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Cédric Lépine : Pourquoi choisir l'enfance pour dépeindre le monde présenté dans le film ?
Franco García Becerra : Tout d'abord parce que c'est un point de vue différent et qu'il incarne pour moi l'innocence. Nous pouvons ainsi explorer la vie quotidienne, les rêves, les désirs, la vision du monde et, surtout, je pense, comment cette enfance peut être interrompue par des problèmes d'adultes. Dès que j'ai eu le scénario, je me suis dit que même la caméra devait être plus basse.
C. L. : Cette innocence repose aussi sur une partie très documentaire de cette réalité. Quel est le contexte géographique et sociologique du lieu de tournage ?
F. G. B. : Dans toute la région du glacier où nous avons tourné le film, il y a beaucoup d'interventions minières. De nombreuses entreprises veulent obtenir des concessions pour commencer à exploiter le lithium et le zinc. Ainsi, toutes les communautés environnantes, ou une grande partie d'entre elles, peut-être pas toutes, est constamment confrontée à ce problème au quotidien. La population est divisée autour de cette exploitation minière qui entraîne déjà de fortes contaminations.
L'exploitation minière illégale cohabite également avec l'exploitation légale mais irresponsable. En d'autres termes, il y a de tout et les personnes qui ont participé au film en sont conscientes. Lorsque nous avons tourné des scènes sur ce thème, ce n'était pas difficile. En fait, beaucoup de personnes ont improvisé des dialogues que nous avons inclus dans le film. Par ailleurs, les familles avec lesquelles nous avons travaillé élèvent des alpagas. Alberth Merma, l'acteur de Feliciano, est éleveur d'alpagas et sa famille aussi. Il sait comment conduire un troupeau. Si vous remarquez, il n'a pas peur d'entrer, de s'approcher d'un alpaga, de le prendre dans ses bras. Je pense qu'il était important de représenter ce naturel.
Il en va de même pour le récit des pierres. Alberth a vu une pierre en forme d'alpaga et a demandé de l'inclure dans le film. C'est alors que cela prend tout son sens. Pour ce qui est du football, l'idée est venue lors de la Coupe du monde de Russie en 2018 où le Pérou jouait aux éliminatoires. Sur la place principale de Cuzco en particulier, un écran géant était installé pour tout le public. C'est un peu comme si le football avait montré l'éloignement et en même temps l'unité du pays.
Nous essayons de faire en sorte que tous les interprètes soient naturels. Un autre élément important est que le film a été conçu en quechua dès le départ. C'est à ce moment-là qu'Alicia Quispe, la professeure de quechua, est arrivée pour écrire le scénario avec Annemarie Gunkel. Dès le début, le film a donc été conçu en quechua.
D'un côté, le football réussit à réunir toute une population sous un même drapeau alors que, dans le même temps, le projet de développement du pays avec les mines, divise l'unité du pays. Il y a donc un conflit. Bien sûr, la fièvre du football passe et on se rend compte de la réalité ensuite.
Ce n'est pas que le film soit contre l'exploitation minière en tant que telle, mais nous sommes toujours contre l'exploitation minière irresponsable, illégale, informelle, tandis que le gouvernement les laisse faire. En fait, un peu plus loin, là où nous avons tourné quelques heures de plus, il y a la jungle péruvienne, Puerto Maldonado, où l'on extrait de l'or et c'est un no man's land. Il y a donc beaucoup de personnes qui finissent l'école et vont à Puerto Maldonado pour deux ou trois mois de travail, reviennent avec un peu d'argent et achètent une moto et se laissent peu d'autres opportunités.
L'exploitation minière permet donc de gagner de l'argent rapide et facile et, pour de nombreuses personnes qui n'en ont pas, faire cela pendant trois mois, permet de revenir, d'acheter un terrain et de commencer à investir. Ce que l'on ne voit pas dans le film, c'est lorsqu'une exploitation minière est fermée, elle laisse une ville fantôme parce que la population locale a terminé son travail.
Dans le film, nous ne voulions pas montrer le visage de l'exploitation minière du point de vue de l'enfant. Grimaldo était un membre de la communauté qui travaille maintenant pour la mine et qui essaie de les convaincre d'accepter le développement du projet minier. Nous ne devrions pas le juger parce qu'il voulait aussi un autre type d'avenir pour son fils. Ce n'est pas une erreur. Ce qui est mal, c'est ce qu'ils font d'en haut pour que les mêmes personnes s'affrontent.
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C. L. : L'exploitation minière divise ainsi le sens de la communauté autour du sens du « nous ».
F. G. B. : Exactement, c'est un sens plus égoïste. C'est pourquoi l'enfant part, l'ami aussi. Quand Feliciano va à l'école, l'école est fermée et il y a un dialogue entre eux, et je voulais aussi que Feliciano retourne travailler et étudier.
Les enfants m'ont également demandé pourquoi la fin restait ouverte. Si nous devions clore le film et que tout se termine sans faire la paix, nous dirions que tout va bien, que le football continue à son rythme et que tout va bien, mais en réalité, ce n'est pas comme ça, c'est un problème permanent. Cela ouvre un débat. Le garçon a changé, il a mûri, il a grandi rapidement. Que va-t-il devenir ? Il est parti, on ne sait pas. C'est un peu incertain.
C. L. : Le jeune protagoniste a fait mûrir sa conscience politique et notamment la réalité de sa classe sociale différente : était-ce aussi votre intérêt à mettre en scène ce scénario ?
F. G. B. : Eh bien, je n'y ai pas réfléchi en détail, mais je pense qu'il y a encore une certaine innocence parce qu'il est, quand il va chercher son alpaga, désespéré et l'ami ne sait pas quoi faire. Quand il arrive presqu'à la fin après avoir trouvé son Ronaldo, il revient et trouve que le conflit continue alors qu'il vient avec l'illusion d'un Pérou réuni autour du football et que les alpagas sont de nouveau là. Alors il prend une décision et c'est une décision politique, je pense, d'envoyer tout au diable, il dit : « continuez votre truc, moi je vais avec mes animaux ».
C. L. : Comment le défi a été relevé de construire une histoire au format Scope incluant certes des paysages mais aussi des intérieurs restreints ?
F. G. B. : Je suis de Cuzco et pour moi, disons que le paysage fait partie de ma vie quotidienne. L'enfant n'est jamais seul dans les immenses paysages parce qu'il est avec les apus, les divinités, les montagnes, le vent, la rivière : tout ce qui lui donne de la nourriture. Je pense que lorsque vous entrez dans une maison qui est alors minuscule, fermée, elle fait partie de l'ensemble. Il était important dans le film de montrer les beaux paysages dans une maison. Il y a du feu, des fruits, de l'amour, un abri, la dignité de la personne est présentée, c'est donc très horizontal. Il était important de le montrer dans le film car c'est quelque chose qui risque de se perdre. Depuis que j'ai lu le scénario, j'ai dit à tous les membres de l'équipe technique, que ce film devait être beau. Il était donc également important de montrer un beau paysage, une maison chaude parce que c'est un endroit où ils doivent rester. J'espère seulement que le film n'apparaît pas selon des traits touristiques.
Le son était super important dans le film : le vent, la rivière le feu ont tous un son différent qui se reconnaît. Ce film cache cette beauté et c'est une façon pour les politiques des villes de dire qu'il est nécessaire de le protéger de ne pas laisser les choses comme ça. C'est un lieu sacré. Je pense qu'il y a aussi une difficulté dans ces villages : la protection des lois sociales et de l'intégrité des gens. En effet, dans les années 1980 au Pérou beaucoup de villages ont été attaqués, tués par les membres du Sentier Lumineux.
Beaucoup des membres de ces communautés ont vécu la violence politique des deux côtés, de l'État et du gouvernement ainsi que des groupes terroristes. Bien sûr, quand soudain c'est une entreprise qui tue vos alpagas, il y a une intention terroriste, c'est-à-dire de répandre la terreur et d'intimider les gens pour qu'ils partent. Depuis les années 1980, des personnes ont été déplacées vers la ville où elles ont été mal accueillies à cause à la fois du classisme et du racisme. Je pense que pour les nouvelles générations qui n'ont pas connu ces conflits dans les années 1980, il est important qu'elles connaissent l'histoire, alors qu'il y a encore d'autres façons de créer la terreur.
C. L. : Face aux injustices, l'État semble absent : était-ce là aussi de votre part une critique sociale précise ?
F. G. B. : Pour moi, il était important que l'école soit vide, ça veut dire que l'État s'en fout. L'ancien membre de la communauté c'est celui qui représente la mine et qui veut vendre, il y a des gens sur les motos qui doivent être d'autres membres de la communauté qui ont tué les alpagas. Les membres de la communauté sont là, on ne voit jamais la mine, on ne voit jamais le gouvernement ou l'État. C'est plutôt comme s'ils tiraient les ficelles pour que les gens s'affrontent. Ainsi, les puissants ne vont jamais montrer leur visage, ils ne vont jamais servir de chair à canon dans les conflits, ils envoient d'autres personnes pour affronter les familles.
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Raíz
de Franco García Becerra
Fiction
83 minutes. Pérou, Chili, 2024.
Couleur
Langues originales : quechua, espagnol
Avec : Alberth Merma (Feliciano), Nely Huayta Cutipa (Josefina), Rubén Huillca (Grimaldo), José Merma (Justino), Richard Taipe (Abel), Albert Merza
Scénario : Annemarie Gunkel, Alicia Quispe
Images : Johan Carrasco
Montage : Franco García Becerra, Juan Francisco González
Musique : Daniel Castro
Son : Amador del Solar
Design sonore : Amador del Solar
Maquillage : Karina Lines
Casting : Amaru Cardenas, Abel Anccalle, Carolina Niño de Guzman, Annemarie Gunkel
Production : Diego Sarmiento, Jorge Constantino, Franco García Becerra, Annemarie Gunkel
Production exécutive : Diego Sarmiento, Jorge Constantino, Franco García Becerra, Annemarie Gunkel
Coproduction : Juan Francisco González
Sociétés de production : Desfase Films, Mestizo Studios, Luna Roja Relatos Audiovisuales, Wayquicha Cine
Sociétés de coproduction : Tierra en Trance Films, Punta Arenas
Vente internationale : Luxbox