Billet de blog 16 décembre 2014

Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

La beauté du salarié exploité : le regard de Margot Benacerraf

Sortie DVD de Araya, l’enfer du sel, de Margot Benacerraf

Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Les Films du Paradoxe

Sortie DVD de Araya, l’enfer du sel, de Margot Benacerraf

Parmi les marais salants d’Araya au nord-est du Venezuela, une multitude d’hommes et de femmes travaillent sans relâche et la réalisatrice Margot Benacerraf en fait le sujet de son documentaire à la fin des années 1950. Ce film s’inscrit en relation directe avec le néoréalisme italien, par ses thèmes autant que par son esthétique. De la condition d’exploitation extrême des salariés, Margot Benacerraf signe un spectacle documentaire d’une beauté exceptionnelle : le Noir & Blanc magnifie les corps dénudés des hommes tout en sueur à l’ouvrage. La beauté est telle qu’elle transfigure la réalité brute pour atteindre l’objectif de la réalisatrice : la métaphore de l’exploitation du salarié (avec cette étymologie du salarié qui est celui qui gagne son sel). Les individus filmés n’ont aucune personnalité à l’écran : leur image ne vaut que par ce qu’ils représentent. L’organisation du travail suit ici un modèle féodal où une communauté humaine obéit à un seul individu dont les objectifs de production ne la concerne en rien. La sympathie pour la condition des salariés est réelle, mais dans le but de démontrer un propos bien précis. Ceci reflète donc la distance intellectuelle de l’auteur qui pense le monde sans s’y inclure. Elle incarne ainsi une certaine idée du cinéma et de l’art en général qui la conduit très logiquement après ce film à diriger la cinémathèque vénézuélienne, en tant que garante d’un art clos entre quatre murs. Étonnamment le film n’est aucunement revendicatif : d’ailleurs, l’aboutissement de ce récit arrive avec l’arrivée des machines qui remplacent le travail manuel, sans pour autant modifier la condition sociale des travailleurs. La mise en scène pose plusieurs questions éthiques : comment peut-on filmer la misère pour servir un propos quel qu’il soit ? Les cinéastes brésiliens du cinema novo durant la même décennie ont eu une réponse beaucoup plus respectueuse et engagée vis-à-vis de la société. Il n’en reste pas moins qu’Araya, l’enfer du sel reste une œuvre marquante de l’histoire du cinéma et que Margot Benacerraf figure parmi les précurseurs de générations à venir de femmes derrière la caméra. Très belle initiative que cette édition DVD en version restaurée.

Illustration 2

Araya, l’enfer du sel

de Margot Benacerraf

France, Venezuela - 1959.

Aves les voix de : José Ignacio Cabrujas (le narrateur de la version espagnole), Laurent Terzieff (le narrateur de la version française)

Durée : 79 min

Sortie en salles (France) : 13 mai 1959 (festival de Cannes)

Sortie France du DVD : 20 novembre 2010

Format : 1,33 – Noir & Blanc

Langues : français, espagnol - Sous-titres : anglais.

Éditeur : Les Films du Paradoxe

Bonus :

- « Araya : le film de sa vie » (16’)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.