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En mars 2014, le réalisateur paraguayen Juan Carlos Maneglia était venu au festival Cinelatino, Rencontres de Toulouse accompagner son film 7 Boxes (titre original : 7 cajas) dans le cadre du dispositif Cinéma en région. Pour un réalisateur aussi touché par le retour du public face à son film, ce fut une très belle expérience. Au moment où son film sort à présent en DVD sous le titre anglais 7 Boxes chez TF1 Vidéo, voici donc l’entretien réalisé avec Juan Carlos Maneglia.
Sur 7 Boxes (7 cajas) avec Tana Schémbori vous êtes à la fois coréalisateur et producteur.
Juan Carlos Maneglia : María Victoria Ramírez Jou, la productrice exécutive, s’est beaucoup occupée de la production. Ensemble nous avons décidé des endroits où tourner. Dans l’industrie cinématographique au Paraguay, chacun est prêt à assurer plusieurs postes.
Jusque-là avec Tana Schémbori nous avons réalisé des films avec un certain succès pour la télévision. Nous avions au départ comme objectif de raconter une histoire à destination du public paraguayen. Nous avons cherché des fonds pour produire le film.
Dans votre film vous jouer avec le spectateur autour des codes du film de genre. En aviez-vous conscience au moment de l’écriture du scénario ?
J. C. M. : Pour nous, la réalisation de séries pour la télévision a été très formatrice. Cette expérience nous a permis de comprendre ce que le public souhaite. Ainsi, nous avons pu définir les traits de nos personnages et les situations conflictuelles auxquelles ils sont confrontés.
Au Paraguay, pendant longtemps il n’y avait pas d’école de cinéma : la première est apparue il y a deux ans seulement. J’ai tenté ainsi en 1991 de m’inscrire à l’école de cinéma de San Antonio de Los Baños à Cuba mais le Paraguay n’ayant pas établi de lien avec ce pays je n’ai pas pu m’y rendre. Plus que tout, finalement, nous avons appris à faire des films en passant directement à la réalisation de courts métrages et en produisant des fictions. Je me rappelle un cinéaste qui expliquait que l’on apprend beaucoup à faire des films en prenant en considération les réactions du public : à quel moment il s’ennuie, à quel autre il rit, etc. En outre, les réalisations que l’on nous commandait dans un cadre commercial ont été formatrices, avec le défi de créer en récit dans un spot publicitaire de 30 secondes. Tout ceci constitue pour moi une école : sur plusieurs années mais très utile.
Nous avons sur chacun de nos projets l’intention de réaliser un film populaire qui plaise au public. Je n’ai jamais pensé que ce film sortirait du Paraguay et participerait à plusieurs festivals dans le monde. Ceci est le beau résultat d’un travail effectué avec passion et de la meilleure manière possible. Au Paraguay, il manque beaucoup de soutien pour qu’une production cinématographique puisse se poursuivre, en l’absence de fonds. En revanche, un film ayant remporté un succès public offre plus de visibilité auprès des producteurs ce qui facilite le financement du film suivant.
7 Boxes a pour toile de fond la réalité sociale autour d’un important marché local : avez-vous procéder à une recherche spécifique pour la connaître et les traduire ensuite dans votre film ?
J. C. M. : J’ai fat des études de communication qui m’ont permises de prendre conscience de la réalité sociale où je me trouvais. J’ai effectué quelque recherches pour être précis sur certains aspects du film. Un marché se révèle être un lieu magnifique pour faire un film. J’ai trouvé ce lieu fascinant. En 2004, j’ai commencé à explorer ce lieu sans avoir la prétention d’en faire un film. Je me suis approché d’un porteur sur le marché sans lui dire encore que mon intention était d’écrire un scénario. À travers lui, j’ai pu apprendre de nombreux codes qui m’ont permis de comprendre un monde que je trouvais fascinant. Par exemple, le personnage de Liz est inspiré de la petite amie de ce porteur. Les nombreuses visites sur le marché m’ont beaucoup apporté. À partir du moment où j’ai expliqué que j’étais en train d’écrire le scénario d’un film, on m’a offert de nombreuses anecdotes. J’ai senti aussi à ce moment là quel devait être le rythme du film. Je ne tenais pas nécessairement à être réaliste quant à ce marché. Par exemple, la fête du marché n’est pas aussi importante que celle du film. Beaucoup de choses se passent en réalité dans la rue et non pas en intérieur. L’organisation mafieuse est une pure invention de ma part. De même, il n’existe pas de femmes porteuses de marchandises comme dans le film. En revanche, plusieurs éléments sont bien issus de faits réels que j’ai pu découvrir dans les journaux. Mais ce qui m’intéressait, plutôt que le réalisme, c’était la dramaturgie en tant que telle. Ainsi, je souhaitais des lieux resserrés où sont concentrées les difficultés personnelles. Mes visites sur le marché m’ont permis de comprendre comment fonctionne ce monde des porteurs. À partir des grands traits du scénario, j’ai pu intégrer les nécessités propres à chaque personnage comme par exemple d’un côté un homme qui a besoin d’argent pour son fils et de l’autre un jeune pour s’acheter une télévision. Dans cette commune volonté de recherche d’argent, certains personnages se perdent, d’autres meurent. Les rêves de Victor semblent dès lors inaccessibles face à la complexité des situations auxquelles il est confronté. Les situations meurent dans ce film comme les personnages.
Quoi qu’il en soit mon souhait de départ était de réaliser un film populaire à destination du public. C’est au fil de mes investigations que sont ensuite apparus de nouveaux thèmes et centres d’intérêt.
Comment s’est passée la diffusion du film au Paraguay ?
J. C. M. : La distribution a commencé le 7 août 2012 avec la difficulté de trouver des salles de cinéma souhaitant programmer le film. Nous avons eu la chance qu’au mois de mai de la même année est sorti un autre film paraguayen qui a très bien marché auprès du public avec plus de 41 000 spectateurs, ce qui est considérable au Paraguay où un succès commence avec 20 000 spectateurs. Il y avait alors pour le pays seulement 22 salles de cinéma pour 6,8 millions d’habitants : c’est une folie ! Les trois complexes de cinéma les plus importants d’Asunción n’ont pas l’habitude d’offrir de la crédibilité à un film paraguayen quant à sa capacité à attirer à un public. Suite au succès du précédent film, nous avons eu l’opportunité d’être programmé et au bout d’une semaine le film avait réuni environ 15 000 spectateurs ! C’était impressionnant de voir un grand complexe mettre plusieurs de ses salles à la disposition d’un seul film. L’année précédente, le film en tête du box office paraguayen était Iron Man avec 100 000 et selon les derniers chiffres, 7 Boxes réunissaient plus de 350 000 spectateurs. Ce fut fantastique ! Un formidable cadeau ! Certains spectateurs n’étaient pas venus au cinéma depuis plus de vingt ans. Le film a voyagé à Toronto et a été vendu dans plusieurs pays. Nous avons également reçu de nombreux prix dans les festivals dont plusieurs prix du public. Ce qui m’enthousiasme est de voir fonctionner le film également en dehors du Paraguay même.
J’ai été surpris par les différentes pistes explorées par le film qui est un mélange entre le thriller, l’humour et un fond social. Les personnages sont typiquement paraguayens comme en l’occurrence l’attitude des policiers. J’avais peur que ceux-ci se sentent offensés de se voir ainsi à l’écran mais ils se sont pleinement reconnus dans le film. Les exploitants de salles ont vu pour la première fois arrivé un public portant des drapeaux paraguayens. C’était alors un véritable orgueil personnel de voir un film paraguayen. Alors que la piraterie est énormément développée au Paraguay, 7 Boxes ne fut pas piraté durant plusieurs semaines, témoignant ainsi d’une sorte de respect pour le film. De la même manière sur Internet on a retrouvé ce respect qui consistait à ne pas promouvoir le téléchargement illégal du film.