Billet de blog 15 août 2016

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Olivia Corsini et Serge Nicolaï, acteurs du film "Olmo et la mouette"

Le 31 août 2016 sort dans les salles de cinéma le film « Olmo et la mouette » de Petra Costa et Lea Glob. Pour parler de ce moment de cinéma hors normes, qui joue avec intelligence entre les frontières du documentaire, de la fiction, du cinéma et du théâtre, les deux protagonistes, Olivia Corsini et Serge Nicolaï, connus pour leurs interprétation au théâtre, livrent leur expérience.

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Serge Nicolaï et Olivia Corsini au festival de Locarno 2015 © DR

Cédric Lépine : Comment passe-t-on du théâtre au cinéma ? Est-ce que les réalisatrices vous ont préparé à ce passage ?

Olivia Corsini : La rencontre avec Petra Costa s'est faite par reconnaissance : elle nous a vu jouer et elle est venue vers nous. Elle nous a montré son travail et nous avons eu envie de travailler ensemble. C'était une évidence : nous cherchions dans la même direction. Il n'y a eu ni préparation ni habitude non plus, nous cherchions ensemble notre forme propre.

Serge Nicolaï : Le théâtre et le cinéma, du point de vue de l’acteur, sont deux manières tout à fait différentes d’aborder le jeu. Au théâtre nous jouons pour la caméra qu'est le public : c’est lui qui fait son cadre, choisit son focus et l’acteur doit être partout. Il n’y a pas ou peu de fois de réelle transposition au cinéma, nous devons jouer pour un œil qui nous regarde par un trou de serrure, qui nous épie ; il faut « resserrer » son jeu, être plus intimiste. Au théâtre l’intime est grand, dévoilé, projeté, on ne peut pas être psychologique quand on joue pour 500 personnes, sur un plateau de vingt-cinq mètres de long sur vingt de profondeur, au cinéma en revanche c’est possible. Au théâtre c’est tout le corps qui travaille tout le temps, au cinéma on parle du travail du « masque », on peut ne jouer qu’avec son visage sans utiliser son corps.
Petra et Lea savaient que nous venions du théâtre, c’est là que nous nous sommes connus. Elles sont très peu intervenues dans le domaine du jeu, sauf parfois pour nous « resserrer » justement, surtout dans les moments de théâtre : c’était plus difficile puisque nous avions tendance à garder le grand, même si nous avions l’impression déjà de jouer très petit, plus serrés !

Cédric Lépine : Considérez-vous que le cinéma est davantage en mesure de saisir l'intimité à travers une émotion que la caméra peut aller chercher auprès du moindre mouvement de sourcil ?
Olivia Corsini :
Oui ! Nous avions envie d'essayer de raconter ce qui se passe dans la tête d'une femme et le cinéma nous a permis de nous rapprocher de façon presque sensorielle des émotions, des frissons, des signes du temps sur la peau, de l'intimité.
Serge Nicolaï : Oui sûrement comme je le disais précédemment. Au théâtre il faut offrir l’intime de manière plus ouverte, on l’aborde plus avec l’ensemble de son corps, un mouvement de sourcil ne suffit pas, cela n’apparaît pas ou si peu, cela devient invisible. Le cinéma apporte la loupe et la met sous les yeux du spectateur, alors qu'au théâtre la loupe c’est nous qui la prenons en charge, elle doit être plus grande au sens où elle doit s’ouvrir à l’ensemble du plateau et pas seulement à notre bulle, cela paraît étriqué.

Cédric Lépine : À la différence du théâtre, l'acteur au cinéma maîtrise bien moins son personnage qui peut changer du tout au tout à travers le regard démiurgique des réalisateurs capables de proposer une histoire inattendue aux personnages.
Olivia Corsini :
Je crois que la syntonie entre nous tous a été une condition fondamentale pour raconter cette histoire en essayant d'être le plus honnête possible. Les réalisatrices n'ont jamais trahi notre ressenti ni notre histoire mais elles ont, avec une grande intuition, projeté leurs propres histoires, leurs propres peurs, s'inspirant de ce qu'inconsciemment ou non nous leurs donnions.
L'abandon volontaire et extrêmement plaisant était teint d'un sentiment de gratitude envers celles qui nous offraient un cadre pour transposer un moment de vie très important qu'en tant qu'artiste nous avions la nécessité de raconter.
Serge Nicolaï : Nous avons travaillé en totale confiance : nous savions qu’il ne pourrait rien nous arriver de mal ! Et puis nous avons travaillé tout le temps sur « l’écriture » de notre film, même si au moment du montage nous ne pouvions plus (physiquement en tous cas) intervenir. Concernant la construction du film au montage, nous avions d’un commun accord décidé de nous faire plus petits. Régulièrement, nous intervenions, à la demande des réalisatrices, puisque nous étions les acteurs principaux (au sens général du terme) de notre histoire. Pour aborder des sujets universels, nous partions toujours de notre histoire et parfois nous tournions une scène qui manquait, à la demande !

Cédric Lépine : Avez-vous défini vos personnages devant la caméra comme le contre-point de l'autre ? En effet, on peut constater le calme rationnel de l'un face au torrent de passion de l'autre, l'enfermement de l'une face aux déambulations de l'autre, etc.
Olivia Corsini :
Avant de commencer à tourner, nous sommes devenus amis avec Petra : cela a permis de nous connaître au préalable, dans notre vie de tournée, de travail, de fêtes, de voyages. Elle a su capter nos deux natures, nos deux énergies. Ensuite, Petra et Lea ont su les titiller, les stimuler, les mettre en forme ; mais nous sommes ainsi : notre équilibre vient de ces différences.
Serge Nicolaï : Nous sommes partis de nous, de notre histoire, de nos personnalités. Nous étions sensés jouer nous-mêmes ! Si nous avions été boulangers ou chefs d’entreprise cela n’aurait jamais été possible. Le film existe tel qu’il est car nous sommes des comédiens et qu’il nous est donc donné par notre profession de jouer ou rejouer notre propre quotidien, de toujours garder la notion du jeu. Nos personnages, car ce sont des personnages, ce sont nous, puisque nous jouons nous-mêmes. C’était un exercice fascinant à faire, car nous nous abordions comme des personnages plus tout à fait comme nous, mais davantage sous la forme « Serge » dit ça ou « Olivia » fait ça… Rien n’a été prédéfini, tout s’est construit à partir de nous, de notre histoire, les utilisant comme matière première de l’écriture du scénario. Notre vie de couple est fondée sur les contre-points de nos différentes personnalités et sur l’immense similitude de notre regard sur la vie.

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"Olmo et la mouette" de Petra Costa et Lea Glob © Epicentre Films

Cédric Lépine : L'art se nourrit de la vie tout autant qu'elle la nourrit et réciproquement : dans votre vie, faites-vous une distinction entre ces deux mots très courts (art et vie) qui contiennent beaucoup de vous-mêmes ?
Olivia Corsini :
Personnellement en ce moment de ma vie cette question m'agite. Je ne fais pas de distinction : chaque expérience s'offre dans le moment même où elle est vécue comme une œuvre potentielle ; chaque moment d'émotion cherche tout de suite une forme pour être racontée. Je souffre d'une nécessité maladive de partager le ressenti. Cette vision peut être très douloureuse parce que si l'art est fait de chair encore tremblante, alors toute expérience ou je n'arrive pas a cette sublimation du réel me laisse un sens d'insatisfaction terrible.
Serge Nicolaï : Oui certainement, en tous les cas pour moi ! Je me considère comme un artisan de l’Art, et c’est en cela que je peux me dire artiste. C’est un métier, il faut travailler pour y arriver, c’est laborieux et d’ailleurs c’est une des différences principales entre le théâtre et le cinéma. Au cinéma il est possible de « faire » jouer quelqu’un qui n’est pas, en utilisant sa personnalité comme principal outil du personnage : il n’a plus rien à faire que d’être lui-même et cela marche merveilleusement bien et donne des perles au cinéma, alors qu’au théâtre c’est pratiquement impossible. D’ailleurs on voit plus souvent des comédiens de théâtre venir au cinéma que le contraire !
Mais pour revenir à la question, l’acteur n’a d’autre matière première pour travailler que les sentiments, l’âme, les états. Nous utilisons l’impalpable pour rendre l’invisible visible et nous devons nous nourrir de la vie pour pouvoir la raconter.

Cédric Lépine : À un moment donné, bien que l'on soit proche du documentaire avec une vraie grossesse, un vrai couple en train de naître en tant que parents, des archétypes semblent apparaître, issus du théâtre comme de la mythologie. Ainsi, on peut songer à Médée séduite qui n'accepte pas la maternité une fois que Jason s'éloigne d'elle.

Olivia Corsini : Avoir la possibilité de jouer devant la camera le rôle de la femme en plein conflit intérieur m'a permis de livrer au doute le rôle protagoniste. Grâce à cela j'ai pu me permettre de ne pas me glisser trop vite dans le moule de la mère selon mes attentes ou les attente des autres.
Serge Nicolaï : Il était important que l’on nous voie au travail, dans notre univers quotidien qu’est le théâtre.
Ce n’est pas innocemment que nous avons choisi La Mouette de Tchekov aussi. Évidemment que nos personnages et ceux de la pièce de Tchekov trouvent un lien commun, nous sommes des Trigorines, des Ninas, des Treplevs et des Arkadinas, des Médées, des Jasons, des Phèdres, des Hamlets, des Juliettes… C’est cela qui rend ces personnages universels et immortels et c’est là que l’on reconnaît les génies de l’écriture théâtrale, car ils nous touchent même s'ils sont des Dieux ou des Démons.

Cédric Lépine : Comme sur la scène, être parents c'est jouer un personnage déjà écrit : par ses propres parents, le regard de l'autre du couple, les amis, la société dans son ensemble. Comment avez-vous pu aborder cette découverte d'une nouvelle identité tout en assurant un rôle devant une caméra ?
Olivia Corsini :
Je crois que ce film m'a laissé me découvrir doucement en tant que "jeune" mère parce que nous faisions une "apologie" de ce que l'on ne peut pas dire, de ce qu'on n'ose pas penser. Grâce à cette expérience, je me suis approchée de mes zones d'ombres. Et si l'on trahit le texte classique de "la pièce des parents" depuis ses premières lignes, alors l'improvisation sera plus facile ensuite.
Serge Nicolaï : La distance du jeu et le lâché prise, ne pas chercher à contrôler ce qui depuis la nuit des temps guide les femmes et les hommes... Il faut savoir s’incliner devant la magnificence de la Vie, la respecter et ne pas vouloir lui donner un autre chemin et pour cela il faut être à l’écoute, ce qui n’est pas toujours facile mais c'est indispensable, pour l’acteur et pour l’homme.

Cédric Lépine : Comment joue-t-on, à la différence encore une fois du théâtre, dans des espaces exigus d'un appartement, d'une chambre, de toilettes ? Ces lieux ont-ils été autant de contraintes pour faire ressortir autre chose de vous-mêmes que vos personnages de théâtre ?
Olivia Corsini :
Ces lieux nous ont servi parce que leur familiarité nous ramenait tout le temps à une vérité, une intimité. Ces lieux ont vécu des moments fondamentaux de notre vie et ils nous le rappellent à chaque instant, en nous inspirant une façon de bouger, une manière de parler, un ton de la voix qui sont plein de notre histoire.
Au théâtre ce travail se fait avec l’imagination.
Serge Nicolaï : La taille du castelet au cinéma est différente de celle du castelet du théâtre, mais il est toujours là, on réduit son espace de jeu, même à un mètre carré et on laisse venir le grand écran par l’imaginaire qui lui n’a aucune limite.

Illustration 3
"Olmo et la mouette" de Petra Costa et Lea Glob © Epicentre Films

Cédric Lépine : Vous faites tous les deux partie de la troupe d'Ariane Mnouchkine qui est comme une grande famille de collaborateurs : est-ce que l'expérience du cinéma (tournage, festivals, présentation du film, etc.) où vous avez été amenés à côtoyer d'autres professionnels du cinéma vous a fait vous sentir intégrés par une hypothétique famille de cinéma ?
Olivia Corsini :
Nous somme des "bêtes de troupe" parce que nous pensons que dans le partage, dans l'amitié, dans l'amour, les meilleurs de nous trouvent le courage de sortir.
Ce film a été fait dans une atmosphère de troupe de théâtre et je voudrais que mes rencontres au cinéma continuent dans cet esprit. Il est vrai que dans le théâtre comme dans le cinéma nous nous reconnaissons les uns les autres par une approche semblable, donc : oui, certaines rencontres m’ont fait me sentir intégrée à une hypothétique nouvelle famille.
Serge Nicolaï : Elle est belle la grande famille des artisans de l’Art ! Il n’y a que les producteurs, les diffuseurs, la presse, les directeurs de casting, qui souvent malheureusement n’y comprennent pas grand chose, qui sont loin du poétique, du beau, qui créent des branches et qui séparent, pas tout le temps heureusement. L’Art, qu’il soit cinématographique ou théâtral, emprunte les mêmes chemins. J’aime à marcher sur l'un et l’autre ; j’appartiens à une seule famille, celle de l’Humanité.

Cédric Lépine : D'un certain point de vue, le film est comme un film de famille détourné, comme si les cinéastes avait choisi d'interroger le genre en tant que tel que serait le film de famille qui consiste à filmer les grands moments de l'existence. Puisqu'il y a une grande part de vous-mêmes et certainement de votre enfant, ajouteriez-vous ce film à « votre album familial », narrant en quelque sorte la « genèse » d'Olmo tout autant que ses parents en tant que parents ?
Olivia Corsini :
Je pense que ce film fait partie de notre album familial parce que cela a été un moment important dans lequel nous avons été un peu bousculés mais je ne dirais pas qu'il puisse narrer la genèse d'Olmo, trop immense pour être contenue.
En revanche, il porte en soi les souvenirs des premières aventures (l'expérience du tournage avec un couffin dans la chambre d'à côté, des premiers voyages de travail à trois) des parents-artistes que nous sommes et que nous aimons être.
Serge Nicolaï : Certainement. C’est un album très luxueux que nous lui offrons, mais pas seulement à lui, nous le partageons avec les autres. Olmo fera sa propre lecture de cet album, et nous aurons sûrement l’occasion d’en parler, la vie est tellement impermanente ! Aujourd’hui nous sommes ainsi, demain nous serons comme ceci, toujours avançant donc toujours différents, c’est ça qui la rend si riche, non ?

Illustration 4

Olmo et la mouette
de Petra Costa et Lea Glob

85 minutes. France – Danemark – Brésil - Portugal, 2015.
Couleur
Langue originale : français

Avec : Olivia Corsini (Olivia), Serge Nicolaï (Serge), Arman Saribekyan, Sylvain Jailloux, Francis Ressort, Shaghayegh Beheshti, Martha Kiss Perrone Marjolaine Larrañaga-Avila,, Elaine Méric, Camille Grandville, Célia Catalifo, Aline Borsari, Fabrice de la Villeherve, Hervé Jouval, Kiel Nguetta Bonaventure, Marie Constant, Barbara Gassier, Philippe Duquesne, Christian Dibie, Nina Gregorio, Elena Bellei, Alvaro Ybot, Giovanna Pezzullo, Claudio Ponzana, Pancho Garcia Aguirre, Samir Abdul Jabbar Saed, Lisa Mercury, Martial Jacques, Stephen Szekely, Sébastien Brottet-Michel

Scénario : Petra Costa et Lea Glob
Images : Muhammed Hamdy
Montage : Tina Baz et Marina Meliande
Musique : Adam Taylor
Son : Cécile Chagnaud
Production : .Zentropa Productions, Buscavida Filmes, O Som e a Furia, Épicentre Films
Producteurs : Charlotte Pedersen, Luís Urbano, Tiago Pavan, Daniel Chabannes De Sars, Corentin Don-Jin Sénéchal, Joaquim Carvalho, Madeleine Ekman, Bernardo Bath, Tim Robbins
Distributeur (France) : Épicentre Films
Ventes internationales : Taskovski Films

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