Cédric Lépine : Comment est apparu votre désir de fiction, dans un pays, le Nicaragua, connu davantage à l'étrange par ses films documentaires ?
Laura Baumeister : J'ai toujours travaillé avec la fiction, j'aime la possibilité de créer des mondes alternatifs à la réalité, je sens que depuis que je suis toute petite, je suis comme ça, j'ai recours à l'imagination en partant du principe que la réalité n'est qu'un point de départ. En tout cas, je pense que cela peut aussi se faire à partir du format documentaire, c'est juste que j'ai davantage développé la force de la fiction, peut-être parce que dans mon pays il y a un excès de réalité et c'est ma façon de me rebeller contre ça.
C. L. : Pouvez-vous parler de la situation du cinéma national au Nicaragua et du soutien de l’État ?
L. B. : C'est une question très compliquée car on ne peut pratiquement pas parler de cinéma national ou de soutien de l'État, ce sont des relations inexistantes.
C. L. : Qu’est-ce que cela signifie pour vous de vous concentrer dans le film sur le regard d’une fille ?
L. B. : La possibilité d'être plus léger, d'intégrer les rêves, les animaux, la tendresse de manière plus organique.
C. L. : Peut-on voir la relation entre María et sa mère Lilibeth comme une métaphore de la difficulté de fonder une famille dans tout le pays ?
L. B. : Il est vrai qu'au Nicaragua il est difficile de construire une famille. C'est un pays traversé par des tremblements de terre, des ouragans, des dictatures, des guerres. L'effondrement du lieu d'origine est un thème qui me traverse et qui fonctionne comme un miroir lorsque j'aborde la relation entre Maria et sa mère.
C. L. : Comment la partie fantastique a trouvé sa place dans l’écriture du scénario ?
L. B. : Dès le début, je crois que les rêves venaient d'abord et ensuite la réalité. Je savais que je voulais faire quelque chose avec la transformation de l'humain à l'animal, c'est un sujet qui m'obsède et puis la poubelle, la fille, les paysages dystopiques s’y prêtaient.
C. L. : Quelles ont été les directives données à Teresa Kuhn dans la construction de la photographie du film ?
L. B. : Nous avons eu beaucoup de dialogue, beaucoup de temps ensemble. Beaucoup de repérage. Je me souviens que l'une des directives les plus claires était : nous avons une toile pleine d'obscurité qu'il faut percer pour laisser entrer la lumière, et donc de nombreuses décisions concernant les mouvements de caméra, les objectifs et les palettes de couleurs.
C. L. : Filmer la décharge en Scope au début de l'histoire est-il une invitation à voir ce qui reste invisible au niveau international quant à la situation environnementale désastreuse de la gestion des déchets ?
L. B. : Oui définitivement. Nous avons choisi le format 2:35 pour justement amener la poubelle à des standards plus stylisés que normalement ce type de marginalité n'atteint pas.

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La Hija de todas las rabias
de Laura Baumeister
Fiction
87 minutes. Nicaragua, Mexique, Pays-Bas, Allemagne, France, Norvège, Espagne, 2022.
Couleur
Langue originale : espagnol
Avec : Ara Alejandra Medal (María), Virginia Raquel Sevilla Garcia (Lilibeth), Carlos Gutierrez (Tadeo), Noé Hernández (Raul), Diana Sedano (Rosa)
Scénario : Laura Baumeister
Images : Teresa Kuhn
Montage : Raúl Barreras, Julián Felipe Sarmiento López
Musique : Jean-Baptiste de Laubier, Arthur Simonini
Design sonore : Lena Esquenazi
Coordinateur des effets spéciaux : Eric Víquez
Production : Cardón Pictures, Dag Hoel Filmproduksjon, Felipa Films, Halal Films, Heimatfilm, Marth Films, Nephilim Producciones, Promenades Films
Productrices : Laura Baumeister, Rossana Baumeister, Bruna Haddad, Martha Orozco
Distributeur (France) : Tamasa Distribution