Billet de blog 16 décembre 2016

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Ariel Escalante pour son film «El Sonido de las cosas»

En décembre 2016, Ariel Escalante est venu présenté son film « El Sonido de las cosas » dans le cadre de la programmation de la section compétitive du Costa Rica Festival International de Cinéma.

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Ariel Escalante © Esteban Chinchilla

Cédric Lépine : Sur le thème du deuil dont il est question dans ton film, comment envisages-tu la fonction cathartique du cinéma ?
Ariel Escalante : J'aime beaucoup le cinéma qui permet au spectateur d'explorer des émotions dans lesquelles il ne se situe pas forcément au moment. Je souhaitais réaliser un film avec cette histoire et cette atmosphère en tête. Par la suite, le film peut inciter à vivre une catharsis, sans qu'il s'agisse d'une intention initiale. Tout le monde est un jour confronté au deuil, sans avoir vécu l'histoire de Claudia, le personnage principal du film. Le deuil est souvent associé au fait de perdre quelqu'un qui meurt, mais on peut l'associer à diverses situations : cesser une histoire, une relation avec quelqu'un... Le film permet de créer des liens avec quelqu'un à partir de sa propre expérience de la vie.

C. L. : La narration se développe autour d'une construction méticuleuse de l'image. Quelles ont été les indications données à Nicolás Wong, le chef opérateur ?
A. E. : L'esthétique du film El Sonido de las cosas est le résultat d'une longue recherche qui a commencé avec Nicolás Wong, lorsqu'il a fait l'image de mon court métrage Musgo. Pour moi, Nicolás Wong est l'un des meilleurs directeurs de photographie d'Amérique centrale et en plus nous sommes amis. Je pense que l'on ne devrait jamais faire de film avec une personne avec laquelle on ne partagerait pas au moins un verre. Nos références avec Nicolás Wong étaient tellement claires entre nous que nous avons pu avancer rapidement pour mettre en valeur l'univers intérieur du personnage principal autour de détails du quotidien. Nous avons tenu à soigner la composition de l'image qui ne se limite pas à des citations. Car je sentais qu'il fallait construire quelque chose qui transcende l'histoire de Claudia. Je souhaitais prendre ainsi de la distance avec Claudia pour ne pas que le spectateur soit submergé par elle. Il fallait avoir des informations sur sa vie tout en conservant une distance avec le personnage : c'est ainsi que nous avons souhaité travailler l'image. Nous nous sommes inspirés de la peinture de Ma Yuan (1160-1225) de la dynastie Song en Chine, ainsi que de nombreuses autres sources esthétiques.
L'image se focalise sur de nombreux détails à partir d'une connaissance méticuleuse des lieux et la manière dont on pouvait les mettre en scène. L'objectif de cette investigation consistait à trouver ce que nous cherchions à exprimer à travers notre caméra.

C. L. : Au-delà du deuil, on peut voir dans ce personnage replié sur lui-même, un portrait de la difficulté de vivre d'une population refermée sur elle-même par incapacité de parler avec l'autre. Ceci pourrait être un témoignage de la ville de San José avec toutes ces maisons prisons entourées de fils barbelés.
A. E. : Jusqu'à un certain point, je considère que San José est une ville de personnes isolées, bien loin de l'image que l'on donne à l'extérieur d'un Costa Rica pays tropical, présenté comme le pays le plus heureux du monde. San José est une ville que j'aime beaucoup mais dont il est difficile d'aller rencontrer l'identité profonde. C'est ce qui se passe avec le personnage de Claudia qui peut traverser toute la ville de sa maison à l'hôpital où elle travaille tous les jours, sans nécessairement établir de liens avec les autres. Sans généraliser, ceci traduit bien notre envie d'être bien en évitant tout conflit possible avec l'autre. Je trouve que ce regard permet de donner une lecture différente de celle que l'on peut avoir de la ville. En cela, il ne s'agit nullement d'avoir sur elle un regard sociologique. Je pense que Claudia est un personnage parfait pour San José et réciproquement, telle une mise en miroir de l'une face à l'autre.
Il m'importait en outre de ne pas aller trop vite dans l'évolution du personnage en privilégiant les petites étapes successives. Je sens que Claudia s'ouvre peu à peu au spectateur et je suis à cet égard très reconnaissant de l'interprétation de Liliana Biamonte.

Illustration 2
"El Sonido de las cosas" d'Ariel Escalante © DR

C. L. : Antonio, le locataire de Claudia, apporte un contrepoint comique et léger au film : comment a-t-il surgi dans le scénario ?
A. E. : Il se trouve que j'ai vécu une situation semblable à celle d'Antonio, où j'ignorais que la personne avec laquelle je partageais un appartement était en train de vivre un deuil. Je suis ainsi entré naturellement dans cette histoire à partir de ce personnage autobiographique. C'est plus tard que j'ai décidé de raconter l'histoire du point de vue de Claudia. Antonio joue en effet un grand rôle, même s'il s'agit d'un personnage secondaire. Il permet de réévaluer une vision du monde. On m'a suggéré de développer davantage ce personnage mais finalement sa légèreté s'intègre très bien au film. C'est vrai aussi que j'interprète ce personnage, mon point de vue est donc bien particulier.

C. L. : Tu es monteur sur les longs métrages des autres : pourquoi ne l'as-tu pas été pour ton propre film ?
A. E. : Pour moi, le montage a une très grande valeur dans le cinéma. Lorsque je monte les films des autres, j'aime bien jouer le rôle de celui qui est sûr de lui et affirme un point de vue sur le film, ce qui permet au cinéaste de pouvoir continuer en toute confiance son travail. C'est pourquoi sur mon film j'ai préféré me concentrer sur la mise en scène en confiant le montage à Lorenzo Mora.

C. L. : Le film offre une grande place à l'interprétation de tes acteurs. Comment les as-tu dirigés ?
A. E. : J'aime beaucoup ce qui se passe actuellement dans le cinéma costaricain. En effet, celui-ci prend de véritables partis pris et propose un nouveau regard autour du développement intérieur des personnages. J'ai toujours aimé travailler avec des acteurs. Jusqu'à un certain point, il faut avoir une facilité naturelle pour être acteur car cela ne s'apprend pas à l'école. C'est souvent très incommode car personne ne peut éviter le stress et chacun souhaite faire de son mieux. Il est évident que si la profondeur de l'acteur ne fonctionne pas, il n'y a pas de film. Nous étions ainsi bien conscient du risque que nous prenions, mais nous étions décidé à faire ce travail avec les acteurs, justement parce que c'était difficile. Parfois la prise de risque est visible dans un film et parfois non. La confiance est nécessaire afin de pouvoir travailler avec des acteurs qui n'ont joué jusque-là que dans quelques films. Nous avons fait beaucoup d'essais mais sans jamais modifier le scénario. Plusieurs mois avant le tournage, avec Lilia Biamonte principalement qui apparaît dans 95% des scènes du film, nous nous sommes retrouvés 3 à 4 fois par semaine afin de pouvoir expérimenter l'incarnation du personnage. Il s'agissait de se retrouver littéralement dans la vie de Claudia et imaginer comment elle pouvait vivre son quotidien, comment elle répondait au téléphone, etc. Je n'ai jamais refusé la spontanéité mais le scénario n'a pas été modifié. Je revendique un cinéma reposant sur une mise en scène et un scénario où les dialogues sont parfaitement écrits. La direction d'acteurs a donc consisté à mettre les acteurs dans la peau de leur personnage. L'exploration du monde intérieur de mes personnages est ce qui m'intéresse le plus dans la réalisation d'un film.

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