 235516 spectateurs, suivi de Gloria de Sebastián Lelio (123211 spectateurs, 190e) et Cristeros de Dean Wright (80522 spectateurs, 220e place). Chacun de ces trois films a bénéficié d’un nombre conséquent de copies dès la première semaine d’exploitation (respectivement 77, 86 et 59 copies). Le succès en salles est intimement lié à la capacité pour un distributeur de pouvoir financer un nombre conséquent de copies, comme Le Pacte (Le Sel de la terre) et Ad Vitam (Gloria). Mais pour leur grande majorité, les films latinos sortent sur moins 20 copies dès la première semaine d’exploitation. C’est évidemment peu par rapport aux 890 copies de Transformers 4 ou les 302 copies pour Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? Pour 2014, 43,1% de la fréquentation en salles concerne des films français, 50,7% des films US et 6,2% toutes les autres nationalités. Les productions les plus importantes issues des États-Unis ou de France en terme de budget sont également celles qui occupent une écrasante place dans les salles de cinéma chaque semaine compte tenu du nombre de copies par film. La rencontre avec le public est dès lors facilitée pour ses films comme en témoignent les chiffres de la fréquentation en salles.

La stratégie suivie en particulier pour les distributeurs disposant de peu de copies par film, consiste à assurer un véritable d’accompagnement en développant des liens directs avec des associations locales et les salles de cinéma ou encore en s’inscrivant par exemple dans la programmation de « Cinéma en Région » du festival Cinélatino. Ainsi, on peut constater que plusieurs distributeurs font coïncider leurs dates de sortie de films latinos avec les dates du festival, puisque ces films pourront bénéficier de la présence du réalisateur qui accompagnera son film dans les salles. « La fréquentation d’une salle passe du simple au double en présence du réalisateur du film », explique Marie Chèvre, responsable de Cinéma en Région, qui développe la diffusion des films latinos aux salles de cinéma de toute la région Midi-Pyrénées. Si Paris reste la ville où tous les films sont pour la grande majorité diffusés, les films latinos trouvent un bon accueil dans les grandes villes du Sud de la France comme Toulouse ou Montpelier, selon le témoignage des distributeurs concernés.

Avec le recul historique, on s’aperçoit que depuis 1947, 75 % des films latinos ont été distribués à partir de l’année 2000. À partir de cette année, la diversité des nationalités des pays ne cessent de croître, en même temps que le nombre de films distribués par semaine (15 à 20). La fréquentation par film a donc nettement diminué ou bien s’est concentrée sur quelques grosses productions US ou des comédies populaires françaises. Tous les films latinos qui ont réalisé plus d’un million d’entrées datent des années 1940 et 1950 : Orfeu Negro de Mario Camus (3 690 517 spectateurs), María Candelaria de Emilio Fernández (1 821 773 spectateurs). Mais c’est là un tout autre contexte qui n’a guère d’équivalent avec la réalité actuelle, avec un nombre de spectateurs plus important en salles qu’actuellement, compte tenu de la multiplication et de la diversité au fil des décennies des modes de diffusion des films (télévision, Internet, vidéo, téléphone portable, etc.). Depuis le début des années 2000, la réalité de la distribution des films latinos a pris un tout autre visage, témoignage également du « boom » de la production par pays à cette même époque en Amérique latine. En 2015, la distribution du cinéma latino entrera dans un contexte inédit puisque le film argentin Les Nouveaux sauvages de Damián Szifrón sera distribué par Warner, l’une des sociétés les plus puissantes en France et dans le monde, au sens où celle-ci est en mesure de présenter sous un grand nombre de copies le film à plusieurs salles dès la première semaine d’exploitation et d’assurer une notable communication autour du film, qui a commencé d’ailleurs avec la sélection du film en compétition officielle lors du festival de Cannes 2014.

 Retrouvez cet article en version espagnole sur le site dédié à l'industrie du cinéma latino-américain, LatAmcinema : http://issuu.com/latamcinema/docs/numero-12

Source pour les données statistiques de fréquentation : CBO Box Office : http://www.cbo-boxoffice.com/v4/page000.php3

Un grand merci pour leur aide et leur témoignage à Laurent Coudurier (CBO Box Office), Daniel Chabannes (Épicentre Films), Éric Lagesse (Pyramide), Amel Lacombe (Eurozoom), Jovita Maeder (Bobine Films) et Marie Chèvre (Cinéma en Région pour Cinélatino)

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