Billet de blog 14 juin 2025

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Patricia Velásquez Guzmán, directrice artistique de la 13e CRFIC

Patricia Velásquez Guzmán est la nouvelle directrice artistique de la 13e édition du Costa Rica Festival International de Cinéma qui se tient du 19 au 29 juin 2025 à San José, capitale du Costa Rica. En plus des sections compétitives, de nouvelles sections thématiques, des ateliers industriels et des master class visent à toucher un public toujours plus large autour de la passion du cinéma.

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Patricia Velásquez Guzmán © DR

Cédric Lépine : Pour votre première édition à la direction artistique du festival, comment se situe cette 13e édition entre changement et continuité ?

Patricia Velásquez Guzmán : Tout d'abord, dans cette édition, un premier changement concerne la compétition de courts-métrages qui, cette année, est centraméricaine. Pour moi, le plus important consiste à renforcer cette idée, qui n'est pas nouvelle, de régionaliser le festival, d'en faire un point de référence au niveau de l'Amérique centrale. Ceci est d'autant plus essentiel que nous venons de pays où nos cinématographies sont très petites. Il s'agit donc de renforcer cette industrie à un niveau régional. C'est donc aussi un moyen de nous rendre plus forts.
Pour créer des alliances, cette année le développement de l'industrie est également devenu centraméricain. Nous essayons vraiment de renforcer le secteur audiovisuel au niveau de l'Amérique centrale pour devenir une plate-forme de plus en plus forte au fur et à mesure que nous réalisons des alliances avec le reste de l'Amérique centrale.

C. L. : En dehors des films en compétitions, la programmation s'ouvre à d'autres pays, notamment avec la section dédiée aux réalisatrices espagnoles.

P. V. G. : Oui, cette section s'appelle Mujeres bajo la influencia en référence au film de John Cassavetes.
Alors que normalement la rétrospective aurait dû être faite autour d'un réalisateur, j'ai voulu proposer l'invitation d'un pays invité. Cela nous permet ainsi de créer des alliances, y compris au niveau économique. Au moment où le pays traverse une crise économique et des coupes budgétaires, c'était aussi une façon de maximiser les ressources. Nous avons eu un échange avec le Festival du film de femmes de Madrid, qui nous a fourni une sélection de films de réalisatrices espagnoles, et nous avons sélectionné six films récents et contemporains, dont les thèmes nous semblent pertinents pour le pays à l'heure actuelle.

Nous avons également des ateliers, une exposition d'art vidéo d'Amérique centrale qui aura lieu en parallèle dans différents espaces d'art contemporain indépendants ainsi qu'au Musée d'art contemporain et de design.

En d'autres termes, ce qui m'intéresse avant tout, c'est d'étendre le festival au plus grand nombre en plus de son public fidèle. Nous nous engageons toujours à présenter des films de qualité, avec des thèmes pertinents en rapport avec les problèmes qui se posent au niveau mondial. Ce n'est pas différent des éditions précédentes, mais cette fois-ci, nous voulons voir comment attirer d'autres publics et nous avons ainsi une section de films consacrée à l'horreur, au cinéma fantastique, etc.

Nous avons encore une section consacrée au cinéma et à la musique, une section destinée aux enfants et aux jeunes. Nous faisons le pari d'amener des publics différents au festival, car d'une certaine manière, nous avons aussi commencé à sentir que le public du festival vieillissait.

Nous cherchons de nouveaux publics avec des films du monde entier, des films qui ne sont pas seulement pertinents en raison de leur sujet, mais qui présentent également de nouvelles formes narratives. Nous avons donc une sélection qui va de films très expérimentaux à des films pour un public plus large.

C. L. : Le festival sera-t-il encore un espace de rencontres pour les professionnel.les du cinéma costaricain ?

P. V. G. : Oui, cette année, il y a aussi plusieurs événements. L'atelier Tres Puertos d'Australab s'est associé avec le festival et le Costa Rica Media Market avec ses activités industrielles a lieu aux mêmes dates que le festival. Ensuite, nous organiserons une rencontre cinématographique avec des femmes d'Amérique centrale, en profitant de la présence des cinéastes.

Plusieurs espaces dédiés à l'industrie permettront une mise en réseau et surtout des espaces de dialogue et de conversation. Parce que pour tous et toutes les cinéastes de la région, il est difficile de faire des films, la seule façon de continuer à produire, consiste à trouver des alliances auprès de différents pays. Ceci débouche alors sur des coproductions, de nouveaux films, différentes manières de financer nos projets, différentes formes narratives. Ainsi, le festival se tourne aussi bien vers le public que le soutien aux cinéastes.

C. L. : Du point de vue de la France, chaque année le cinéma d'auteur européen est essentiellement porté par des réalisatrices. Comment l'expliquez-vous ?

P. V. G. : C'est un phénomène curieux et beaucoup de personnes l'ont remarqué et souligné. Je pense que c'est un peu lié au type de pays dans lequel nous nous trouvons, qui, je pense, a donné beaucoup d'opportunités aux femmes dans les différents domaines de l'art, et pas seulement dans le cinéma. De plus, au Costa Rica, les femmes, en général, se partagent entre elles beaucoup d'informations. Nous avons une association de réalisatrices qui permet et incite l'entraide. Des réalisatrices en viennent à produire le projet d'autres, comme Paz Fábrega qui a produit le film d'Alexandra Latishev (Medea) et Alexandra Latishev a elle-même produit le film de Carolina Arias Ortiz (Objetos rebeldes). En d'autres termes, il existe également une sorte d'accompagnements entre nous toutes, et je pense qu'en cela, il y a peut-être une différence avec nos collègues masculins.

En dehors de l'analyse et de la réflexion sur les films que nous faisons, des discussions ont lieu sur les thèmes. Ainsi, par exemple, avec Paz sur Aurora, nous avons passé pratiquement un an chaque semaine à parler de la maternité, à approfondir certains thèmes que nous voulions aborder. Nous ne travaillons pas à partir d'une rivalité ou pour savoir qui est la meilleure, nous travaillons plus dans une aide mutuelle et je pense que cela fait une grande différence.

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C. L. : Contrairement à la frilosité notamment des festivals français en la matière, vous réussissez à défendre le cinéma documentaire sur un pied d'égalité avec la fiction en l'incluant dans une même section compétition sans discrimination.

P. V. G. : Ce qui est important pour nous, c'est le contenu et l'esthétique des films. En réalité, le fait que les films soient d'un genre ou d'un autre n'est pas très important pour nous.

Je pense qu'il arrive parfois qu'il y ait plus de fictions, et cela est lié aux films qui ont été réalisés cette année-là. En 2025, nous avons beaucoup de documentaires dans le festival et en particulier dans la compétition mais je pense que cela est lié aux œuvres présentées à la sélection.
Historiquement, le festival a toujours été curieux des documentaires, surtout dans les sections de l'industrie, où l'on en trouve parmi la plupart des œuvres sélectionnées. Le documentaire est donc très puissant pour raconter les choses que traverse un pays, une région ou une famille.
Ainsi, parmi les deux documentaires costaricains en compétition cette année, l'un parle de l'abus sexuel d'un prêtre, comme un exemple des abus systématiques qui ont eu lieu dans l'Église catholique. Il parle de l'impunité et de la façon dont l'institution s'est rendue complice de ces abus, en cachant les prêtres responsables, en les déplaçant vers des endroits plus éloignés, en les emmenant dans d'autres pays.

L'autre documentaire, d'Álvaro Torres Crespo, Ella se detiene a mirar, porte sur la région du Pacifique Sud. Il suit une famille et, à travers elle, nous pouvons voir l'abandon qui existe dans ces zones côtières, où il n'y a pas d'accès au travail, où il y a une forte présence du trafic de drogue, où ils souffrent également des conséquences du changement climatique, des zones qui sont inondées en permanence, des gens qui perdent constamment leurs maisons. Ce sont des thèmes très forts et je pense que les festivals sont l'endroit idéal pour les présenter.

C. L. : Que souhaitez-vous à la nouvelle édition du festival ?
P. V. G. :
Ce que j'aimerais, c'est que ce festival ait un plus grand public. J'aimerais que le public soit satisfait des films car nous avons fait une sélection très minutieuse. Nous nous sommes concentré.es sur l'expérience que le public et les cinéastes allaient vivre, et nous avons essayé de soigner chaque détail pour que cette nouvelle édition soit aussi bonne que possible. Par la suite, nous ferons une évaluation pour envisager une prochaine année encore meilleure. En d'autres termes, l'idée est de renforcer le festival, de poursuivre les choses qui ont bien fonctionné jusqu'à présent, qui sont nombreuses, et d'en améliorer d'autres. Nous pourrons ainsi par la suite voir comment nous pourrons obtenir plus de ressources pour accueillir plus d'invités internationaux et donner ainsi une portée internationale au festival.

Je rêve qu'un jour, tout San José soit impliqué dans le festival du film. C'est un travail qui doit être fait petit à petit. Bien qu'il y ait des espaces gratuits, une grande partie de la population n'y a pas accès pour différentes raison : parce qu'elle n'en connaît pas l'existence, parce qu'elle a l'impression que ces espaces sont exclusifs, en raison de ses conditions sociales. J'aimerais donc, pour les prochaines éditions, pouvoir revenir à des projections en plein air dans des lieux où les gens peuvent vraiment y avoir accès.

Avant le festival, il y a un mois, nous avons également fait le tour du pays pour présenter des films. Car une partie du festival comporte la scène itinérante, dans sept régions différentes, dont certaines très complexes, comme Isla Venado, où cela impliquait de se déplacer dans un énorme bateau, avec un large travail logistique. L'idée, c'est d'aller dans des endroits de plus en plus reculés où le public n'a pas vraiment accès au cinéma et à ce type de films.

Bande-annonce du festival © CRFIC

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